samedi 2 août 2008

Un Suisse sans-papier à Berlin

C’était sans doute le seul sans-papiers suisse vivant en Allemagne. Adam Tellmeister a fui notre pays en 1986. Devenu artiste, il se prépare enfin à rentrer. Un article de Michel Verrier dans 24 Heures.

ARTISTE Fuyant ses obligations militaires en Suisse, Adam Tellmeister a vécu dans l’illégalité pendant dix-huit ans en Allemagne et en Hollande. Les faits qui lui sont reprochés étant prescrits, il s’apprête à revenir au pays. BERLIN, LE 14 JUILLET 2008 ANDREAS VOLLMER/T AZ BERLIN


Sur sa sonnette, un faux nom. Sur ses cartes de visite, la mention «ci­toyen suisse». Adam Tellmeister vit pourtant depuis plus de dix­huit ans à Berlin. Sans passeport ni assurance maladie. Un sans­papiers clandestin, mais pas in­cognito! Adam est un artiste. Dans son atelier sont exposées ses fresques et des montages virtuels 3D, éclairés avec des LED. Il a participé il y a quelques années à un projet graphique financé par la responsable de l’intégration des étrangers à Ber­lin, Barbara John, rassemblant des écoliers de l’Est et de l’Ouest.
Marqué par les images du Vietnam

Des petits drapeaux suisses sont plantés dans ses pots de fleurs. Ses peintures de Guillaume Tell croquent à la fois le héros, le résistant et le bour­reau d’enfant, selon Adam. Pas de doute, l’homme vient de Suisse.
Adam fuit son pays d’origine en 1986, lorsqu’il reçoit son or­dre de marche. Il ferait bien le service civil, mais cela n’existe pas encore. Le service militaire, par contre, le rebute. Il reste notamment marqué par les ima­ges de la guerre au Vietnam. Sur son ordre figure la mention: «Qui ne se présente pas sera considéré comme déserteur et encourt la prison.» Il décide de fuir à Venise. C’est là qu’il ap­prend à peindre des fresques et que lui vient l’idée de chercher refuge en Allemagne, en tant que requérant d’asile.
Hollande, Suisse puis RDA

Mais à la mairie d’Essen, où il fait sa première demande offi­cielle, on ouvre des yeux ronds, comme le raconte le quotidien berlinois Die Tageszeitung, qui brossait hier le portrait du sans­papiers. Un requérant d’asile suisse, ça ne peut être sérieux! «Ils ont demandé où était la caméra cachée», raconte Adam. Accueilli dans les milieux du Mouvement de la paix, dans la Ruhr, il participe notamment à une action culturelle transfor­mant un monument aux morts de la guerre en monument du souvenir aux déserteurs exécu­tés. Ce qui lui vaut d’atterrir en prison, de perdre son avocat et de voir s’envoler tout espoir d’ob­tenir le droit d’asile.
Il passe à nouveau la frontière pour aller chercher refuge en Hollande, où la police lui fournit des papiers provisoires. Les fonc­tionnaires le baptisent Swiss­Tell, un pseudonyme qu’il marie avec son nom de famille pour devenir Adam Tellmeister.
L’artiste voyageur fait ensuite un court retour à Zurich pour défendre un objecteur de cons­cience, le temps de peindre un graffiti. Il est arrêté, condamné pour désertion et parvient à s’en­fuir, profitant d’un passage aux toilettes du tribunal. De retour à Berlin, il décide en 1989 de trou­ver refuge en ex-RDA. Nouveau déboire: il dépose sa demande d’asile au moment où les foules se pressent autour du mur, qui va tomber. Il lui reste, en souve­nir, un document du Ministère de l’intérieur de l’ex-RDA attes­tant de sa démarche. Puis, au début des années 2000, il prend contact avec l’ambassade de Suisse en Allemagne. Ses «mé­faits » sont prescrits, il n’attend plus aujourd’hui que son passe­port helvétique. Une renais­sance: Adam prépare son retour au pays et sa première expo, à Lucerne, l’an prochain.

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