Editorial de Thierry Meyer dans 24 Heures.
Dès la mi-septembre, faites un peu de place dans votre agenda. Pour une heure et demie. Le temps d’aller voir dans une salle de Suisse romande La forteresse, le film événement de ce 61e Festival de Locarno, dont il a remporté l’une des compétitions, la sélection «Cinéastes du présent». Ce film est essentiel, à plus d’un titre.
S’il est un prix mérité, c’est bien celui-ci. Fernand Melgar a réussi un chef-d’oeuvre du cinéma documentaire, en déjouant tous les nombreux pièges que son sujet lui tendait.
Comment, en effet, ne pas tomber dans la caricature, le parti pris, le pathos, la propagande, le ton sentencieux ou stigmatisant, en filmant deux mois durant le vécu d’un centre d’enregistrement pour requérants d’asile? Comment ne pas colorer de son opinion un projet né d’une révolte, d’un malaise renvoyant à sa propre enfance?
La réponse tient tout entière, admirable, dans ce film qui, malgré la gravité de son propos, est d’une justesse jubilatoire.
La forteresse est la preuve éclatante que l’engagement (car Fernand Melgar est un cinéaste engagé, et comment!) n’exclut pas la lucidité, et qu’il peut s’affranchir du dogmatisme. C’est du reste ce qu’il a de plus fort: le réalisateur vaudois d’origine espagnole ne nous dit pas ce qu’il faut penser, il nous donne à réfléchir. Et à travers l’orfèvrerie de son travail cinématographique, beauté de l’image, finesse des cadrages, sensibilité du montage, il partage ses observations, ses interrogations, sa quête de vérité. Ces dernières sont désormais les nôtres.
On sort de ce film profondément ébranlé, rassuré autant qu’étreint par le doute, frustré par la complexité d’un monde, le nôtre, dont nous ne comprenons que rarement aussi bien les impasses et les contradictions.
Dans une société qui pousse au simplisme et au manichéisme, le courage et l’honnêteté de Fernand Melgar sont exemplaires.
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