L’abuseur de l’aide sociale est devenu une star de la campagne électorale. Pour l’historien Jakob Tanner, cette figure, réelle et fantasmée, a fait son apparition en Suisse durant les années 1980.
Le soufflé n’est pas retombé. Au contraire, il continue de gonfler.
L’abuseur de l’aide sociale, déjà au coeur de la votation sur l’assurance invalidité (AI), occupe toujours le devant de la scène. Bouc émissaire des élections fédérales de cet automne, il fait se renvoyer dos à dos ceux qui, angéliquement, ne croient pas à son existence et ceux qui, lucrativement, en font l’ennemi numéro un de la sécurité du pays.
Ce weekend encore, l’abuseur a fait parler de lui: de nouvelles voix se sont élevées pour assou-plir la protection des données fiscales des clients des services sociaux. Notamment dans la SonntagsZeitung, celle de Walter Schmid, le président de la Conférence suisse des institu-tions d’action sociale. Le socialiste PierreYves Maillard, chef de l’Action sociale du canton de Vaud, s’est aussi dit favorable à un accès facilité à certaines données. Histoire de débusquer les abuseurs. Mais d’où vient le fraudeur? Intervie w de l’ histo-rien Jakob Tanner, professeur à l’Université de Zurich et membre de l’excommission Bergier.
– Quand l’abuseur de l’aide sociale a-t-il fait son coming out médiatique en Suisse?
– Cette figure est apparue dans les années 1980 et 90, lors de la focalisation sur la politique d’asile. Il y a bien sûr de vrais abuseurs, mais le discours a vite emprunté sa propre dynamique. Avant cette période, on se concentrait sur l’immigration des travailleurs étrangers, qui «volaient » le travail des Suisses.
Ce fut le cas durant l’ère Schwarzenbach, les années 60.
Autrement dit – et c’est là le paradoxe – les premiers moutons noirs, les travailleurs étrangers, ont largement cotisé à l’aide sociale. Puis, la situation s’est renversée: on soupçonne ceux qui ne travaillent pas de recevoir des prestations illégales.
– Pourquoi cette évolution?
– Une des préconditions à l’apparition du mouton noir de l’aide sociale est précisément un Etat social fort. Ce qui n’était pas le cas de la Suisse durant une bonne partie du XXe siècle. Durant les années 1950, les rentes de re traite étaient faibles et les entreprises surveillaient strictement le deuxième pilier. Et ce n’est qu’à partir de 1976 que les salariés ont dû s’affilier à l’assurance chômage. Dans les an-nées 60, les prestations sociales se sont élargies. Mais on observait davantage les abus dans les autres pays, notamment en Italie. Ensuite, vers 1980, est apparue une nouvelle conception de l’individu. Stipulant que chacun doit se prendre en charge.
– La figure de l’abuseur n’a donc pas traversé les siècles?
– Telle qu’on la connaît aujourd’hui, non. Mais cer tains stéréotypes sont très vieux: au Moyen Age, on distinguait déjà les vrais mendiants des faux.
Les premiers pâtissant de la malhonnêteté des seconds.
D’autres groupes sociaux ont également été accusés de s’enrichir sur des frais de la «communauté nationale »; par exemple, on accusait les Juifs de faire de l’argent sur le dos des Suisses.
– Pourquoi ce thème de l’abus est-il rabâché par des partis comme l’UDC?
– L’UDC a longtemps focalisé son discours contre l’Europe. Or le parti n’est plus aussi soudé sur cette question, certains membres ayant des intérêts commerciaux avec l’UE. Depuis quelques années, l’UDC a choisi la sécurité intérieure comme thème. Le 11 septembre 2001 a renforcé ce discours.
VALENTINE ZUBLER BERNE
Un article paru dans 24 Heures
Le soufflé n’est pas retombé. Au contraire, il continue de gonfler.
L’abuseur de l’aide sociale, déjà au coeur de la votation sur l’assurance invalidité (AI), occupe toujours le devant de la scène. Bouc émissaire des élections fédérales de cet automne, il fait se renvoyer dos à dos ceux qui, angéliquement, ne croient pas à son existence et ceux qui, lucrativement, en font l’ennemi numéro un de la sécurité du pays.
Ce weekend encore, l’abuseur a fait parler de lui: de nouvelles voix se sont élevées pour assou-plir la protection des données fiscales des clients des services sociaux. Notamment dans la SonntagsZeitung, celle de Walter Schmid, le président de la Conférence suisse des institu-tions d’action sociale. Le socialiste PierreYves Maillard, chef de l’Action sociale du canton de Vaud, s’est aussi dit favorable à un accès facilité à certaines données. Histoire de débusquer les abuseurs. Mais d’où vient le fraudeur? Intervie w de l’ histo-rien Jakob Tanner, professeur à l’Université de Zurich et membre de l’excommission Bergier.
– Quand l’abuseur de l’aide sociale a-t-il fait son coming out médiatique en Suisse?
– Cette figure est apparue dans les années 1980 et 90, lors de la focalisation sur la politique d’asile. Il y a bien sûr de vrais abuseurs, mais le discours a vite emprunté sa propre dynamique. Avant cette période, on se concentrait sur l’immigration des travailleurs étrangers, qui «volaient » le travail des Suisses.
Ce fut le cas durant l’ère Schwarzenbach, les années 60.
Autrement dit – et c’est là le paradoxe – les premiers moutons noirs, les travailleurs étrangers, ont largement cotisé à l’aide sociale. Puis, la situation s’est renversée: on soupçonne ceux qui ne travaillent pas de recevoir des prestations illégales.
– Pourquoi cette évolution?
– Une des préconditions à l’apparition du mouton noir de l’aide sociale est précisément un Etat social fort. Ce qui n’était pas le cas de la Suisse durant une bonne partie du XXe siècle. Durant les années 1950, les rentes de re traite étaient faibles et les entreprises surveillaient strictement le deuxième pilier. Et ce n’est qu’à partir de 1976 que les salariés ont dû s’affilier à l’assurance chômage. Dans les an-nées 60, les prestations sociales se sont élargies. Mais on observait davantage les abus dans les autres pays, notamment en Italie. Ensuite, vers 1980, est apparue une nouvelle conception de l’individu. Stipulant que chacun doit se prendre en charge.
– La figure de l’abuseur n’a donc pas traversé les siècles?
– Telle qu’on la connaît aujourd’hui, non. Mais cer tains stéréotypes sont très vieux: au Moyen Age, on distinguait déjà les vrais mendiants des faux.
Les premiers pâtissant de la malhonnêteté des seconds.
D’autres groupes sociaux ont également été accusés de s’enrichir sur des frais de la «communauté nationale »; par exemple, on accusait les Juifs de faire de l’argent sur le dos des Suisses.
– Pourquoi ce thème de l’abus est-il rabâché par des partis comme l’UDC?
– L’UDC a longtemps focalisé son discours contre l’Europe. Or le parti n’est plus aussi soudé sur cette question, certains membres ayant des intérêts commerciaux avec l’UE. Depuis quelques années, l’UDC a choisi la sécurité intérieure comme thème. Le 11 septembre 2001 a renforcé ce discours.
VALENTINE ZUBLER BERNE
Un article paru dans 24 Heures
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