samedi 12 mai 2007

La clé

Lire ce témoignage de Anne-Catherine Ménetrey-Savary dans 24 heures
Pour la toute première fois de sa vie, Malek, qui est né dans un camp de réfugiés au Liban, découvre la Galilée. Nous l’accompagnons à Suhmata, le village de ses pa­rents et de ses grands-parents, qui fut rasé en 1948. Il n’en reste rien, qu’un pan de mur et quelques pierres couvertes de ronces dans un vallon ver­doyant. Une cohorte silencieuse et recueillie des anciens habi­tants du village, dont quelques vieux qui ont vécu la «Nakba», la «Catastrophe», guide Malek sur le lieu où s’élevait la maison de sa famille. Alors qu’il re­cueille dans une petite boîte quelques poignées de terre de ce lieu de mémoire, il découvre sur le sol une petite clé, émou­vant symbole dont il s’émer­veille. Le soir même, à Naza­reth, nous visionnons le film de Salim Daw précisément intitulé La clé, qui montre comment les familles palestiniennes dont les maisons ont été détruites en ont conservé la clé, comme un précieux présage de retour. Ma­lek est bouleversé: il comprend que ce que le hasard lui a offert, à lui personnellement, n’appar­tient plus à lui seul, mais s’ins­crit dans le destin d’une collec­tivité.
Lors de la création de l’Etat d’Israël en 1948, puis lors de l’occupation de la Cisjordanie en 1967, 531 villages ont été détruits et près d’un million de Palestiniens ont été chassés de leurs terres et contraints à l’exil. Aujourd’hui, l’ONU dénombre 4,3 millions de réfugiés palesti­niens, dont la majorité vit dans des camps à Gaza, dans les Territoires occupés, au Liban ou en Jordanie, et 1,7 million de réfugiés non enregistrés, dont la plupart vivent à l’intérieur même d’Israël. Les lieux où s’élevaient les villages sont dé­sormais interdits d’accès aux anciens habitants; on y a planté des arbres, au nom de l’écologie, et on les a baptisés «parcs natu­rels ». Elle a bon dos, l’écolo­gie!… Bon!… ça fait donc presque soixante ans: ne pourraient-ils pas renoncer? «Les vieux mourront, les jeunes oublie­ront »: c’est ce qu’écrivait David Ben Gourion dans son journal, le 28 juillet 1948. Or non seule­ment les jeunes n’oublient pas, mais ils se battent pour obtenir le respect de leur droit au re­tour ou à tout le moins une indemnisation, selon la résolu­tion 194 de l’ONU, adoptée le 11 décembre 1948… Hélas, ils se voient opposer une législation subtile qui les dépossède défi­nitivement: c’est l’Absentees Property Law, selon laquelle toutes les terres non occupées par leur propriétaire peuvent être récupérées par l’Etat. C’est ainsi qu’aujourd’hui encore les Palestiniens d’Israël voient leurs terres réquisitionnées, leurs oliviers arrachés, leurs villages transformés en ghet­tos, et leurs moyens d’existence sombrer dans la précarité. L’historien israélien Ilan Pappe parle de «purification ethni­que ».
Non seulement les réfugiés palestiniens ont gardé la clé de leur maison, mais ils consti­tuent aussi la clé de la paix. Même si Ehud Olmert affirme avec aplomb qu’il ne laissera pas un seul réfugié rentrer en Israël, de nombreux Israéliens ont bien compris qu’il n’y aura pas de paix durable sans prise en compte de cette clé-là.

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