lundi 30 avril 2007

La médecine de la débrouille

Lire l'article de Valérie Kernen dans le Courrier
La médecine de la débrouille
Fatima* est clandestine à la Chauxde-Fonds depuis seize mois. Elle est venue rejoindre sa famille réfugiée politique dans la cité horlogère. Elle ne sort presque jamais de chez elle, par peur. Elle ne travaille pas. Et elle est malade. Depuis de nombreux mois, une douleur aux amygdales qu'elle qualifie d'atroce la cloue au lit des journées entières. «J'ai mal depuis des années mais ça a empiré depuis que je suis ici, raconte Fatima. C'est peut-être le climat...» Comme beaucoup de personnes dans son cas, elle pratique l'automédication et se dope aux antidouleurs. «Je ne suis jamais allée consulter un médecin car je craignais qu'il me dénonce», explique cette femme qui a renoncé à des études universitaires pour émigrer en Suisse. «Quand on est sans-papiers, on est très isolé. On ne connaît pas ses droits, ni le système helvétique. Je n'ai pas de contact avec d'autres clandestins. Eux non plus ne sortent pas de chez eux. Je reste ici car je n'ai plus personne dans mon pays.» Fatima sera certainement la première migrante sans statut légal soutenue par le Réseau santé migration. Son cas est typique de la situation extrêmement

REPÈRES Une étude sur l'accessibilité aux soins de santé pour les migrants sans statut légal dans le haut du canton de Neuchâtel a été menée entre 2005 et 2006 par Raffaella Lampietti Malinverni, dans le cadre de son travail de mémoire pour l'obtention du certificat de santé communautaire de l'université de Genève. En voici les principales conclusions : > 90% des enquêtés ont été malades au moins une fois depuis leur arrivée en Suisse. > 75% d'entre eux ont renoncé au moins une fois à consulter un médecin. Les raisons évoquées ont été le manque d'argent (54%), le fait de ne pas savoir à qui s'adresser en toute sécurité (33%), la peur d'être dénoncé à la police (42%), la barrière de la langue ( 5%). > Trois clandestins sur quatre n'avaient pas d'assurance-maladie. > Aucun des enquêtés n'a mené des actions de prévention ou de dépistage précoce de maladies. > Les sans-papiers sont généralement en bonne santé lorsqu'ils arrivent en Suisse. Leur état de santé se détériore en cours de séjour, notamment en raison de leurs conditions de vie incertaines.

précaire des personnes sans papiers en manque de soins médicaux. Mais sa prise en charge par un professionnel en blouse blanche ne lui garantira pas forcément l'accès à des soins adéquats. «Pour les malades sans statut légal, on est clairement dans une médecine à deux vitesses», dénonce un médecin de Neuchâtel, qui apporte son expertise aux usagers du Dispensaire des rues. Ce généraliste traite une trentaine de dossiers par année. «Je ne fais pas payer les consultations, mais dès qu'il faut faire des analyses, des radios ou une opération, on est vite coincé! Quand on doit absolument hospitaliser, on le fait. Il y a une certaine tolérance dans le canton de Neuchâtel. Sinon, on attend que la personne malade économise avant de poser le prochain acte médical...»
Etant donné le coût élevé des médicaments, certains clandestins achètent des produits dans leur pays d'origine, où une ordonnance n'est pas toujours nécessaire. A moins qu'ils ne fassent recours à des méthodes traditionnelles, en particulier pour traiter les problèmes gynécologiques. «Nous avons prévu de réserver une demi-

journée par semaine uniquement pour les migrantes, explique Pascale Giron, de Médecins du monde Suisse. Cela nous permettra d'avoir accès aux femmes des communautés musulmanes et d'offrir un soutien aux femmes enceintes. Nous avons aussi un travail de sensibilisation à faire auprès des gynécologues du canton, dans la manière d'expliquer les choses. Quand on vient d'un pays en voie de développement, on ne sait pas toujours ce qu'est une péridurale. Ces particularités culturelles devraient être prises en compte.» D'après le médecin associé au Dispensaire des rues à Neuchâtel, les migrants qui entrent dans son cabinet sont généralement dans un état d'anxiété particulièrement élevé. «Ils sont stressés par la peur du renvoi et vivent dans le souci de trouver de quoi manger et où se loger. On est au niveau de l'assouvissement des besoins fondamentaux. Il y a des gens qui ne mangent qu'un repas par jour! D'autres qui vivent dans des conditions extrêmement précaires. Une femme est venue me voir car elle avait mal au dos. J'ai vite compris pourquoi: elle n'avait pas de lit...» VKN
* Prénom fictif

Structures de soutien en Suisse romande:
> Fribourg. Fri-Santé, espace de soins et d'orientation, créé en 2004 par Médecins sans frontières. > Genève. Unité mobile de soins communautaires (UMSCO), lié à la Policlinique de médecine de l'Hôpital cantonal. Les Permanences volantes, créées en 2003 par l'EPER, en faveur des femmes latino-américaines sans autorisation de séjour. > Lausanne. Le Point d'Eau, association privée subventionnée par la Ville, travaille en réseau avec la Policlinique médicale universitaire(PMU), des médecins spécialistes et des pharmacies de la région. > Neuchâtel. Le Dispensaire des rues offre des services aux plus défavorisés depuis février 2000. Il fonctionne sans aucune aide publique.

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