mercredi 15 mars 2006

L’asile: un droit d’exception fascisant

Lire l'opinion de Claude Calame professeur honoraire à l'UNIL
Cette politique d’attaques désormais multipliées contre les fondements de partage équitable ancrés dans la Constitution elle-même a un nom: c’est une forme nouvelle de fascisme
Contester et dénigrer le travail des juges, modi­fier les lois, retoucher le cadre constitutionnel: de Silvio Berlusconi à George Bush Jr. en passant par Christoph Blocher, ce sont les grands moyens que se donnent les hommes d’Etat désireux d’instituer l’économie de marché en tyrannie natio­nale libérale. En Suisse, depuis plusieurs décennies, cette ten­dance politique inquiétante s’est cristallisée en particulier sur les catégories les plus fragi­les parmi les résidentes et rési­dents: travailleurs immigrés, requérants d’asile et désormais clandestins sans papiers.
La nouvelle loi sur l’asile adoptée récemment par les Chambres est à cet égard tris­tement signifi­cative: mesures de contrainte renforcées, pos­sibilité de per­quisition sans mandat judi­ciaire, suppression de l’admis­sion pour des raisons humani­­taires. En dépit de différents avis de droit constitutionnel, d’un arrêté du Tribunal fédéral et des protestations très offi­cielles du Haut-Commissariat pour les réfugiés, ces disposi­tions policières et discrimina­toires entreront en vigueur après un référendum néces­saire, mais à l’issue incertaine.
Si l’on assiste depuis vingt ans en Suisse à une focalisation du débat politique autour du groupe très minoritaire que re­présentent les réfugiés, ce n’est pas uniquement parce que les restrictions successives dans le droit d’asile représentent un cheval électoral particulière­ment porteur. Mais ces atta­ques aux droits élémentaires sont devenues un moyen de dénigrer les services sociaux, dont on abuserait, et les presta­tions assurées par l’Etat au pro­fit des plus défavorisés. Quand on restreint le droit d’asile en diminuant ou en supprimant assistance médicale et aide so­ciale, on poursuit une politique bien précise. Sous l’habituel prétexte d’indispensables éco­nomies budgétaires, on procède à des coupes claires dans les services publics; la cible préfé­rée, ce sont précisément les ser­vices tendant à rééquilibrer les inégalités les plus criantes, cel­les- là mêmes qui sont provo­quées par le système économi­que et idéologique imposé par celles et ceux qui en retirent les plus grands profits. Mais qui dit mesures discriminatoires ten­dant à affaiblir le tissu social dit aussi, en contrepartie, mesures répressives pour prévenir les effets délétères de l’introduc­tion des premières.
C’est ainsi que Christoph Blo­cher et ses nombreux complices substituent aux lois assurant libertés et droits démocratiques des mesures de répression ten­dant à garantir l’unique liberté désormais reconnue: celle du marché. Cette politique d’atta­ques désormais multipliées contre les fondements de par­tage équitable ancrés dans la Constitution elle-même a un nom: c’est une forme nouvelle de fascisme. Dans une dange­reuse alchimie de slogans po­pulistes d’inspiration nationa­liste et de prétentions à libérer l’économie (c’est-à-dire les pro­fits) du contrôle régulateur de l’Etat, c’est un régime fort que l’on institue, avec la connivence des grands partis gouverne­mentaux.
Dans une situation aussi insi­dieuse de fascisme «soft» sur fond de liberté du commerce et de société de consommation, l’attitude la plus complice serait le silence; un silence d’autant plus tentant qu’est incontesta­ble le bien-être matériel en­traîné, pour les privilégiés que nous sommes, par le libéra­lisme économique. On veut ignorer que ce régime exclut et réprime celles et ceux qui ne sont pas immédiatement insé­rés dans le système d’accumula­tion des profits.

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