Lire l'opinion de Claude Calame professeur honoraire à l'UNIL
Cette politique d’attaques désormais multipliées contre les fondements de partage équitable ancrés dans la Constitution elle-même a un nom: c’est une forme nouvelle de fascisme
Contester et dénigrer le travail des juges, modifier les lois, retoucher le cadre constitutionnel: de Silvio Berlusconi à George Bush Jr. en passant par Christoph Blocher, ce sont les grands moyens que se donnent les hommes d’Etat désireux d’instituer l’économie de marché en tyrannie nationale libérale. En Suisse, depuis plusieurs décennies, cette tendance politique inquiétante s’est cristallisée en particulier sur les catégories les plus fragiles parmi les résidentes et résidents: travailleurs immigrés, requérants d’asile et désormais clandestins sans papiers.
La nouvelle loi sur l’asile adoptée récemment par les Chambres est à cet égard tristement significative: mesures de contrainte renforcées, possibilité de perquisition sans mandat judiciaire, suppression de l’admission pour des raisons humanitaires. En dépit de différents avis de droit constitutionnel, d’un arrêté du Tribunal fédéral et des protestations très officielles du Haut-Commissariat pour les réfugiés, ces dispositions policières et discriminatoires entreront en vigueur après un référendum nécessaire, mais à l’issue incertaine.
Si l’on assiste depuis vingt ans en Suisse à une focalisation du débat politique autour du groupe très minoritaire que représentent les réfugiés, ce n’est pas uniquement parce que les restrictions successives dans le droit d’asile représentent un cheval électoral particulièrement porteur. Mais ces attaques aux droits élémentaires sont devenues un moyen de dénigrer les services sociaux, dont on abuserait, et les prestations assurées par l’Etat au profit des plus défavorisés. Quand on restreint le droit d’asile en diminuant ou en supprimant assistance médicale et aide sociale, on poursuit une politique bien précise. Sous l’habituel prétexte d’indispensables économies budgétaires, on procède à des coupes claires dans les services publics; la cible préférée, ce sont précisément les services tendant à rééquilibrer les inégalités les plus criantes, celles- là mêmes qui sont provoquées par le système économique et idéologique imposé par celles et ceux qui en retirent les plus grands profits. Mais qui dit mesures discriminatoires tendant à affaiblir le tissu social dit aussi, en contrepartie, mesures répressives pour prévenir les effets délétères de l’introduction des premières.
C’est ainsi que Christoph Blocher et ses nombreux complices substituent aux lois assurant libertés et droits démocratiques des mesures de répression tendant à garantir l’unique liberté désormais reconnue: celle du marché. Cette politique d’attaques désormais multipliées contre les fondements de partage équitable ancrés dans la Constitution elle-même a un nom: c’est une forme nouvelle de fascisme. Dans une dangereuse alchimie de slogans populistes d’inspiration nationaliste et de prétentions à libérer l’économie (c’est-à-dire les profits) du contrôle régulateur de l’Etat, c’est un régime fort que l’on institue, avec la connivence des grands partis gouvernementaux.
Dans une situation aussi insidieuse de fascisme «soft» sur fond de liberté du commerce et de société de consommation, l’attitude la plus complice serait le silence; un silence d’autant plus tentant qu’est incontestable le bien-être matériel entraîné, pour les privilégiés que nous sommes, par le libéralisme économique. On veut ignorer que ce régime exclut et réprime celles et ceux qui ne sont pas immédiatement insérés dans le système d’accumulation des profits.
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