lundi 13 mars 2006

Des économies qui peuvent coûter cher

Lire l'article de Didier Estoppey dans Le Courrier

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Suisse«Comment allons-nous faire face à la situation?» Mandataire du Service d'aide juridique au exilés (SAJE) à Vallorbe, Sandra Antrilli ne cache pas son inquiétude. Dès le 1er avril prochain, le temps de séjour maximal dans les CERA (Centres d'enregistrement pour requérants d'asile) sera porté de 30 à 60 jours. Une mesure qui fait partie de celles récemment adoptées par le Conseil fédéral pour «réduire les coûts de l'asile».
Il y a deux ans, également le 1er avril, entrait en vigueur une autre mesure dite d'allègement budgétaire qui n'avait rien d'une farce: celle privant d'aide sociale les requérants s'étant vu signifier une non entrée en matière (NEM). Mis à la rue, les requérants ont été de plus en plus nombreux à se tourner vers le SAJE, qui a vu le nombre de ses consultations doubler entre 2003 et 2005.
Mais faute de tout financement public, le SAJE peine à adapter l'offre à la demande: à Vallorbe, il ne dispose en tout et pour tout que d'un poste de juriste à 70%, même si 8 bénévoles viennent l'épauler. «L'an dernier, nous avons vu passer 270 décisions de NEM, et recouru sur 54, explique Sandra Antrilli. Nous avons gagné dans une vingtaine de cas. Mais nous estimons ne toucher que 10% environ de la population du CERA.» La prolongation du temps de séjour visant officiellement à porter à deux tiers environ la proportion des décisions prises dans les CERA (contre 54% l'an dernier), le SAJE craint de crouler sous les demandes de recours.
Alors qu'aujourd'hui déjà, l'accès à un conseil juridique pour les requérants transitant par le CERA de Vallorbe est déjà loin d'être garanti: «Dans ces conditions, je ne suis pas certain que le droit de tout individu à une procédure équitable avec un recours effectif soit respecté», notait ainsi Alvaro Gil Robles, commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, dans le rapport qu'il a consacré l'an dernier à la Suisse. Un droit que la Confédération s'est pourtant engagée à respecter en ratifiant la Convention européenne des droits de l'homme.
Autre sujet d'inquiétude pour le SAJE: les décisions prises dans les quatre CERA du pays ne consistent pas qu'en des NEM. Celles-ci étaient au nombre de 1428 l'an dernier, contre 2250 décisions sur le fond (négatives, à 86 exceptions près). En faisant passer le temps de séjour dans les CERA à 60 jours, la Confédération s'offre la possibilité d'y garder les requérants déboutés durant les 30 jours de délai de recours qui suivent un refus, alors qu'ils sont pour l'instant attribués à des cantons, où l'accès à des services juridiques est plus facile.
Porte-parole de l'Office fédéral des migrations, Dominique Boillat se veut rassurant: «Ce serait trop compliqué pour nous de garder les requérants dans les CERA durant leur délai de recours. Ce nouveau délai de 60 jours devrait peu augmenter la population des CERA. Nous voulons juste nous offrir une marge de manoeuvre supplémentaire pour régler quelques cas sur place, mais ça ne concernera que peu de requérants.» Même si, officiellement, l'objectif avoué est d'augmenter le taux des décisions prises dans les CERA. Comprenne qui pourra...
Quoiqu'il en soit, c'est sur un plan humain que la décision du Conseil fédéral fait aussi grincer des dents: «Trente jours dans un CERA, c'est déjà trop long, souligne Hélène Küng, aumônière protestante auprès des requérants à Vallorbe. Les gens vivent stressés dans la crainte d'une décision négative, et tournent en rond dans tous les sens du terme. Cette tension pèse aussi sur le personnel d'encadrement. En prolongeant encore ce temps de séjour, la Confédération prend le risque de créer un cocktail explosif.»

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