lundi 31 octobre 2005

Il ne leur reste que les yeux pour pleurer

Gérard Tinguely dans l'édition du week-end de La Liberté rend compte des pratiques de "profilage ethnique" dans les procédures d'asile en Suisse. En raison de différences culturelles pas prises en compte, l'incompréhension entre les requérants africains et les fonctionnaires Suisse est garantie.
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«Vous savez en Afrique, on ne s'occupe pas de ce genre de choses!» Ce fut la réponse, lors de son audition par l'Office des migrations (ODM), d'une requérante d'asile invitée à situer son village. Etait-il à l'est, au nord du Liberia? Le Suisse, qui a immédiatement à l'esprit la carte de son canton ou du monde, qui se repère dans des rues qui ont un nom et des numéros, a le droit d'être surpris, et il risque de réagir négativement. Mais peut-être ne sait-il pas que la tradition cartographique de l'Afrique est inexistante, que ses habitants lisent mal les cartes faute d'initiation, voire n'en ont jamais vu. Ce qui ne les empêche d'ailleurs pas d'arriver à bon port.

Il y a risque de malentendus entre deux cultures si la vision du monde et la manière d'aborder les problèmes du partenaire sont ignorées, dit un auteur. Pour Gaétan Nanchen, licencié en sciences politiques qui a étudié pour le Centre social protestant (GE) une centaine de demandes d'asile de ressortissants de six pays d'Afrique de l'Ouest, c'est bien de discrimination plus que de malentendus dont il faut parler.
«Un nombre conséquent vient en Suisse après avoir fui des actes de barbarie inimaginables. Malgré cela, comment concevoir qu'aucun d'entre eux ne nécessite une protection?» Pourtant, les statistiques 1994-2004 de l'ODM le confirment: très peu de leurs demandes d'asile ont été admises en première ou deuxième instance. Pour les Côte-d'Ivoire, Guinée, Guinée-Bissau, Liberia, Nigeria et Sierra Leone, le taux de décisions positives n'a été que de 0,49%. C'est seize fois moins que la moyenne «monde». Et le taux d'admissions provisoires (3 sur 100) a été près de neuf fois moins élevé pour ces six pays. Très étonnant, écrit le chercheur.
Mais quels sont les reproches usuels adressés aux Africains par un office qui veut des dates précises, le temps écoulé entre deux événements, les sigles des partis politiques? Ce sont surtout l'absence de documents d'identité, l'invraisemblance ou les contradictions des récits qui fâchent les fonctionnaires.
Les Africains représentent bien la majorité des requérants «sans-papiers». Et il ne faut pas le nier: beaucoup les détruisent ou les cachent pour ralentir leur renvoi si leur demande est refusée; ou pour éviter l'argument de l'ODM pour qui posséder un passeport prouverait la non-persécution dans son pays.
Mais pourquoi passer sous silence le fait que de nombreux Africains n'ont pas eu le temps de prendre leurs papiers, n'en ont jamais eu, vu les structures défaillantes de leur pays et un coût prohibitif? Sans compter l'éventuelle confiscation par les autorités, si l'on est un opposant ou seulement soupçonné de l'être.

Alors qu'il est si difficile d'obtenir des papiers, pourquoi en faire grief et tenter d'établir que l'Africain ment s'il ne connaît pas son âge exact (l'enregistrement systématique des naissances étant rare) et lui opposer à coup sûr une décision de non-entrée en matière?
Pour Gaétan Nanchen, le requérant africain ne vit pas et ne décrit pas une situation dans le même état d'esprit qu'un Occidental. Ses récits sont très dépouillés, sans beaucoup de détails et informations, de noms ou de lieux. Et s'il raconte son évasion de prison avec l'aide d'un garde, il se verra généralement répondre qu'il est «illogique qu'un gardien mette en péril sa carrière et s'expose à des mesures sévères». Tant il est évident pour un fonctionnaire helvétique qu'on doit faire bien son job.
Hélas, les différences culturelles et l'éducation moins poussée des Africains sont ignorées par les méthodes suisses d'asile. Celles-ci repèrent les tricheurs, certes, mais elles privent aussi de protection nombre de gens, constate le chercheur. Réclamer une adaptation des critères est donc la moindre des choses. Même si le climat actuel s'y prête peu. I
* L'Afrique et l'asile, 53 pages. Editeur: OSAR, case 8154, 3001 Berne. Tél. 031 370 75 75/ INFO@osar.ch

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