Vigiles sans papiers : Besson saisit la justice
Immigration. Des dizaines d’agents de sécurité affectés aux quais de la SNCF ont été exploités illégalement.
GAËL COGNÉ
Le grand patron de la SNCF a dû se faire souffler dans les bronches. Jeudi dernier, le ministre de l’Immigration, Eric Besson, décroche son combiné pour s’entretenir avec Guillaume Pépy. Au menu : le sort de dizaines de sans-papiers, «au moins 150», selon Dominique Malvaud, du syndicat Sud rail, qui travaillent sur les quais de la SNCF. Les services du ministre, avec la préfecture de police, ont commencé à mettre au jour un vaste système d’exploitation d’une main-d’œuvre sans papiers. Quatre jours plus tard, le ministre de l’Immigration transmet le dossier à la justice.
Selon nos renseignements, l’enquête confirme des informations révélées par Libération le 10 novembre dernier. Des éléments qui laissent supposer l’addition de trois délits et un crime. D’abord, il existerait un soupçon de filière d’immigration clandestine. Plusieurs sans-papiers auraient trouvé un emploi le jour même où ils arrivaient en France. Par ailleurs, les investigations montreraient des infractions au droit du travail. Les sans-papiers travaillaient au noir pour des salaires de l’ordre d’un tiers du Smic.
Indigne. Ensuite, ces agents, considérés comme des auxiliaires de la force publique, n’avaient pas d’habilitation préfectorale. Ou plutôt de fausses habilitations de la préfecture des Yvelines sous des noms d’emprunt. Ces documents leur permettaient notamment d’être couverts en cas de contrôle du chien, considéré comme une arme de troisième catégorie. Enfin, les policiers auraient découvert que les sans-papiers sous-payés travaillaient souvent sept jours sur sept, douze heures par jour, sans discontinuer. Vu leur situation, ils ne risquaient pas de déposer une plainte pour leurs conditions indignes de travail. Des pratiques proches de la traite d’êtres humains, c’est-à-dire d’un crime.
Il aura fallu attendre huit mois d’action collective pour que le combat de ces maîtres-chiens trouve un écho. Le jour où paraissait l’article de Libération, 39 sans-papiers soutenus par Sud rail prenaient le risque d’entamer un mouvement de protestation pour obtenir leur régularisation - l’un d’entre eux a eu ses papiers depuis. Sur des quais de gare de banlieue (les lignes C et D du RER sont concernées), nous avions rencontré Mamadou, Isaac, Amara, Solo… Parfois, le dernier train parti, ils dormaient dehors, sur un banc, par un froid glacial. Pas de papiers, pas de certificats (ou un faux) pour exercer le métier d’agent cynophile de sécurité, pas de bulletin de salaire, juste quelques virements et des badges pour pointer. «On avait souvent six ou sept mois de salaire en retard», raconte l’un d’eux. Adama travaillait «souvent de 19 heures à 2 heures du matin. Des fois cinq jours par semaine, des fois toute la semaine». Les heures de retard étaient sanctionnées de lourdes amendes. Ainsi, Solo devait «100 euros» à partir d’«un quart d’heure de retard» alors qu’il gagnait «8 euros» de l’heure.
«Grave». Lors de notre enquête, la SNCF - qui n’a pu être jointe hier - avait affirmé ne pas avoir eu connaissance cette situation. L’entreprise avait rejeté la responsabilité sur son sous-traitant, la société Vigimark, qui, semble-t-il, sous-traitait elle-même illégalement auprès d’autres sociétés douteuses.
Eric Besson n’aurait eu connaissance du scandale que le 24 juin, lorsque militants de Sud rail et représentants des sans-papiers avaient pénétré dans son ministère pour lui en faire part. Une enquête a alors été diligentée par le ministre. Sans attendre, ce dernier a pris officiellement fait et cause pour ces sans-papiers, qualifiant, dimanche, l’affaire de «grave».
Pour lui, «on n’échappera pas à une discussion, mais ce n’est pas à moi de la mener, sur la responsabilité de la SNCF. Etait-elle un peu, pas du tout informée ?» Informée, elle l’était au moins depuis l’automne par le syndicat Sud rail puis par quelques articles de presse, sans compter que les maîtres-chiens travaillaient en binôme avec des cheminots. Aujourd’hui, selon Dominique Malvaud, la quasi-totalité de ces 38 maîtres-chiens devrait être régularisée.
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