Affichage des articles dont le libellé est opinion. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est opinion. Afficher tous les articles

vendredi 28 septembre 2012

Roms à Marseille : les mystères d’une « expulsion »

Que s’est-il passé, jeudi soir vers 19 heures, à Marseille ? Les sites de presse du matin, reprenant tous une brève de La Provence, et une dépêche de l’AFP, font un concours de synonymes.

Une trentaine d’habitants de Marseille ont « expulsé » (Le Parisien) des Roms qui occupaient depuis quelques jours un terrain proche de la cité des Créneaux. Ils les ont « délogés » (Europe 1) ; « chassés » (Le Point) ; « fait fuir » (FranceTV.info). Aucun journaliste n’ayant assisté à la scène, il faudra s’en tenir aux versions des habitants (ou des Roms délogés, mais cela semble plus improbable).

La police avait-elle des consignes ?

Ou encore des policiers. Car la police, selon l’AFP, a assisté à la scène. Sans intervenir, apparemment, puisque « l’expulsion », ou la « chasse », a été menée à son terme. D’où quelques questions du matin : la police avait-elle des consignes ? En a-t-elle demandé à la préfecture pendant que se déroulaient les faits ? Ladite préfecture en a-t-elle à son tour demandé au ministère de l’Intérieur ?

Questions d’autant plus pressantes que les habitants, dans l’après-midi, avaient prévenu la maire socialiste des XVe et XVIe arrondissements de Marseille, Samia Ghali, celle qui avait, voici quelques semaines, demandé au gouvernement l’intervention de l’armée pour régler les problèmes de sécurité, de leur intention de passer à l’action, si les Roms n’étaient pas délogés par la police.

On peut imaginer que l’élue a elle-même averti la préfecture, laquelle a donc disposé de quelques heures pour arrêter sa ligne de conduite. On serait dans un Etat de droit, et plus encore dans un Etat de droit sous un gouvernement de gauche, ces questions seraient posées, et le gouvernement (de gauche) aurait à cœur de ne pas laisser accréditer le soupçon qu’il laisse se constituer des milices spontanées d’évacuation des Roms. Mais patience. Elles le seront peut-être.

Valls aussi peut parfois être laxiste

Dans la foulée, ces habitants ont incendié ce qui restait sur le campement après le départ des Roms, à savoir des vêtements et de l’électroménager. La police, qui n’a verbalisé personne, maintient pourtant qu’aucune infraction n’a été relevée.

Avis aux amateurs : incendier, sous les yeux de la police, le bien d’autrui, ne constitue plus une infraction. Où l’on découvre que Manuel Valls, mais oui, peut aussi parfois être laxiste.

Daniel Schneidermann sur Rue89

«Nous avons perdu la maîtrise de la politique migratoire»

Les lois migratoires sont durcies, mais ne sont qu’en partie appliquées, constate Henri Rothen, le chef du Service vaudois de la population, à l’heure de prendre sa retraite. Il s’inquiète pour la crédibilité écornée de l’Etat et les effets pervers de cette situation.

La politique migratoire se décide à Berne, puis les cantons se coltinent l’application des tours de vis aux lois fédérales sur les étrangers et l’asile. Chef du Service vaudois de la population (SPOP), Henri Rothen a vécu 11 ans le quotidien de la migration sous l’angle administratif. Prenant sa retraite à la fin du mois, il tire un bilan qui claque comme un avertissement: «Je n’ai pas d’amertume, mais je m’inquiète de la perte de crédibilité d’un Etat qui décide des politiques sans avoir les moyens de les appliquer.»

Titulaire d’un diplôme d’économiste en entreprise, Henri Rothen identifie un fil rouge à sa carrière: réformer des organisations en quête d’efficacité. Chez Bobst d’abord, pendant 13 ans. Puis il s’engage à l’Etat, qu’il servira pendant 27 ans. Comme secrétaire municipal d’Yverdon (5 ans) et secrétaire de l’Union des communes vaudoises; en qualité de directeur de la Fédération des hôpitaux vaudois (11 ans); enfin au SPOP, où il est recruté pour moderniser un service au lourd passif. Il en deviendra vite le chef respecté, travaillant en bonne entente avec quatre conseillers d’Etat aussi différents que Claude Ruey (libéral), Pierre Chiffelle (socialiste), Jean-Claude Mermoud (UDC) et Philippe Leuba (libéral). Ce n’est pas un mince exploit!

Les slogans et les effets de manche le laissent de marbre. Seuls comptent les faits. Alors que le débat sur l’asile polarise le pays, ce pragmatique aime rappeler que la procédure d’asile ne concerne que 2% des immigrés en Suisse; pour Vaud, 4500 personnes (requérants en procédure, déboutés ou au bénéfice d’une admission provisoire) sur 240 000 immigrés installés en toute légalité. «Ce décalage illustre l’exploitation intensive de la migration à des fins politiques», soutient Henri Rothen. Il renvoie dos à dos la droite nationaliste et la gauche: «Les deux camps font de l’immigration un business idéologique, ce qui ne permet pas de trouver des solutions.»

L’agitation politique sur les questions migratoires va de pair avec une fuite en avant, regrette Henri Rothen: «Des procédures parlementaires accélérées conduisent à multiplier des mesures d’urgence alors qu’il faudrait viser un horizon lointain.» Il salue les orientations «prometteuses» prises par la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga – raccourcir les procédures, «la mère des batailles», et travailler sur l’aide au retour et la signature d’accords de réadmission.

Mais c’est sur le terrain que ça coince. Les décisions de renvois prises par l’Office fédéral des migrations en matière d’asile et par le canton dans le domaine des étrangers «ne sont bien trop souvent pas exécutées», pour toute une série de raisons qui signent «l’impuissance de l’Etat». Henri Rothen donne deux exemples de «l’hypocrisie ambiante»: le travail clandestin reste toléré dans des proportions élevées malgré un arsenal législatif contre le travail au noir qui n’a jamais été aussi développé; les discours musclés sur le renvoi des étrangers criminels jettent un nuage de fumée sur l’échec à renvoyer des milliers d’immigrés sans titre de séjour.

«Je ne suis pas un obsédé des renvois», se défend le Vaudois. C’est son honnêteté qui le pousse à parler: «Quand l’autorité d’exécution des renvois est impuissante à faire respecter les décisions prises au nom du droit, la crédibilité de l’Etat est affaiblie. On sous-estime les effets pervers. L’étape suivante, c’est le règne de l’arbitraire.»

L’impuissance à procéder aux renvois se nourrit d’un manque chronique de moyens policiers et d’une coordination déficiente entre acteurs de l’Etat, analyse Henri Rothen. L’administration, la police et la justice ne se parlent pas assez; chaque service obéit à des priorités propres, lesquelles ne se recoupent pas. «Nous sommes pourtant tous sur le même bateau!»

Le manque «dramatique» de places de détention administrative favorise les récalcitrants qui s’accrochent sans risque à une situation précaire; le temps passe et leur renvoi devient toujours plus aléatoire, sans que leur intégration s’améliore. Redoutant «une bombe à retardement», Henri Rothen constate, dépité, que Vaud est le plus mauvais élève pour la statistique cantonale des personnes à l’aide d’urgence (plus de 1000 cas à mi-2012). Un indice alarmant qui réveille le souvenir de la crise des «523»: Vaud avait défié Berne, tardant à renvoyer les réfugiés de la guerre des Balkans.

L’aide d’urgence prévoit un hébergement rudimentaire, en abri collectif, pour dissuader la prolongation du séjour. Mais dans le canton de Vaud, une personne sur deux à l’aide d’urgence obtient, par différentes voies de recours, le droit de rester dans son logement initial, moins spartiate. Le chef du SPOP le déplore et dénonce «une culture du recours qui dépossède l’administration de son pouvoir d’agir.» Il observe que des avocats et des professionnels de l’assistance aux migrants «vivent de ce business»: «Pour eux, chaque renvoi est un renvoi de trop. Mais est-ce responsable de prolonger le séjour de personnes à l’aide d’urgence, sans travail ni perspective d’intégration ?»

Si l’asile occupe trop de place dans le débat public, la migration légale et ses effets économiques, culturels et démographiques sont trop peu valorisés, regrette Henri Rothen. «L’immigration est toujours évoquée comme un problème, alors qu’une Suisse sans migration serait le problème!» Un peu plus de rationalité et de cohérence, un peu moins d’émotions et d’idéologie aideraient celles et ceux qui, chaque jour, doivent appliquer un droit décidé démocratiquement par les Suisses.

François Modoux dans le Temps

mercredi 26 septembre 2012

Ils en remettent une couche !

Courrier de lecteur paru dans 24 Heures

Non content d’avoir gagné la votation populaire concernant l’initiative sur le renvoi des criminels étrangers, le parti nationaliste de notre pays en remet une couche. Pour lui, l’étranger est la cause de tous les maux dont souffre notre pays. Mais on oublie que les étrangers vivant ici rendent de nombreux services en occupant des postes de travail peu ou mal rémunérés et, en plus, peu valorisants.

En ce qui concerne la nouvelle initiative sur le renvoi des criminels étrangers, on doit savoir que c’est un doublon de la première pour faire pression sur le Conseil fédéral. Ce dernier est gêné dans l’élaboration de la loi, car elle est excessive au regard du droit international, qui n’est pas quantité négligeable, contrairement à ce que les nationalistes nous disent.

Cette loi sur le renvoi d’étrangers est scélérate parce que arbitraire; un délit mineur peut occasionner un renvoi sans  recherche de la cause du méfait.

De tristes épisodes d’un passé récent nous montrent les dégâts qu’elle occasionne lors d’un renvoi forcé, jusqu’à la mort de celui qui se voit renvoyé dans son pays d’origine. De plus, on n’est pas certain que celui qui est expulsé ne court pas de risque dans son pays d’origine.

Ce n’est pas cette image-là qu’il faut donner de notre pays; il s’agit plutôt de conserver, voire de développer l’image d’une Suisse ouverte et humaniste.

Thierry Cortat, Delémont

jeudi 10 mai 2012

Une force dangereuse qui monte, le social-nationalisme

jn cuénod réflexions 24h ns La crise européenne a fait émerger une force qui prend de l’ampleur à chaque rendez-vous électoral, le social-nationalisme. Précisons d’emblée les termes. Le mot «populisme» – utilisé à tort et à travers pour qualifier l’extrême droite contemporaine – ne signifie rien. Dans une démocratie, les politiciens doivent forcément s’adresser au peuple, prendre en compte son avis et donc faire du «populisme».

Jusqu’ici, l’extrême droite actuelle a relevé surtout du national-libéralisme, comme l’UDC blochérienne, le Parti du progrès norvégien, celui de la Liberté aux Pays-Bas et d’autres formations de ce genre, actives surtout au nord de l’Europe.

Ces mouvements politiques défendent des thèmes xénophobes et racistes visant les immigrés et l’islam. Mais aucun d’entre eux ne remet en cause l’ordre démocratique; d’autant plus que, jusqu’à maintenant, ils n’ont pas à se plaindre du verdict des urnes. En outre, ils sont, pour la plupart, des partisans de l’économie libérale. Enfin, ces nationalistes libéraux n’organisent pas de milices. Il s’agit avant tout de formations bourgeoises.

L’autre extrême droite qui se développe aujourd’hui tient un discours différent et constitue un danger bien plus vif pour la démocratie. Il s’agit du social-nationalisme, le terme de national-socialisme renvoyant à une situation allemande de l’entre-deux-guerres qui ne correspond pas à notre époque. Toutefois, comme le fascisme originel italien et allemand, dont elle est l’héritière en ligne plus ou moins directe, cette extrême droite mêle dans son idéologie protection sociale, glorification de l’identité «raciale» et affirmation nationaliste. Elle prospère actuellement dans l’est et le sud-est de l’Europe. Son représentant grec, Aube dorée, vient d’entrer au parlement d’Athènes avec 21 députés sur 300. S’appuyant sur les mêmes bases idéologiques et de semblables méthodes violentes, le Jobbik hongrois dispose de 47 parlementaires sur 386 et l’Ataka bulgare, de 21 sur 240.

Sur de nombreux points, cette extrême droite se situe en rupture avec le national-libéralisme. Plus qu’au sein de la bourgeoisie, elle recrute dans les milieux populaires. Loin de défendre le libéralisme économique, elle le voue aux gémonies. Mais, surtout, le social-nationalisme se distingue par l’emploi qu’il fait de ses milices. Aube dorée et Jobbik disposent de groupes organisés militairement, qui investissent certains villages ou quartiers pour tabasser les immigrés et les Roms. Si le national-libéralisme reste dans les clous de la démocratie, le social-nationalisme en sort carrément.

Dans un Etat de droit, le monopole de la violence légitime doit rester dans les mains d’une force neutre, agissant sous le contrôle du pouvoir judiciaire. C’est pourquoi la police et la préservation de son monopole deviennent un thème politique majeur.

Jean-Noël Cuénod, Paris, dans 24 Heures

mardi 18 octobre 2011

C’est l’histoire d’un bouc

Le récent kidnapping de Zottel a fait réagir un de nos lecteurs.

image d'archiveQue le bouc, mascotte de l'UDC, et son congénère aient réellement été kidnappés, ou que ce soit une manœuvre de ce parti pour faire parler de lui avant les élections, n'est finalement que de la petite bière. Mais dans un article consacré à ce sujet dans un quotidien gratuit, on apprend de la bouche d'une spécialiste des animaux que: "ce brusque changement de lieu de vie peut traumatiser les deux boucs, car cela provoque beaucoup de stress pour les animaux et peut, plus tard, causer des dégâts dans leur vie".
Soit... Mais je propose aux lecteurs un petit exercice: dire cette phrase à haute voix en remplaçant "ce brusque changement de lieu de vie" par "la politique de l'UDC", "les deux boucs" par "les immigrés", et "les animaux" par "les êtres humains". Ainsi, on aura enfin l'impression de se poser une vraie et importante question.
Mais il est vrai que pour l'UDC, les chèvres d'origine suisse ont plus de valeur, et méritent plus d'égards, que les personnes d'origine étrangère...

 

Philippe Thonney, Lausanne

vendredi 14 octobre 2011

Racisme anti-Roms en Europe, l'alerte bulgare

Depuis près de deux semaines, la Bulgarie connaît de violentes manifestations racistes anti-Roms. Organisées par l'extrême droite, en particulier le parti Ataka ("Attaque") rejoint par des hooligans, elles se déploient dans une vingtaine de villes du pays, rassemblant plusieurs milliers de personnes. Lors des défilés, des slogans néonazis tels "les Roms en savon !" sont scandés par la foule.

Le point de départ de ces manifestations racistes a été un meurtre perpétré dans la petite ville de Katounitsa par les hommes de main du parrain de la mafia rom locale. Cependant, confondre le point de départ de l'incendie avec ses causes profondes serait une erreur criminelle.

Si ces manifestations rassemblent autant et aussi violemment, c'est que le terrain, travaillé depuis de nombreuses années, est désormais propices à de tels agissements, qui concernent la Bulgarie aujourd'hui mais qui pourraient concerner d'autres pays européens demain. Plusieurs raisons peuvent expliquer cet état de fait.

Tout d'abord, les stéréotypes et les préjugés stigmatisant les Roms ou d'autres catégories de populations (musulmans, immigrés, juifs…) s'expriment avec de plus en plus de facilité et circulent en toute permissivité partout sur le continent. Or les tabous sur la parole raciste et antisémite sont nécessaires à une société démocratique.

Ensuite, cela fait maintenant de nombreuses années que les Roms sont, dans toute l'Europe, la cible d'insupportables actes de violence sans que cela ne suscite de justes et fortes protestations politiques ou de la société civile.

Par exemple, en Hongrie, des individus sont assassinés parce que Roms. A Baia Mare et Tarlungeni en Roumanie, comme à Michalovce, Košice, Prešov et Svinia en Slovaquie, ils sont concentrés dans des ghettos où les conditions de vie sont indignes. En Serbie, en Moldavie, comme en France et en Allemagne, ils sont victimes de discriminations quotidiennes.

Ainsi, le peu de réactions que ces violences ont suscitées jusqu'à présent permet un passage à l'acte plus aisé aujourd'hui, en Bulgarie comme ailleurs. Enfin, l'extrême droite s'est organisée, structurée et renforcée ces dernières années partout en Europe.

Les partis d'extrême droite remportent des succès électoraux, comme le Jobbik en Hongrie, le Parti de la Liberté aux Pays-Bas, ou Ataka en Bulgarie. Les mouvements d'extrême droite exercent une influence sur certains partis de gouvernements, comme au Danemark, et séduisent de plus en plus de personnalités.

Au moment où la construction européenne est en crise, l'extrême droite, sous ses différentes composantes, propose un véritable modèle de structuration politique du continent, fondé sur le racisme et les discriminations raciales. Ce projet est sous-tendu par l'esprit de "guerre civile européenne" et l'obsession de "l'ennemi intérieur" à identifier et à exterminer et qui serait, selon les moments et les pays, le musulman, le Rom, le juif, etc.

A l'opposé de ce funeste projet, dont la mise en acte à la suite d'une prise de pouvoir des extrêmes droites européennes ne peut être totalement exclue, les sociétés civiles européennes antiracistes s'unissent désormais pour faire vivre un modèle européen véritablement démocratique car débarrassé du racisme, de l'antisémitisme et des discriminations raciales.

Samedi 1er octobre fut à ce titre un jour fondateur. Ce jour-là, les sociétés civiles de nombreux pays européens, menées par les organisations antiracistes membres de l'EGAM et leurs partenaires Roms, se sont mobilisées ensemble pour la première "Roma Pride".

Elles ont notamment exprimé leur rejet du racisme et leur solidarité avec les Roms bulgares, fait pression sur les autorités européennes, nationales et locales pour qu'elles réagissent fermement aux violences racistes en protégeant la population et les organisations Roms.

En Norvège, au Danemark, en Belgique, en France, mais également en Roumanie, où près de 400 personnes ont défilé dans la plus grande manifestation de l'année, et en Bulgarie, où des rassemblements publics se sont tenus dans 15 villes malgré les menaces, des dirigeants associatifs, des politiques, des intellectuels, des artistes et des milliers d'autres personnes se sont rassemblés pour faire Europe ensemble. Une Europe des valeurs partagées d'égalité et de dignité, une Europe construite par les actions communes des sociétés civiles en mouvement.

Le silence assourdissant, politique et militant, lors des ratonades de janvier 2010 contre les migrants noirs de Rosarno, dans le Sud de l'Italie, qui avait donné le coup d'envoi de la constitution de l'EGAM, paraît lointain.

Désormais, c'est avec force et conviction que les sociétés civiles européennes s'unissent pour faire vivre le rêve européen d'un continent débarrassé du racisme, de l'antisémitisme et des discriminations raciales.

Benjamin Abtan, secrétaire général du European Grassroots Antiracist Movement (EGAM), dans la rubrique Point de Vue du Monde

vendredi 7 octobre 2011

«Vol spécial», le grand malentendu

Il y a malentendu quand l’auteur présente son film comme un documentaire et qu’il se défend d’avoir produit un film militant. Ce serait plus honnête de sa part de reconnaître que «Vol spécial» porte une charge délibérée contre un système à ses yeux insupportable.

Vol spécial, le film de Fernand Melgar sur la détention administrative, suscite l’émotion en salles, mais il déchaîne aussi les passions et devient un enjeu politique. Le cinéaste, au nom d’un choix artistique qui lui appartient et qui n’est pas contestable en soi, livre une vision univoque de ces mesures coercitives.

Le procédé consistant à restituer la parole brute des migrants assujettis aux mesures de contrainte en vue de leur refoulement, à l’exclusion d’autres points de vue, est d’une efficacité redoutable. Mais il y a malentendu quand l’auteur présente son film comme un documentaire et qu’il se défend d’avoir produit un film militant. Ce serait plus honnête de sa part de reconnaître que Vol spécial porte une charge délibérée contre un système à ses yeux insupportable. D’ailleurs, les artistes qui viennent de lancer une pétition demandant la fermeture des centres de détention et la fin des vols spéciaux au nom de valeurs humanistes valident, a posteriori, le message militant de Melgar.

Aussi pénible que puisse être le recours à la détention administrative, aussi désagréable est le sentiment d’être sournoisement manipulé. Par petites touches, Vol spécial brosse un tableau impressionniste qui arrache des larmes aux plus sensibles ou ébranle les durs à cuire. Mais, à se focaliser sur des destins individuels restitués de façon sélective, et à ignorer le contexte et les questions de fond, Vol spécial sert-il vraiment la cause de ceux qu’il prétend défendre?

Les Suisses qui ont, en majorité, donné leur accord aux mesures de contrainte n’ont pas tous cédé à un réflexe de xénophobie. Ils n’ont pas donné un chèque en blanc pour une application arbitraire de la détention administrative. Et ils sont fondés à redouter que la non-exécution des renvois, si elle devient la règle, nourrira la xénophobie.

Il faut en revanche reconnaître un mérite à Vol spécial: la détresse et la détermination de certains protagonistes à tout supporter pour éviter leur expulsion renvoient l’Etat à son impuissance. Le degré insupportable de violence requise pour que soit respecté un acte de souveraineté rend celui-ci dérisoire et en affaiblit la légitimité. Surtout quand l’histoire se déroule dans un pays prospère. Depuis deux décennies, la Suisse a créé une machine d’une lourdeur et d’une complexité écrasantes – la détention administrative en est un rouage – pour se protéger de quelques milliers de migrants indésirables alors qu’il existe 20 millions de réfugiés en Afrique. N’est-il pas temps de dédramatiser la migration?

Editorial de François Modoux dans le Temps

samedi 1 octobre 2011

Roms, Libye, voile : le monde rêvé (et déconnecté) d'Arno Klarsfeld

Jeudi 27 octobre, Arno Klarsfeld s'est rendu dans le Nord pour visiter un Centre d'accueil des demandeurs d'asile (Cada). Interrogé par La Voix du Nord, il s'est expliqué sur des récentes déclarations lors d'un voyage à Bucarest qui ont choqué (« On ne fait pas huit enfants quand on n'a qu'une pièce »).

Dans l'émission « Internationales », dimanche sur TV5, Arno Klarsfeld, président du conseil d'administration de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii), a prononcé de nouvelles phrases qui ont choqué des lecteurs de Rue89, dont un riverain qui nous écrit :

« Nous étions quelques expatriés à suivre l'émission hier soir et n'en sommes toujours pas revenus !Partagés entre incrédulité et fous rires, nous nous demandons encore si nous avons bien vu ce que nous avons vu et entendu ce que nous avons entendu tant la chose est surréaliste. »

L'avocat Arno Klarsfeld paraît, en effet, à certains moments à côté de la plaque ou très fleur bleue. Au point qu'on peut se demander s'il est dans son état normal. Retour sur les moments « forts » et inquiétants de l'émission.

Le peuple rom est « talentueux »

Arno Klarsfeld rappelle qu'en 1993, il est allé en car en Allemagne avec ses parents (« une nuit de car »), où des foyers roms étaient brûlés par des néo-nazis, pour manifester et les soutenir. « Donc je me suis engagé pour les Roms. » L'anecdote est censée lui donner, d'entrée de jeu, un brevet de non-racisme.

Plus tard, Arno Klarsfeld, de façon incongrue, se met à faire l'éloge des Roms :

« Le peuple rom est tellement talentueux. On voit les enfants, on a envie de pleurer, parce qu'ils sont tellement vifs, tellement intelligents. Et trente ans après, on les retrouve fatigués. »

Lire la suite de cet article de Nolwenn Le Blevennec sur Rue89

samedi 17 septembre 2011

Détournement médiatique de “ Vol Spécial”

Jamais sans doute un film suisse n'aura fait l'objet d'un tel battage médiatique: "Vol spécial", de Fernand Melgar, qui sort prochainement en salle, est instrumentalisé sans vergogne par les médias pour faire la leçon aux Suisses, à qui il faut faire payer le fait d'avoir voulu une politique d'asile rigoureuse.

Au Festival de Locarno déjà, on ne parlait (enfin, les médias dominants, service public en tête), que de ce film. Déjà aussi, on nous expliquait que nous devrions avoir honte, que nous devrions nous repentir et nous jeter des cendres sur la tête. Même Micheline Calmy-Rey avait poussé d'un air grave le refrain obligatoire chez les bien-pensants, quitte à dégommer par-derrière la politique de la Confédération.

Fernand Melgar est un cinéaste habile, d'aucuns diraient manipulateur. Son origine étrangère est un capital inestimable aux yeux des Justes, bien entendu; et son langage cinématographique, qui consiste à susciter l'émotion en s'intéressant à des destins individuels, mais jamais aux questions de fond, est terriblement efficace. Qui n'aurait pitié d'un destin individuel tragique, qui n'aurait envie de dire "il faut faire quelque chose"? Dans les années 70, un auteur français avait tourné le problème d'une élégante façon, parlant du chômage: "Un chômeur c'est un drame, 100000 chômeurs, c'est une statistique."

Et c'est sur ce ressort émotionnel que jouent systématiquement les groupes, paroisses, mouvements et assoces innombrables, qui veulent s'opposer à l'expulsion de tel requérant débouté: c'est le roi des bons types, il travaille, il est bien intégré, etc. En face, bien évidemment, ceux qui prennent les décisions sont des salauds, des sans-cœur, tout comme ceux - vous et moi, la majorité des Suisses - qui ont voulu cette politique d'asile, non pas par xénophobie, mais par le souci de ne pas laisser s'installer des situations qui, elles, de manière certaine, conduisent à la xénophobie.

Je ne reproche nullement à Fernand Melgar d'avoir réalisé ce film, et je ne lui reproche pas davantage de tirer à fond sur la corde émotionnelle: c'est un choix artistique et il est, on l'a dit, efficace dans son genre. En revanche, que penser, par exemple, de La Première, radio de service public financée par l'impôt déguisé de la redevance - même ceux qui n'ont ni radio ni télé payeront désormais! - qui consacre plusieurs émissions de grande écoute à "Vol spécial" - dont le ton ne sera sans doute pas très critique? On connaît les penchants idéologiques du service public, on connaît son obsession de sans cesse inculquer au public ignorant les principes de la pensée correcte, les beautés de l'immigration et les joies du métissage.

Bien sûr, le peuple, dans les urnes, manifeste régulièrement son opposition forte à cette pensée unique; mais l'arrogance de nos maîtres à penser les conduit à croire que plus ils sont isolés, plus ils ont raison, plus le peuple doit être éduqué, voire puni.

Pourquoi n'y a-t-il pas de concurrence face au rouleau compresseur de la RTS?

Philippe Barraud, journaliste, invité du Nouvelliste

mercredi 7 septembre 2011

Contrôle de l'exécution des renvois : la FEPS a-t-elle pris la bonne décision?

La décision de la Fédération des Églises protestantes de Suisse (FEPS) de se charger du contrôle de l’exécution des renvois pour une période pilote de six mois a soulevé des vagues. Était-ce une bonne décision ? La FEPS aurait pu, sans aucun doute, se tenir à l’écart de cette délicate question de l’exécution des renvois, elle aurait pu continuer à se réclamer des droits humains et de la dignité humaine sans prendre elle-même de responsabilité. Échappant ainsi au danger de se salir les mains. Aurait-elle pour autant été crédible ?

walter schmid En 1985, les Églises avaient exprimé leur position dans une déclaration à propos de la politique sur les réfugiés : il s’agissait d’être du côté des réfugiés. Cette position était courageuse, les Églises proposaient ainsi une orientation non seulement à leurs membres, mais aussi à la société. Depuis lors, elles s’y sont tenues dans tous les débats concernant la politique d’asile, même lorsque, bien souvent, les fidèles ne les ont pas suivies à l’occasion des votations.

Le fait d’être aux côtés des réfugiés n’a jamais voulu dire, pour les Églises, que tout requérant d’asile devait se voir reconnaître la qualité de réfugié, ni qu’il fallait lui accorder le droit de rester en Suisse. Mais plutôt que celles et ceux qui se trouvent dans la misère et la détresse peuvent compter sur elles. Cette affirmation concerne particulièrement les personnes les plus vulnérables, celles que l’on renvoie et dont il faut préserver la dignité, même lorsqu’elles ne peuvent pas faire valoir leur droit à l’asile.

Voici maintenant une trentaine d’années que les services d’entraide des Églises se sont chargés des procédures d’asile. Leurs représentants participent aux enquêtes. S’ils ne peuvent pas influencer directement le résultat de la procédure officielle, leur présence, leurs questions, la transmission de leurs observations contribuent à créer un climat favorable dans ces enquêtes, à élucider la situation et à garantir le respect dans la relation avec les requérants. Des milliers de militants et militantes, pour une bonne part citoyens et citoyennes engagés dans les Églises, ont accompli dans le passé ce travail utile, se chargeant ainsi d’une responsabilité concrète.

Ne pas être des auxiliaires des organes officiels de l’État

N’est-il donc pas logique que les services d’entraide et les Églises soient impliqués de façon indépendante dans le suivi des renvois ? Cela ne fait pas d’eux des auxiliaires des organismes d’État. Ils n’agissent pas à la place des autorités qui doivent prendre la responsabilité de cette tâche extrêmement pénible. Mais ils contribuent au respect de la dignité  des personnes concernées par l’exécution de cette procédure, jusque dans  cette situation extrême.

Pour un suivi crédible, il est en tout cas indispensable de bien répartir les rôles, de définir les possibilités d’intervention et de garantir l’indépendance. C’est le cas ici. Les droits humains et la dignité humaine ne sont pas des concepts abstraits auxquels on pourrait ou non adhérer. Ce qui compte, c’est qu’ils soient mis en œuvre au quotidien. Là où s’exerce la contrainte d’État, ces notions se trouvent particulièrement menacées. En s’engageant, l’Église ne perd pas de sa crédibilité, elle en acquiert si, justement, elle ne cherche pas à se dérober devant cette difficile question des renvois. (RR)

Walter Schmid* dans ProtestInfo

 

 

*Le texte de Walter Schmid a été publié dans l'hebdomadaire réformé alémanique reformierte presse le 5 août. Il répondait à Pierre Bühler, professeur de théologie à l'Université de Zurich, qui avait publié un texte critique début juillet dans reformierte presse et ProtestInfo**. M. Schmid est directeur de la Hochschule Luzern Soziale Arbeit et membre du conseil de fondation d’EPER, l'oeuvre d'entraide protestante.

**Lire ou relire le texte de Pierre Bühler, intitulé : La FEPS et les renvois forcés de l’ODM : Une décision problématique concernant un dilemme difficile

dimanche 4 septembre 2011

Pour son directeur, la réorganisation de l'ODM a été sous-estimée

Le directeur de l’Office fédéral des migrations, Alard du Bois-Reymond, reconnaît que les efforts nécessaires à la réorganisation de l’office ont été sous-estimés, notamment dans le contexte du printemps arabe.

Alard du Bois-Reymond, directeur en partance de l’Office fédéral des migrations (ODM), reconnaît que les efforts nécessaires à la réorganisation de l’office ont été sous-estimés. De plus, le printemps arabe a surpris l’ODM «au pire moment». A moyen terme, les procédures vont s’améliorer et les affaires en suspens vont se stabiliser, a déclaré Alard du Bois-Reymond dans une interview parue dans la «NZZ am Sonntag». Le directeur de l’ODM reste convaincu de la justesse de la réorganisation introduite en 2010. M. du Bois-Reymond n’a pas voulu dévoiler les raisons de son licenciement pour fin octobre, décidé par la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga. «Je peux seulement affirmer qu’il n’existe aucun scandale, ni éclat derrière cette séparation». Il est toutefois inévitable de faire des erreurs dans un tel office, a-t-il ajouté.

Propos «imprudents»

Le directeur de l’ODM reconnaît que ses propos sur les demandeurs d’asile nigérians avaient été «imprudents». Alard du Bois-Reymond avait déclaré en avril 2010 que plus de 99% des ressortissants de ce pays ne venaient pas en tant que réfugiés mais pour faire des affaires et qu’une grande partie était impliquée dans des trafics de drogue. Ces déclarations avaient froissé les autorités nigérianes avec lesquelles la Suisse était en négociation au sujet de renvois de réfugiés. M. du Bois-Reymond note qu’un partenariat a finalement pu être conclu avec le Nigeria, qui fait office de modèle international. Alard du Bois-Reymond est déçu et très touché par les violentes critiques des cantons contre l’ODM. Avec la baisse de la durée de traitement des cas de 30%, l’ODM a nettement dépassé ses objectifs.

Le Matin

lundi 22 août 2011

Mauvais objet

anna lietti Dans le dernier film de Fernand Melgar, le directeur du centre de détention de Frambois refuse d’assumer le rôle du méchant. Il est loin d’être le seul. Ça sent le mal d’époque.

A Locarno comme dans le film, il portait une cravate rose.  Après la projection, il a dit sa reconnaissance: je fais un travail difficile, merci de le comprendre. Le directeur du centre de détention de Frambois, personnage central de Vol spécial de Fernand Melgar, est soucieux de son image et son message est clair: je suis un gentil.

Certes, Monsieur Claude remet des sans-papiers à la police pour qu’elle les embarque plus ou moins brutalement dans des avions, après les avoir plus ou moins «entravés». Mais il ne fait qu’exécuter la volonté du peuple citoyen. Sa mission, sa fierté, c’est d’accomplir sa tâche le plus humainement possible.

C’est ainsi que l’on voit, dans Vol spécial, ce fonctionnaire sensible promettre aux expulsés que les choses se passeront «bien gentiment.» Leur tapoter la nuque en leur souhaitant bonne chance. Et leur expliquer qu’ils ne sont pas seuls à souffrir: on est des êtres humains, on s’attache, et pour le personnel du centre aussi, la séparation est éprouvante.

C’est à ce moment du film que j’ai explosé intérieurement. Le documentaire de Fernand Melgar sortira en salle dans un mois et chacun pourra alors se faire une opinion sur la polémique qu’il a suscitée. Mais qu’elle ait éclaté ne me surprend pas: Vol spécial suscite un malaise lourd comme un ciel d’orage.

Pas du tout parce que c’est un film «fasciste», comme le prétend le président du jury du Festival de Locarno. Le documentaire de Melgar est remarquable et sa démarche pertinente: montrer, sans prendre parti, la réalité humaine derrière la loi, c’est fort, utile et suffisant dans le cadre d’un documentaire.

Non, si Vol spécial crée le malaise, c’est parce qu’il montre une décision brutale exécutée avec une douceur excessive. Parce qu’on y voit des expulsés recevoir un message paradoxal et que les messages paradoxaux, ça rend fou. Parce que celui qui exécute une sanction doit accepter, à un moment donné, d’assumer le rôle du méchant et que Monsieur Claude s’y refuse.

En psychanalyse, le méchant s’appelle le «mauvais objet», m’explique un ami qui en a vu d’autres. Il ne s’agit pas d’une personne mauvaise, mais d’une fonction: le mauvais objet est celui qui accepte de voir se cristalliser sur lui les frustrations et la colère, même s’il n’a rien fait de mal. Ainsi du parent qui relaie les interdits sociaux. Mais vous allez me dire: les parents aujourd’hui rêvent de n’être qu’amour et gentillesse, ils détestent interdire. Et vous aurez raison.

Je repensais à tout cela l’autre soir, en parcourant la rue de Bourg à Lausanne. Je slalomais entre les dealers de coke qui ont trouvé dans la capitale vaudoise un asile sûr et paisible. Je rentrais de Locarno, ma sensibilité était à vif: comment se peut-il, me disais-je, que malgré la sévérité de nos lois, ces clients rêvés pour un vol spécial continuent à narguer la police et à conforter les pires clichés anti-étrangers? Lausanne serait-elle gouvernée par l’UDC qui en fait une vitrine-repoussoir? Ben non, c’est le contraire. La majorité lausannoise est à gauche et elle rechigne à se montrer trop méchante avec des dealers africains.

Je résume: les parents répugnent à jouer les flics de service, les flics de service ne peuvent plus faire leur travail. Plus personne ne veut être le mauvais objet, tout le monde veut porter une cravate rose, comme Monsieur Claude. Les psychiatres ont de beaux jours devant eux. L’UDC aussi.

Chronique d’Anna Lietti dans le Temps

Pour Gerold Bührer, l’attitude de l’UDC est «irresponsable»

Le président d’EconomieSuisse condamne avec force l’initiative contre l’immigration.

gerold bührer opinion udc

Quand il siégeait au Conseil national, Gerold Bührer appartenait à l’aile économique du Parti libéral-radical. Il nouait régulièrement des alliances avec l’UDC. Mais aujourd’hui, le président d’EconomieSuisse, qui a quitté le National en 2007, critique vertement l’initiative de l’UDC «Contre l’immigration de masse», car elle s’en prend à la libre circulation des personnes en demandant une nouvelle négociation. Interview.

Les questions liées aux migrations et à la libre circulation posées par l’UDC ne sont-elles pas légitimes?

Bien sûr. En démocratie directe, on ne refuse pas le débat. Mais l’UDC sait parfaitement que ses solutions sont inapplicables. Et que, même si elles devaient l’être, elles seraient négatives pour l’économie et l’emploi. C’est une attitude irresponsable. Ce parti crée et exploite politiquement les peurs au lieu de chercher des solutions aux problèmes qui découlent de l’ouverture.

Près des 40% des entreprises contrôlées ont été épinglées par le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO) pour sous-enchère salariale. Il y a un problème!

Personne ne le conteste, même si, sur ces 40%, seuls 10% sont des cas graves selon le SECO. De plus, les contrôles sont ciblés sur les branches où les problèmes sont connus. EconomieSuisse et l’Union patronale veulent corriger les défauts du système avec l’amélioration des mesures d’accompagnement. On peut aussi envisager de discuter d’une nouvelle clause de sauvegarde migratoire avec l’Union européenne (UE) en cas d’urgence. Toutefois, remettre en cause le système de la libre circulation serait fatal pour l’économie et l’emploi!

Pourtant, c’est ce que font avec succès le Mouvement citoyens genevois (MCG) ou la Lega dei Ticinesi. Autant de voix pour le texte de l’UDC?

Je sens un malaise même dans mon canton, Schaffhouse. Des secteurs comme la médecine ou la finance sont soumis à une nouvelle concurrence. Mais, tout compte fait, cette concurrence est positive et ne fait pas augmenter le chômage. De plus, des emplois ont été créés grâce à cette flexibilité. Ces migrants viennent pour travailler. L’UDC sait d’ailleurs très bien que les problèmes d’intégration, qui parfois conduisent à la criminalité, ont plutôt leurs racines dans les années des contingents, et pas dans la libre circulation. Mais elle joue sur des amalgames.

Christoph Blocher affirme que «la Suisse s’en sortirait très bien sans les accords bilatéraux».

C’est faux! La Suisse doit miser sur trois piliers: le multilatéralisme, certes mal en point, de l’Organisation mondiale du commerce; les accords de libre-échange bilatéraux, comme celui en cours avec la Chine; les accords bilatéraux avec l’UE, vers laquelle près de 60% de nos exportations se dirigent toujours. Le prix de l’accès aux marchés, c’est l’ouverture du nôtre. Briser un de ces piliers serait irresponsable.

La Suisse a longtemps misé avec succès sur des contingents. Pourquoi ne pas recommencer?

Ces contingents n’ont pas été un grand succès, mais avant tout un système administrativement lourd, notamment pour les entreprises. Et depuis lors, le monde a évolué. Notre réseau d’accords internationaux s’est densifié. Changer de système constituerait un trop grand risque. Pour les entreprises, le retour des contingents constituerait aussi un surcroît de bureaucratie et une perte de flexibilité. Cela surprend de voir l’UDC, un parti bourgeois aux dernières nouvelles, proposer cela.

Christoph Blocher s’affiche à la pointe dans ce combat. L’UDC a-t-elle divorcé des milieux économiques qui l’aimaient tant?

Disons que, chez Christoph Blocher, il y a le brillant entrepreneur et le politicien. Dans ce dossier, le second a pris le dessus. Et si nous sommes sur la même longueur d’onde sur des thèmes comme les dépenses publiques, la fiscalité ou l’énergie, ce dossier est celui qui nous divise le plus. Mais l’initiative «Contre l’immigration de masse» divise aussi l’UDC, puisque plusieurs chefs d’entreprise ont pris leurs distances.

Craignez-vous le prochain élargissement, qui concernerait les Balkans avec la Croatie?

Non. Les Suisses sont certes critiques, mais ils sont avant tout rationnels et pragmatiques. Se jeter dans l’inconnu ne leur plaît pas. Ils continueront à soutenir la voie bilatérale.

Romain Clivaz, Zürich, pour 24 Heures

samedi 20 août 2011

Les mots de travers de l’UDC

On ne doutait pas de la capacité de l’UDC à savoir exploiter très rapidement les faits divers tragiques où les étrangers ont le mauvais rôle. Elle vient, sans surprise, de le faire avec les deux drames survenus le 15 août, à Pfäffikon (ZH) et Interlaken (BE), dont l’un touchait un «lutteur douze fois couronné».

«Un Kosovar abat la responsable des services sociaux!» «Des Kosovars poignardent un Suisse!» On ne doutait pas de la capacité de l’UDC à savoir exploiter très rapidement les faits divers tragiques où les étrangers ont le mauvais rôle. Elle vient, sans surprise, de le faire avec les deux drames survenus le 15 août, à Pfäffikon (ZH) et Interlaken (BE), dont l’un touchait un «lutteur douze fois couronné».

La voilà donc avec deux tout nouveaux titres inspirés de l’actualité pour décliner son annonce qui fait la promotion de son initiative «pour stopper l’immigration massive». Et, par ricochet, renvoie à celle «pour le renvoi des étrangers criminels». L’ambassade du Kosovo a d’ailleurs dû sentir le vent du boulet et la récupération politique. Car elle avait jugé nécessaire, quelques heures plus tôt, d’envoyer un fax aux rédactions pour condamner ces actes.

Mais vouloir agir plus vite que son ombre comporte un risque. Dans son communiqué visant à promouvoir sa nouvelle campagne d’affichage, dénoncer l’«attitude passive» du gouvernement et se plaindre des journaux qui refusent de publier l’annonce, l’UDC s’inflige un joli autogoal. Et nous offre un contresens bien en évidence dans le titre. Voilà ce qu’écrit le parti: «Il est temps que le Conseil fédéral agisse contre les étrangers criminels et l’émigration de masse.» Tiens donc. L’UDC ne brandit plus la menace d’une invasion d’étrangers, mais préfère s’inquiéter d’un exode massif aussi soudain qu’inexplicable des Suisses? Encore un mouvement migratoire qui semble nous avoir échappé.

Valérie de Graffenried dans le Temps

jeudi 18 août 2011

Clandestins mais pas criminels

Une récente jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne a jugé contraire au droit supérieur l’emprisonnement pour défaut de papiers d’identité de résidents illégaux. S’il est toujours possible de recourir à la contrainte – emprisonner un clandestin pour l’expulser –, le fait d’être sans titre de séjour ne devrait pas être passible de poursuites pénales.

Comment cette jurisprudence qui concerne un cas italien s’appliquera-t-elle en Suisse? A ce stade, les juristes consultés découvrent cet arrêt et les avis fluctuent au gré des personnes interviewées. On se réjouira tout d’abord que le bon sens ait – partiellement – prévalu. La forteresse Europe, que d’aucun veulent ériger sur le rejet et l’exclusion, pose bel et bien des problèmes en termes de droits fondamentaux.

Mais en cas de désaveu de la Suisse, qui pratique également une telle criminalisation des personnes en séjour illégal, on entend déjà la droite populiste en appeler au respect de la volonté populaire. Elle qui n’est jamais en reste pour présenter un texte contraire au droit supérieur(1): initiative contre les minarets, expulsion des criminels étrangers ou encore – le scud est parti le 1er août – l’initiative dite «contre l’immigration de masse».

En l’occurrence, ce dernier texte est contraire à la libre circulation des personnes qui vient pourtant d’être approuvée par le peuple il y a deux ans. Que se passera-t-il en cas d’acceptation de cette initiative? Le Conseil fédéral est chargé de renégocier les accords bilatéraux. On imagine d’ici la tête des dirigeants européens. Leur patience a des limites et la Suisse sera envoyée paître en des termes même pas polis.

Ce qui ne déplairait peut-être pas à la frange la plus excitée de l’extrême droite pour qui un bantoustan helvète n’est pas un épouvantail mais bien un sort enviable. En tous les cas, cela aurait l’intérêt de mettre la secte blochérienne devant ses contradictions. Car cela ruinerait tout simplement la Suisse; on doute que l’aile économique de l’UDC s’y retrouve. Et surtout, à force de refuser toute norme qui n’ait pas été adoubée par une Landsgemeinde, la formation conservatrice se place aussi en porte-à-faux de l’histoire dont elle prétend tirer sa vertu politique.

La Suisse doit son existence à un certain nombre de traités internationaux – celui de Westphalie et les traités consécutifs aux guerres napoléoniennes – contre les prétentions des Habsbourg honnis. Le droit protège le faible contre le fort, en bonne logique rousseauiste. Cela vaut pour les pays. Mais ce principe s’applique aussi aux personnes. Et c’est peut-être précisément ce qui déplait à la formation au bouc, qui œuvre au démantèlement des normes de protection sociale.

L’extrême droite montre son vrai visage à double titre. Son discours est populiste mais ne défend en rien les intérêts populaires. Et sa lecture de l’histoire n’est que propagandiste, voire pure manipulation.

Edito de Philippe Bach dans le Courrier

(1) La revue hebdomadaire Domaine public a consacré une série d'articles forts intéressants à cette problématique. Voir notamment Alex Dépraz, «Les conséquences d’une acception de l’initiative du 1er août», DP 1920, 8 août 2011.

mardi 16 août 2011

Une convention fêtée mais trahie

Le 28 juillet 2011, nous fêtions les 60 ans de la Convention relative au statut des réfugiés, texte adopté au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, dont l’objectif à l’époque peu contesté, était de réguler le sort de ceux dont les droits fondamentaux n’étaient pas respectés par leur propre Etat, en raison de leur race, de leur nationalité, de leur religion, de leurs opinions politiques ou encore de leur appartenance à un groupe social particulier.

A cette occasion, il est important de rappeler les bénéfices indéniables que des millions d’individus craignant pour leur vie et leur intégrité physique ont pu retirer de ce traité. Ce constat ne dispense pas pour autant d’un regard critique sur son application actuelle par les Etats signataires, et par la Suisse en particulier.

Si aucun Etat ne s’est aventuré à remettre ouvertement en cause son adhésion à la convention, la plupart d’entre eux cherchent à en limiter l’application. Premièrement en renforçant le contrôle des frontières pour entraver l’accès des demandeurs d’asile à leur territoire et deuxièmement par l’adoption, au niveau législatif, de clauses les autorisant à se dispenser d’examiner les demandes de protection dont ils sont saisis.

En Suisse, ces clauses, connues sous le nom de non-entrée en matière (NEM) se sont démultipliées au cours des innombrables révisions du droit d’asile qui ont ponctué les 25 dernières années, plaçant les demandeurs d’asile dans une situation juridique de plus en plus précaire. Au prétexte de trier les «bons» des «mauvais» réfugiés – catégories peu explicites mais manipulables à souhait - ces révisions ont peu à peu détourné le droit d’asile de son but, celui de protéger des individus en péril, pour servir de bras politique à une propagande virulente contre l’immigration extra-européenne.

Les différentes clauses de non-entrée en matière motivent près de 48% des décisions rendues par l’Office fédéral des migrations. Les décisions prises en vertu des accords de Dublin représentent à elles seules plus de 30% de celles-ci.

Ces accords prévoient que l’Etat membre par lequel un demandeur d’asile accède à l’Union européenne devient l’unique responsable du traitement de sa demande d’asile. Le droit des réfugiés se transforme ici en vaste loterie humaine, où seuls les plus chanceux accéderont à un Etat garantissant une procédure de détermination du statut de réfugié équitable et des conditions d’accueil dignes de ce nom.

Une loterie dont la Suisse a saisi qu’elle en serait le véritable bénéficiaire: située au cœur de l’Europe, ces accords lui permettent de se dessaisir d’un nombre croissant de demandes d’asile, sans violer ouvertement la Convention relative au statut des réfugiés et sans avoir à se préoccuper du sort de milliers d’êtres humains, parfois menacés de refoulement vers des Etats où ils risquent la mort ou la torture.

Marie-Claire Kunz, membre du comité de la coordination contre l’exclusion et la xénophobie, dans la Tribune de Genève

samedi 13 août 2011

La migration et le franc éclipsent l’énergie

L’effet Fukushima ne se fait plus ressentir. La situation économique commence à inquiéter les Suisses. Le PLR et le PDC relèvent la tête.

L’effet Fukushima? De l’histoire ancienne, si l’on en croit le dernier baromètre électoral réalisé entre le 25 juillet et le 6 août par l’institut gfs.bern pour le compte de la SSR. Les questions migratoires constituent la principale préoccupation des 2005 personnes interrogées, détrônant ainsi les problèmes environnementaux et climatiques. Elles sont citées comme le problème le plus urgent par 26% des personnes questionnées alors que 17% les placent au second rang de leurs soucis. L’environnement est cité en premier par 16% des sondés et comme deuxième préoccupation par 13%.

Quant à la situation économique, qui n’inquiétait quasiment personne lors des précédentes prises de température, elle occupe désormais le troisième rang des thèmes qui intéressent les Suisses: 7% considèrent que c’est désormais le thème politique majeur alors que 6% la classent en deuxième position (lire ci-dessous). «Et je pense que les questions économiques tournant autour du franc se profilent comme nouveau thème électoral», pronostique Claude Longchamp, directeur de l’institut gfs.bern. Un autre enjeu pourrait encore venir brouiller les cartes: le retrait d’une conseillère fédérale, par exemple. La tuerie d’Oslo et le débat sur l’extrémisme qui l’accompagne n’ont en revanche eu aucune incidence sur la campagne.

L’éclipse de la thématique environnementale au profit des questions migratoires et économiques se reflète dans les perspectives électorales des partis. Alors que la catastrophe de Fukushima avait augmenté la cote des Verts, les faisant passer de 8,5% des intentions de vote en octobre 2010 à 10,9% en avril, ils stagnent désormais à 10,1%.

Claude Longchamp observe une tendance similaire pour l’UDC. Lors des premiers sondages, ce parti était encore largement porté par les résidus de la campagne de novembre sur l’expulsion des criminels étrangers. L’UDC avait tutoyé les 30% en début d’année (29,9% en avril). Mais elle n’a tiré aucun profit du débat énergétique et, si elle fait de gros efforts pour maintenir la migration comme thème numéro un (notamment par une initiative populaire sur la libre circulation des personnes), l’UDC s’inscrit en recul par rapport aux précédents sondages et à 2007. Ses perspectives électorales se situent désormais à 27,4%, soit 1,5 point de moins qu’il y a quatre ans.

«On assiste en revanche à un recentrage, mais sur quatre partis et pas seulement sur deux», commente Claude Longchamp. Portés par l’attrait de la nouveauté, les deux derniers arrivés sur la scène politique, les Verts libéraux (VL) et le Parti bourgeois-démocratique (PBD), confirment les prévisions précédentes. Les premiers obtiennent 4,6% des intentions de vote et les seconds 2,9%. Pour leur part, le Parti libéral-radical (PLR) et le PDC relèvent la tête. Après être descendu à 15% en juin, le PLR remonte à 16,1%, ce qui reste cependant très en deçà de son objectif officiel (20%) et de sa part électorale de 2007 (17,7%). Quant au PDC, il remonte de 12,7% en avril à 15% alors qu’il se situait à 14,5% en 2007.

Comment expliquer cette évolution? Le PLR semble profiter du changement des priorités thématiques. «Après Fukushima, il a reculé dans les sondages car il n’a pas pu se positionner clairement sur la politique énergétique», rappelle Claude Longchamp. «Le PLR profite aujourd’hui des préoccupations économiques, car c’est un de ses domaines de compétence», complète sa collaboratrice, Martina Imfeld.

Les explications sont plus complexes pour le PDC. Alors que le PLR obtient la meilleure note (29%) pour ses compétences économiques, le PDC n’est jugé le plus apte pour aucun des thèmes majeurs du moment. Sa note moyenne (4%) se situe très loin derrière celle du PS (20,8%), de l’UDC (18,1%) et du PLR (12,1%).

Comment expliquer que sa cote remonte malgré tout dans les sondages? Claude Longchamp avance deux hypothèses. Premièrement, le PDC profite d’un transfert d’électeurs déçus du virage à gauche opéré par le PS. Deuxièmement, il est perçu comme le parti qui forge les majorités. «Il ne parvient pas à se profiler sur des thèmes majeurs. Il reste le parti de la famille, mais ce thème n’est pas central aujourd’hui. En revanche, comme l’a relevé son chef de campagne, Gerhard Pfister, sur un blog, le fait de ne pas avoir de positions claires lui permet de mieux négocier avec les autres.»

L’institut de sondage s’est risqué à une extrapolation sur les chances de progression ou risques de recul de chaque parti aux élections du 23 octobre. Il affirme ainsi «à 99%» que les VL gagneront du terrain, se dit sûr à «90%» que le PLR perdra des voix et «à 85%» que l’UDC reculera également, la probabilité de voir le PS perdre quelques plumes étant de 78%. La progression du PDC paraît pouvoir se confirmer, «mais elle se situe dans la marge d’erreur», prévient Claude Longchamp.

Cela dit, gfs.bern observe une nouvelle tendance: le sentiment de l’impuissance des partis à agir croît; 32,2% des personnes sondées n’attribuent à aucun parti particulier la compétence de résoudre les problèmes les plus urgents. «Cela se traduit par un tassement de la mobilisation électorale», craint Claude Longchamp, qui s’inquiète surtout du faible taux de participation des jeunes: l’estimation est de 23% chez les 18-39 ans, contre 57% chez les 40-64 ans et 66% au-dessus.

Bernard Wuthrich dans le Temps

vendredi 5 août 2011

Pour en finir avec le national-racisme de l'extrême droite

Le malaise de la classe politique autour de l'extrême droite permet à ce courant de développer ses idées et de les diffuser. L'opposition devra être solide pour pouvoir les contrer, explique Vincent Cespedes, philosophe.

Parmi l'offre des excitations comblant le manque à vivre, celle de l'extrême droite peut paraître alléchante : le national-racisme. Frissons garantis. Il suffit d'avoir le bon prénom et la bonne couleur de peau pour prendre part à ce sport d'équipe addictif, entre le défoulement adolescent et la chasse aux faibles, avec pour seuls adversaires ceux qui les protègent (les "bien-pensants"), et pour seule règle du jeu la jouissance de haïr en commun. On entend souvent dire que l'extrême droite "revient".

Une extrême droite transfigurée

Mais l'extrême droite ne revient pas : elle est revenue - transfigurée - il y a vingt ans déjà, en Russie, en Europe de l'Est et dans les vieilles démocraties occidentales. Tout le monde, d'ailleurs, l'a vu revenir. Mais personne n'a su quoi faire à part protester, quoi dire à part avertir. Elle a progressivement contaminé les discours, les esprits, les débats et les politiques. Elle a frappé avec une rhétorique et une brutalité de plus en plus clinquantes.

Marine et Jean-Marie Le Pen lors du congrès du FN, 16/01/11, à Tours (AFP PHOTO ALAIN JOCARD )

Marine et Jean-Marie Le Pen lors du congrès du FN le 16 janvier 2011 à Tours - Crédit : ALAIN JOCARD 

Elle a joui de mépriser jusqu'à avilir, de détruire jusqu'à tuer, et le drame d'Oslo fait figure en cela de sinistre apothéose. La gauche européenne est tombée d'avoir baissé d'un cran sa radicalité face à ce péril, quand il lui fallait redoubler d'ardeur pour réaffirmer son humanisme et désamorcer activement la montée des haines.

Elle fut logiquement évincée des rêves de changement; un tapis rouge, tant ultralibéral que médiatique, fut alors déroulé pour la boue brune. Et ils seront légion, les trublions français qui surferont dessus, d'un Nicolas Sarkozy, protégeant ministériellement l' "Identité nationale" de "l'Immigration", à un Alain Finkielkraut, doctrinaire de la menace multiculturelle et contempteur du "métissage".

Confusions savamment distillées, sur un ton professoral, entre "immigration" et "invasion", "idéologie" et "identité", "islam" et "arabes" - ou comment aggraver l'obscurantisme au nom de la philosophie des Lumières. Les attentats d'Oslo devraient être pour nous une piqûre de rappel. Le mal est toujours vivace, encore plus dangereux car banalisé, de l'Italie (Ligue du Nord) à la Hongrie (Parti de la Justice et de la Vie Hongroise). La folie des frontières ne connaît pas de frontières : elle traverse l'Europe de part en part, comme elle traverse les corps pour en faire rejaillir les funestes fantômes de la "Race" et de l'"Identité".

Pour comprendre le national-racisme, il faut retenir certaines leçons de Wilhelm Reich sur ce qu'il appelle la "peste émotionnelle". Elle se propage chez des individus "désespérément frustré[s]", "qui n’[ont] jamais songé à [leur] responsabilité sociale" et qui succombent "à l’érotisme tapageur du fascisme" : "Le pestiféré , écrit le philosophe, s’insurge contre le genre de vie des autres, même s’ils ne gênent en rien ses propres habitudes car il considère leur existence comme une provocation". Et les fascistes ne jouissent qu'en s’identifiant à l’autorité, "les yeux constamment tournés vers le haut".

La recherche d'un leader

Or, aujourd'hui, le national-racisme européen se cherche des leaders charismatiques capables d'incarner l'autorité. Tâche difficile, car le relativisme horizontal des rapports sur la Toile en empêche précisément l'émergence. Et c'est cette incapacité à se trouver un Chef qui le distingue (provisoirement ?) du fascisme classique, avec sa militarisation de la politique et ses violences "préventives". Un marché aux leaders est donc ouvert : le national-racisme est "à la recherche de sa Nouvelle Star". Conscients de l'enjeu, tout ce que l'Europe compte de paranoïaques de l'Autre et de Zorros de la "race blanche" se précipitent dans le casting.

La pépinière nationale-raciste délivre une drogue dure. Elle réduit le monde à des dimensions plus faciles à gérer ; elle réduit la pensée à du "Nous contre Eux" binaire. En France, la droite sarkozyste s'est grossièrement abîmée dans ce trafic. La gauche de 2012 devra être visionnaire, enthousiasmante et inspirée pour promettre une solidarité plus intense que la haine, et convaincre les junkies du national-racisme d'accepter leur cure de désintoxication.

Vincent Cespedes, philosophe et écrivain, dans le Nouvel Observateur