samedi 3 juin 2006

Un quotidien à reconstruire loin de cette Vallée solidaire


Lire l'article de Carole Pantet dans 24heures
Les Kuljanin ont été contraints de quitter la vallée de Joux. Rencontre avec cette famille bosniaque attachante, qui a su toucher le coeur de la majorité des Combiers.


Le nom des Kuljanin et celui de la vallée de Joux sont intimement liés. Les journaux romands ont presque tous succombé devant la tou­chante histoire de ces requé­rants déboutés soutenus en bloc par la population de ce bout de pays reculé. Rien d’étonnant donc que le démé­nagement de cette famille bos­niaque soit vécue comme un déchirement.
«Le propriétaire de notre maison a changé et nous avons dû chercher un appartement, explique le fils, Miralem. Inter­dits de travail, les quatre mem­bres de cette famille ne corres­pondent plus aux critères de sélection d’une agence immobi­lière traditionnelle. «Il nous était simplement impossible de retrouver un toit sans l’aide de la Fareas.» Celle-ci les reloge, il y a un peu plus de deux mois, mais à Yverdon. L’ancienne employeuse de Munib, Sylvie Golay, regrette cet éloignement et ne peut refréner le désagréable sentiment qu’ils «avaient envie de les délocaliser pour les extraire de leur réseau de solidarité». Les Kuljanin ne le pensent pas. Ils comprennent les contraintes de la Fareas, sont convaincus qu’ils ont tout fait pour les reloger à la Vallée, mais sans succès. «Alors on monte des fois voir nos amis, et eux s’arrêtent pour boire un café quand ils passent à Yverdon.»
Rien depuis quatorze mois
Calmes et résignés, ils suppor­tent les coups durs depuis plu­sieurs mois: d’abord le fait d’être déboutés, puis que leur recours soit rejeté en mars 2005. Ils souffrent encore quand ils sont frappés d’inter­diction de travail en janvier der­nier. Et maintenant, ils atten­dent, dans l’inactivité. Leur pré­sence en Suisse ne tient depuis des mois qu’à un fil: une de­mande de réexamen de leur re­cours déposé il y a quatorze mois (!) à la Commission suisse de recours en matière d’asile (CRA). «Depuis, rien n’a bougé. Nous allons au Service de la population régulièrement pour faire renouveler notre permis provisoire, toujours la peur au ventre», témoigne Miralem. Bonne ou mauvaise nouvelle, cette longue attente? Ils se con­vainquent une fois encore que c’est un signe favorable.
Eloignés de la Vallée, écartés du monde du travail, les Kulja­nin s’attellent à domestiquer ce nouveau quotidien, qui pourrait une fois encore basculer d’un jour à l’autre, selon la décision de la CRA. Régulièrement, ils reçoivent les médias dans leur petit appartement, comme L’Il­lustré récemment. La visite d’un journaliste est devenue une vé­ritable routine. «Depuis janvier 2005, nous avons fait l’objet d’une trentaine d’articles, j’ai aussi été interviewé par la radio et la télévision», sourit Mira­lem, qui s’étonne à chaque fois de cet engouement médiatique. Entre deux interviews, il y a l’expectative: «La prochaine fois que vous viendrez, j’espère que l’on pourra ouvrir le champa­gne », lance, sourire en coin, Mi­ralem. «Pas une bouteille, un carton entier!» renchérit son père. La porte se referme, les sourires retombent. Et l’inter­minable attente reprend son droit.

Programme d'aide au retour pour l'Ethiopie

Lire le communiqué officiel de la confédération

Afrique: Europe : l'invasion imaginaire

Lire dans allAfrica.com:

L'Appel genevois rejette des lois irresponsables

Lire l'article dans Le Courrier
«Voter deux fois non.» L'ancienne conseillère fédérale Ruth Dreifuss présidait hier le lancement de la campagne contre les lois sur l'asile et les étrangers. Selon les cinquante-six signataires de l'Appel genevois contre une politique migratoire irresponsable, la loi sur l'asile (LAsi) «créera plus de problèmes humains et sécuritaires qu'elle n'en résout». Quant à celle sur les étrangers (LEtr), elle reviendrait à «interdire dans les faits l'immigration non européenne». L'une des conséquences de l'adoption de ses deux objets, soumis à votation fédérale le 24 septembre prochain, serait «le maintien ou l'augmentation du nombre de clandestins en Suisse»
«Les personnalités signataires de l'Appel genevois viennent de tous les horizons politiques et culturels, et c'est parce qu'elles savent ce que responsabilité veut dire qu'elles luttent contre une politique migratoire irresponsable.» Selon MmeDreifuss, la loi sur les étrangers «condamne les ressortissants d'Amérique latine et d'Asie à la clandestinité». La loi sur l'asile, quant à elle, «viole l'esprit des engagements internationaux que la Suisse a pris dans ce domaine, avec des mesures de contraintes intolérables en termes de dignité humaine». Autre motif d'inquiétude pour MmeDreifuss, la privation de l'aide sociale, qui s'étendrait à tous les requérants dont la demande d'asile a été rejetée, «renvoie aux communes et aux cantons non seulement la charge financière de ces personnes, mais aussi les problèmes de sécurité qui peuvent naître de leur désespoir»
«Je m'oppose à ces deux lois.» Pour Martine Brunschwig Graf, conseillère nationale et ancienne conseillère d'Etat, «plusieurs points de ces nouvelles lois ne sont pas acceptables et vont à l'encontre du respect de la personne humaine». A commencer par la non-entrée en matière pour les requérants sans papier qui ne tient pas compte de «la difficulté, voire l'impossibilité d'en obtenir dans certains pays, et qui représente un refus de celles et ceux qui auraient le plus besoin de notre asile». L'impossibilité de régulariser les sans-papier ou la possibilité d'emprisonner des gens pendant deux ans sont, pour MmeBrunschwig Graf, inadmissibles. La conseillère nationale libérale a rappelé aussi que le Conseil d'État genevois s'était opposé unanimement aux mesures de contraintes, lors d'une déclaration officielle, en 1994 déjà

Deux frères yéménites craignent un retour vers la mort

Lire l'article de Didier Estoppey dans le Courrier
Réfugiés en Suisse depuis cinq ans, deux requérants sous le coup d'une décision de renvoi lancent un SOS: ils sont persuadés d'être passibles de la peine de mort pour avoir livré des informations aux autorités américaines.

Départ du père Jean-Pierre Barbey

Voici une brève dans 24heures:
Les réfugiés en détresse habitués du Point d'Appui des Eglises de la rue César-Roux, à Lausanne, n'y seront plus reçus par le Père Jean-Pierre Barbey. Le médiateur Eglises-réfugiés quittera l'Espace multiculturel en juillet prochain, après quatre ans de présence. Auparavant, il avait été aumônier au Centre d'enregistrement des requérants d'asile de Vallorbe. Dès l'automne prochain, Jean-Pierre Barbey animera le Centre de prière et d'accueil à venir dans l'ancien couvent des capucins de Bulle. Un successeur sera nommé prochainement.

Chroniques du racisme ordinaire

Lire dans le Journal du Jura en ligne
Voici l'interview d'Innocent Naki:
Le journaliste fribourgeois Innocent Naki publie les récits de cinq Suissesses qui ont épousé des Africains. Loin de taire les difficultés auxquelles elles sont confrontées, elles mènent une lutte sans merci contre les préjugés. Rencontre.
Propos recueillis par Isabelle Graber

Papa de deux enfants, le journaliste et écrivain Innocent Naki a longtemps vécu à Soleure. Un séjour qui a inspiré son premier livre, «La Suisse, les étrangers et les Noirs» (Editions de l'Aire), dans lequel l'auteur d'origine ivoirienne fustigeait notamment la politique menée par le chef de la police biennoise. Depuis près d'un an, Innocent Naki réside à Marly, près de Fribourg.

Son second ouvrage regroupe les témoignages d'Ariane, Claudia, Gaby, Elisabeth et Brigitte, cinq Suissesses qui partagent leur vie avec un Africain. Sincères, sans concession, ces récits publiés sous forme d'entretiens dressent le portrait d'une Suisse plurielle, paradoxale. L'exemple de Brigitte est parlant à plus d'un titre: originaire de Granges, la jeune femme habite Brügg depuis un an. Après avoir sombré dans l'enfer de la drogue, elle a été confrontée à d'importantes difficultés financières. En 2004, elle rencontre Barry, un jeune Guinéen qui vit à Bienne. Le couple se marie religieusement, mais il n'aura pas le temps de passer devant l'officier d'état civil: au moment où son livre passait sous presse, Innocent Naki a appris que Barry avait été expulsé du territoire suisse car il était soupçonné de trafic de cocaïne.

L'écrivain se refuse à porter tout jugement: il expose sans tabou les difficultés qui peuvent naître des différences culturelles de deux partenaires. Vibrant plaidoyer en faveur de la tolérance, son livre met en exergue la terrible violence institutionnelle à laquelle se heurtent de nombreux couples mixtes en Suisse.

Une réalité qui interpelle également le sociologue et homme politique Jean Ziegler, qui signe la préface de «Métissage culturel». «Notre société n'échappe plus aux ravages du racisme, note Jean Ziegler. La politique ouvertement et constamment xénophobe de l'UDC et de son conseiller fédéral Christoph Blocher contribue puissamment à cette évolution néfaste. Le refus dans les urnes de la nouvelle législation xénophobe contre le droit d'asile proposée par le Conseil fédéral est une exigence urgente.» Selon Jean Ziegler, Innocent Naki ouvre de nouvelles perspectives: «Contre les replis grincheux et pleins de haine, il donne accès au monde merveilleux du partage des origines et des cultures.»

- Innocent Naki, comment l'idée de ce livre est-elle née?

- Vous savez, c'est le réalisateur Michael Moore qui disait: «L'ignorance mène à la peur et la peur entraîne vers la violence.» Mettre à la disposition de la population suisse un outil qui lui permette de connaître de la meilleure des façons les méandres de notre cohabitation physique et culturelle me semble d'une importance absolue. En plus de cela, les votations de septembre prochain donneront une nouvelle occasion à certains idéologues de pondre de grandes théories, sans forcément savoir ce qu'est l'angoisse d'un étranger en attente d'une autorisation d'établissement. Ecoutons celles qui partagent leur quotidien, elles s'expriment si bien!

- Jean Ziegler signe la préface de votre ouvrage...

- Immense intellectuel, mais aussi homme d'engagement et de terrain, Jean Ziegler est pour moi la parfaite image de la Suisse décomplexée car sévère envers elle-même et envers les autres. Lorsqu'il a pris connaissance de ce livre et de la diversité de son apport sociologique, il a tout de suite accepté d'en signer la préface. Et quelle préface!

- Malgré le caractère dramatique de certains témoignages, vous adoptez un ton résolument positif. Pourquoi?

- Ces Suissesses qui me font l'honneur de partager leur expérience dans ce livre adoptent effectivement un ton positif. Un livre qui montre des couples mixtes exclusivement heureux serait faux et ennuyeux. C'est pourquoi, sans tomber dans l'angélisme, ni pour autant peindre un tableau sombre à l'extrême, j'ai fait le choix d'une palette diversifiée. Au-delà de cette diversité qui m'importait au moment de mon choix, il y a surtout la dignité de leurs propos. Une véritable lueur d'espoir et une forte valeur éducative pour les plus jeunes.

- Les cinq jeunes femmes que vous avez rencontrées proviennent de toute la Suisse. L'une d'entre elles, Brigitte, réside à Brügg. Et son témoignage est particulièrement poignant...

- Brigitte est une lionne. Une vraie combattante qui a donné tout ce qu'elle pouvait donner pour vivre avec son Guinéen d'amoureux. Ce jeune homme lui fut pourtant arraché par la police biennoise pour une trouble accusation de trafic de drogue. Vous savez, j'ai accompagné cette femme lors de certaines de ces visites en prison où elle retrouvait celui qu'elle voulait comme époux. Je peux vous dire qu'elle a un cœur en or. La suite de leur idylle est effrayante...

- Le témoignage de Brigitte met en exergue le climat très particulier qui règne à Bienne, une situation à laquelle vous vous étiez déjà intéressé dans votre précédent ouvrage. Selon vous, l'attitude de la police biennoise - mais aussi de la population face à la communauté africaine - a-t-elle évolué au cours des deux dernières années?

- Disons que la population est plus informée et les Biennois n'ont plus l'intention de laisser passer des violences policières injustifiées que subissent encore certaines minorités visibles. Du coup, l'irascible chef de la police locale, Jürg Scherrer semble avoir troqué son langage ordurier contre des formules convenant à sa fonction. Est-ce une accalmie de façade? La vigilance doit rester de mise car un autre phénomène bat son plein à Bienne, il s'agit de la confiscation systématique, par la police, des téléphones portables appartenant à des individus ayant pour tort de demander l'asile en Suisse.

- Lors de sa visite dans notre pays en janvier dernier, le rapporteur de l'ONU sur le racisme, Doudou Diène, avait relevé «la situation de racisme, de xénophobie et de discrimination» que connaît la Suisse.

- Le racisme que dénonçait Doudou Diène fut brillamment mis en exergue par Roman Jäggi, porte-parole de l'UDC, qui estimait que tout rapporteur de l'ONU avait le droit de porter un avis sur la Suisse, à condition qu'il ne soit pas Noir ou Africain. Edifiant, n'est-ce pas?

- A Bienne - comme dans d'autres villes de Suisse et d'Europe - la population africaine souffre de la stigmatisation dont elle est victime, les Noirs étant trop souvent assimilés à des trafiquants de drogue. Comment lutter contre ce phénomène?

- D'abord l'idée reçue selon laquelle «Africain égale trafiquant de drogue» n'est pas aussi flagrante dans les autres pays occidentaux. Le démagogue vous dira que les Africains de Suisse doivent éliminer leur minorité délinquante pour mériter le respect. La vérité est que personne ne demande aux Occidentaux se rendant en Thaïlande de se défaire de leur minorité pédophile pour mériter leur honorabilité. Je suis d'ailleurs en train de préparer un livre entièrement consacré à cette fâcheuse équation.

- Vous avez donc un troisième livre sur le gril?

- Tout à fait. Il me semble essentiel de séparer le fantasme du réel dans cette triste litanie qu'entonnent nos idéologues locaux en parlant de la criminalité des Noirs en Suisse. Il s'agirait d'apporter des faits précis, des chiffres et une analyse de la criminalité dans son ensemble en Suisse, pour une meilleure perception de celle commise par des étrangers. Vous me demandiez comment lutter contre cette image, moi j'ai toujours fait le choix de la communication. Souvenez-vous de la citation de Michael Moore; les voisins qui prennent la peine de communiquer très franchement ont plus de chances de se comprendre et donc de pacifier leur cohabitation. C'est à nous, tous ensemble, de faire ce chemin. Je m'y engage et à en juger par l'accueil du public lors du dernier Salon du livre de Genève, la population suisse aussi. Je ne suis donc pas inquiet pour demain.

I. G.

Innocent Naki, «Métissage culturel, regards de femmes», Editions Swiss métis.