Selon Denise Graf, coordinatrice asile chez Amnesty International, les renvois de requérants d'asile déboutés sur des vols spéciaux se font dans des conditions extrêmement dégradantes.
Les «vols spéciaux» de l'Office fédéral des migrations (ODM) ont repris de plus belle. Après la mort en mars d'un Nigérian à l'aéroport de Zurich, au cours de sa procédure d'expulsion, les renvois forcés de requérants déboutés avaient été suspendus. Depuis fin juin, ces convois s'enchaînent à nouveau depuis les tarmacs de Zurich et de Genève. Huit vols ont déjà eu lieu cet été, non sans problèmes. Après l'échec d'un vol affrété pour la Gambie fin juillet, l'ODM est aujourd'hui accusé d'avoir renvoyé au Sénégal des ressortissants d'autres pays africains. Même en partie démentis, ces couacs mettent en question la légitimité des méthodes utilisées par Berne. Denise Graf, coordinatrice asile pour la Section suisse d'Amnesty International, livre son point de vue.
Est-ce une pratique courante pour l'ODM de renvoyer un requérant d'asile dans un pays qui n'est pas le sien?
Denise Graf: Nous n'avons pas de chiffres confirmés concernant des personnes renvoyées dans un pays qui n'est pas le leur. Mais je rencontre fréquemment des personnes affirmant venir d'un certain pays, tandis que l'ODM prétend qu'elles sont originaires d'un autre. L'ancienne commission de recours a d'ailleurs rectifié des cas de ce type à plusieurs reprises, et donné raison aux requérants d'asile. Il arrive toutefois que l'affaire soit résolue avant que la personne ne soit renvoyée de force.
Quelle est l'origine de tels malentendus?
Le problème vient de la manière dont ces renvois se passent. Les requérants déboutés ne sont pas pris au sérieux par les autorités. Il y a un grave manque d'écoute à leur égard, alors qu'un vrai dialogue permettrait de résoudre de nombreux problèmes.
Amnesty dénonce les entorses faites aux droits humains lors des vols spéciaux. Les violations de ces droits sont-elles inhérentes à ces expulsions?
Amnesty International n'est pas opposé en soi aux renvois forcés. Nous dénonçons le manque de proportionnalité dans les mesures prises par les forces de l'ordre, le non-respect de la dignité humaine et les violations flagrantes de la Convention sur les droits de l'enfant, dans certains cas. Un requérant ne faisant preuve d'aucune velléité doit-il nécessairement être casqué, menotté aux pieds, aux genoux et aux mains, en plus d'avoir le haut du corps totalement ligoté des heures durant? Ne peut-on pas le laisser se lever au moins une fois durant le vol pour faire ses besoins? Bien entendu, nous comprenons qu'il en aille autrement lorsque quelqu'un se débat réellement ou présente une menace. Mais ces cas sont une petite minorité.
D'où vient le problème?
Il vient des autorités. Elles pensent tout faire pour que la personne expulsée ne puisse se retourner contre les policiers et, de ce fait, entretiennent cette escalade de violence. C'est surtout le cas à Zurich, d'où je reçois presque systématiquement des griefs concernant les entraves. En Suisse romande, on est plus enclin à les desserrer. Mais dans de nombreux cas, je suis choquée par le mépris dont font preuve les forces de l'ordre à l'égard de ces gens. Voilà vingt-six ans que je travaille dans ce domaine, et je note une spirale de violence et de dénigrement incroyable. Je souhaiterais qu'il y ait un brin d'humanité, dans tout cela.
Quels enseignements tirer des récents évènements?
A nouveau, je pense que la solution réside en bonne partie dans le dialogue. Par ce biais, de nombreuses personnes sont prêtes à collaborer. Mais il s'agit d'un travail à mener en amont, lorsque les requérants déboutés sont en détention administrative. Il est alors capital de chercher à comprendre la situation personnelle et familiale de la personne concernée. Certains sont embarqués tandis qu'ils ont des enfants ou un conjoint en Suisse. Je ne connais personne qui accepterait de quitter sa famille dans ces conditions! Et ce ne sont pas des cas isolés. Je ne comprends pas le zèle des fonctionnaires lorsque les gens ont de la famille en Suisse. On ne devrait pas causer tant de souffrance inutilement.
L'autre réponse à apporter à ces personnes, c'est la possibilité d'élaborer un projet individuel d'aide au retour. Il ne suffit pas de donner une enveloppe de mille francs à quelqu'un pour qu'il accepte de rentrer.
Que pensez-vous du peu de réaction de la part des Suisses au sujet de ces expulsions?
Il y a un certain clivage. Beaucoup de personnes sont très peu ou mal renseignées. Certaines imaginent que seuls les délinquants sont renvoyés ligotés dans leur pays d'origine, d'autres ne se posent simplement pas de question et trouvent ces mesures normales. Mais lorsque je parle avec les gens et leur explique ce qu'il en est réellement, en donnant des exemples concrets, la plupart sont extrêmement choqués. Beaucoup nous écrivent d'ailleurs pour nous exprimer leur soutien.
Propos recueillis par Laura Drompt dans le Courrier