lundi 24 juillet 2006

Un avis mortuaire qui nous rapproche du Liban

Sous la rubrique "Réflexions" du 24 Heures, lire les propos de l'invitée du jour: PATRICIA DUBOIS


J’ai été très touchée par le faire-part de décès que la Coordination asile a fait paraître dans ces colonnes annonçant la mort de la mère et la tante d’un mon­sieur libanais ayant fui son pays il y a neuf ans. Il vivait en Suisse sans véritable statut et ne les avait pas revues depuis son départ du Liban. Voilà que les premières victimes civiles de ce conflit prennent chair. Au-delà de l’aspect comptable des bilans de victimes, la guerre tue des innocents. Au­-delà des raisons invoquées par des Etats voyous, des popula­tions souffrent. Au-delà d’in­supportables reportages mi­mant une rhétorique de jeux vidéo, un pays est détruit. Touchée par le drame d’une guerre au Liban qui sonne aux oreilles de mes 40 ans comme un très mauvais «remake» de celle qui sévissait quand j’en avais 20… Comment est-il ima­ginable qu’un pays à peine re­levé soit replongé en quelques jours dans le gouffre de la guerre? Les enfants d’une géné­ration sacrifiée atteignent à peine l’âge adulte et voilà qu’ils doivent revivre le calvaire de leurs aînés. Comment accepter les hoquets de l’Histoire sans ressentir cette rage envers un tel gâchis? Combien de fois faudra-t-il reconstruire? Peut­-on indéfiniment se relever après une mise à terre? Touchée aussi, bien sûr, par le drame humain de cette fa­mille qu’une telle annonce nous fait partager…

Et je me souviens de toutes ces annon­ces mortuaires jamais écrites que je portais en moi en ren­trant de mes «missions» au Niger: je n’ai jamais pu les partager vraiment… Le petit Hassan de huit mois, souffrant de malnutrition agonisant dans les bras de sa mère, mal­gré une prise en charge, trop tardive, de notre projet de «ré­cupération nutritionnelle» au nom aussi barbare que terri­fiant: oui, ils étaient nombreux les enfants à «récupérer», mais pour quelques dizaines de sau­vés combien mouraient et meu­rent encore de faim dans le monde?…. Le vieil Abdou, mort déshydraté suite à l’assèche­ment du puits villageois en laissant trois femmes et une kyrielle d’enfants qui, sans eau, n’auront pas d’avenir dans leur village. Et puis, il y avait aussi tous ces jeunes hommes vigou­reux et fiers, contraints de par­tir chercher du travail et de la subsistance en Côte d’Ivoire ou plus loin. En Afrique de l’Ouest, on les appelle les «exo­dants »: dans certains villages, presque tous partaient, laissant les femmes assumer la vie quo­tidienne en attendant d’hypo­thétiques jours meilleurs au re­tour de leurs hommes: beau­coup ne revenaient jamais. La misère et la guerre sont aux sources de l’exil et tant que nous ne nous attaquerons pas aux causes, nous ne pourrons rien contre les conséquences! Chaque conflit armé ne fait que nous éloigner un peu plus de cette évidence: à croire que c’est un de leurs buts?…

Les pays, quels qu’ils soient, qui pensent pouvoir encore longtemps se voiler la face en exportant leurs intérêts mal­veillants, par exemple sur la scène moyen­orientale ou ailleurs, se trompent lour­dement. Tôt ou tard ils recevront la monnaie de leurs pièces si ce n’est pas déjà le cas… Le monde est devenu village et les migrations se moquent désormais des frontières. Une guerre, au Li­ban ou en Afrique, est aussi notre problème, c’est aussi no­tre tristesse comme le rappelle ce faire-part…

Certains jours, il faut aller chercher très loin au fond de soi la force de croire en l’intelli­gence humaine et de continuer à travailler pour un monde plus juste!

L'INVITEE
PATRICIA DUBOIS
coordinatrice FEDEVACO

*FEDEVACO: Fédération vaudoise de coopération: 34 associations membres.

Nida, Lausannois, dormira quand il aura sorti ses parents du Liban

Pour nous rappeler que le Liban n'est décidément pas si loin, il est bon de lire dans 24 Heures le témoignage de Nida, un Lausannois parti à Beyrouth rechercher ses parents.

Nida, aime le cinéma.
Insomniaque, il occupe ses longues nuits à regarder des documentaires. Mais là, depuis le début des bombardements sur Beyrouth, ses veilles sont de toute autre nature. Ce Lausannois d’adoption s’inquiète pour ses parents qui résident dans un vénérable immeuble d’Achrafieh, le quartier chrétien de Beyrouth. Il avait été mis à l’abri en Suisse par son père en 1975. Aujourd’hui, c’est lui qui sort sa famille de Beyrouth bombardée.
«J’étais à Bâle, quand j’ai compris que c’était reparti pour une guerre au Liban, raconte Nida, sur le pont du Iera Petra qui le conduit de Larnaca dans sa ville natale.
J’ai pris un train pour Paris et lorsque je suis arrivé à l’aéroport, tout était fermé.
Même le McDo. J’étais épuisé, sans valise et j’avais faim. J’ai raconté mon histoire à une nettoyeuse black qui a convaincu un employé de me donner un cheeseburger. Et là tout s’est enchaîné. J’ai pris un avion du Club Med pour Chypre. Mon aventure les a touchés et j’ai eu un billet facile.» Arrivé à Larnaca, Nida erre sur le port. Sans avoir dormi une minute, il cherche un moyen d’embarquer à bord d’un bateau. Avec ses airs de petit garçon quémandant des bonbons, il finit par amadouer un officier français. Une solution est enfin trouvée. On lui dégote une place à bord du ferry grec assurant la liaison humanitaire. Epuisé, il se laisse tomber sur le lit douteux d’un hôtel du port chypriote où la misère des femmes de l’Est se découvre derrière de lourds rideaux rouges sales. Nida est écoeuré, toujours sensible aux malheurs du monde. Mais il n’a peur de rien, il fonce, étranger à l’inconfort et à la fatigue.
«Lorsque j’étais enfant, mes parents m’ont sorti de la guerre à Beyrouth, raconte Nida en remontant les escaliers de Gemmazyeh, le vieux quartier du port de la capitale libanaise. Ils m’ont conduit à Lausanne, avec mes frères. Nous sommes descendus à l’Hôtel de la Paix. Le lendemain, papa nous a conduit aux Jouets Weber et il nous a dit: prenez tout ce que vous voulez! Aujourd’hui, c’est à mon tour de les sortir de la guerre.» Etonnant Nida, si fier et amoureux de son épouse qui vient de lui donner un fils dont il montre la photo à tous ses amis retrouvés de Beyrouth. Nida, dont l’ouïe fut abîmée par de fréquents retours dans son Liban où tonnait le canon. Là, à 19 ans, il crut à la lutte par les armes. Un combat vite abandonné au nom d’un bel humanisme que cet homme cultive dans tous ses gestes, dans toutes ses paroles.
Hier matin, à huit heures précises, Nida, son frère qui souffre de problèmes de santé, et ses parents sont montés dans le taxi. Il y avait le problème du chat. «Ils n’en veulent pas sur le bateau. Mais j’ai trouvé une solution. On ne l’abandonnera pas ici.» Nida n’a toujours pas dormi.
Il transpire dans sa chemise blanche ouverte. Mais il a le sourire de celui qui «a fait tout juste». Il dormira à Lausanne. «Quand je saurai les miens à l’abri.»
N. V.