mardi 19 avril 2011

Pas d’afflux massif à la frontière sud de la Suisse

A la frontière italo-suisse de Chiasso, les répercussions des événements qui secouent le Maghreb et Lampedusa ne se font pas véritablement sentir. On est à mille lieues de l’afflux de réfugiés auxquels la Suisse avait fait face lors du conflit des Balkans. Reportage.

«Nous avons effectivement assisté à une légère augmentation des arrivées sur le territoire suisse, que ce soit du point de vue des entrées illégales que sur le plan des demandes d’asile. Mais nous sommes encore bien loin d’une marrée de requérants, comme certains semblent vouloir le croire», précise d’emblée le commandant des garde-frontières au Tessin (Région IV), Mauro Antonini.
Et alors que nous nous entretenons avec ce dernier dans les locaux des agents chargés de surveiller près de 200 km de frontière avec l’Italie, se tient le débriefing de l’après-midi. Une réunion à laquelle participent des garde-frontières dépêchés au Tessin en renfort depuis le reste du pays, sur décision de la Confédération.
«Les chiffres actuels ne reflètent pas une situation d’urgence. Nous enregistrons une centaine d’entrées illégales et une soixantaine de demandes d’asile par semaine. A titre de comparaison, durant la guerre des Balkans, près de 200 réfugiés affluaient ici quotidiennement», souligne le commandant Antonini.

Septembre... en avril

«La situation de ces dernières semaines à la frontière sud est très proche de celle que l’on observe habituellement en automne», ajoute-t-il. En septembre et en octobre, les tentatives d’entrées illégales et les demandes d’asile augmentent généralement, alors qu’elles diminuent durant l’été, lorsqu’il est plus facile de trouver un quelconque emploi temporaire en Italie», explique le chef des garde-frontières.
Suite à la légère recrudescence de ces dernières semaines «le nombre d’entrées restera vraisemblablement stable pour le reste de l’année. Mas je le répète, la situation n’a rien de préoccupant. Par ailleurs, il suffit de regarder autour de soi pour se rendre compte qu’il n’y a aucun signe d’état d’urgence.»
De fait, à la gare de Chiasso et dans ses environs, aucun signe de surpopulation de réfugiés n’est visible. Pourquoi dès lors avoir dépêché des renforts sur place? Et dans quelle mesure?
«Nous ne pouvons pas fournir de chiffres, mais nous pouvons dire que le commandement a décidé de déplacer temporairement du personnel d’une région à l’autre, à titre préventif», dit Mauro Antonini.

Tâches facilitées

Et davantage que de gérer un éventuel afflux de réfugiés en provenance de Tunisie, d’Egypte ou de Libye, «les renforts dépêchés au Tessin offrent une aide très précieuse dans l’amélioration de la qualité de l’exécution des tâches administratives, liées aux procédures de réadmission simplifiées avec l’Italie pour ceux qui séjournent illégalement en Suisse», relève pour sa part Davide Bassi, responsable de la communication des garde-frontières au sud des Alpes.
Et les résultats sont visibles: «Presque toutes les demandes de réadmission, à l’exception d’un seul cas, ont été acceptées par l’Italie», tient-il à préciser.
«Des preuves ou des indices concrets, qui attestent qu’un réfugié provient d’Italie sont nécessaires. A cela s’ajoute le fait que ce dossier constitue aussi une trace indélébile au cas où la personne arrêtée devait, par la suite, tenter de revenir en Suisse. Ce qui accélère le déroulement des procédures.»

Conditions différentes

En l’occurrence, la décision des autorités italiennes d’octroyer des permis de séjour provisoires d’une durée de trois mois dans l’espace Schengen n’influence que très peu cette situation «parce que pour obtenir ce permis, les réfugiés doivent de toute manière être enregistrés par les autorités de la Péninsule. Leur provenance est donc de ce fait attestée», veut rappeler le commandant.
De plus, le permis à lui seul ne suffit pas. Il faut que d’autres conditions soient remplies, comme la possession de documents d’identité valables et des moyens financiers suffisants pour garantir le financement du séjour de la personne (soit une centaine de francs par jour). Dans le cas contraire, la procédure de réadmission s’enclenche automatiquement, comme le fait la France en ce moment.

Longue attente

Dans la pièce d’à côté, les agents interrogent une famille. Le petit groupe vient d’être intercepté à bord d’un train provenant de la Botte et demande l’asile à la Confédération.
«Il s’agit de ressortissants afghans. Lorsque nous aurons terminé les contrôles et vérifié qu’ils ne portent pas d’armes ou d’objets dangereux, nous les accompagnerons au centre d’enregistrement pour requérants d’asile. Dès cet instant, et à condition que ces personnes n’aient pas déjà déposé une demande d’asile dans l’un des pays de l’espace Schengen, débute la procédure de l’Office fédéral des migrations. La décision de l’ODM est communiquée dans les soixante jours», explique encore Mauro Antonini.
«Dans l’hypothèse où cette famille devait décider de ne pas déposer de demande d’asile, c’est la procédure de réadmission vers l’Italie qui se mettrait alors en marche. Une Italie qui devrait à son tour évaluer leur cas», précise aussi Davide Bassi.

Un problème humanitaire

Le centre d’enregistrement – d’une capacité de 130 personnes – est situé à quelques enjambées de la gare et du poste frontière. L’édifice est protégé par de grands portails de fer. A l’intérieur, une aire de jeux, entourée elle aussi d’un enclos. Hormis le babillage de quelques enfants, l’endroit est calme. Seuls deux adultes se sont installés dans la cour.
Pensant aux conséquences des évènements qui se déroulent plus au sud, le commandant lâche une dernière remarque: «La situation actuelle à la frontière peut être considérée comme normale. Mais cela pourrait changer, et dans ce cas, il faut comprendre qu’un flux migratoire ne se traite pas comme un simple problème d’ordre public, mais bien comme un problème humanitaire.»
De fait, «il s’agit de personnes qui fuient des zones à risque, à la recherche d’une vie meilleure. Et notre devoir – en coordonnant les efforts au niveau suisse et européen – est de leur venir en aide».

Andrea Clementi, swissinfo.ch

Le ton monte entre la France et l'Italie

La fermeture provisoire de la frontière à Vintimille provoque l’ire du gouvernement de Silvio Berlusconi, qui dénonce le manque de solidarité de la France sur le dossier des immigrés tunisiens.

Convocation des ambassadeurs, appel au boycott des produits français, fermeture provisoire de la frontière à Vintimille… Le ton monte entre Rome et Paris faisant oublier le temps où au lendemain de l’élection présidentielle française, Silvio Berlusconi s’enorgueillissait que Nicolas Sarkozy l’ait pris comme «modèle» en politique.

Dimanche soir, le ministre transalpin des Affaires étrangères, Franco Frattini, a une nouvelle fois critiqué le manque de solidarité de la France sur le dossier des immigrés tunisiens auxquels le gouvernement Berlusconi a délivré un permis de séjour temporaire. Il a par ailleurs exprimé «une ferme protestation à la suite de la suspension du trafic ferroviaire», pendant quelques heures, entre la France et l’Italie au motif officiel qu’un groupe de militants de gauche envisageait de prendre le train pour protester contre le blocage des étrangers à la frontière.

Pour sa part, le ministre (Ligue du Nord) de l’Intérieur, Roberto Maroni, qui réclame un partage au niveau européen du «fardeau» de l’immigration après l’arrivée d’environ 28 000 personnes sur la petite île de Lampedusa depuis le début de l’année, ne s’est pas contenté de soutenir l’initiative diplomatique. Il a appuyé la proposition de boycotter les produits français, en représailles aux contrôles aux frontières effectués par Paris. Ni camembert, ni vin de Bourgogne ou autre bien tricolore. «C’est une position forte et juste en réponse à une position injuste et erronée», a-t-il avancé après avoir suggéré, il y a quelques jours, la sortie de l’Italie de l’Union européenne: «Mieux vaut être seuls que mal accompagnés.»

Francophobie

A quelques semaines d’importantes élections municipales, le leader de la Ligue, Umberto Bossi, qui a en substance exhorté les immigrés «à se tirer pour ne pas (nous) casser les couilles», a lui aussi approuvé l’idée d’un boycott, même si celui-ci n’est pour l’instant pas suivi d’effets concrets.

Reste qu’au-delà de la question de l’immigration, une partie de la classe politique et de la presse transalpines stigmatise depuis plusieurs semaines l’attitude présumée «hostile» de la France, considérant que les deux pays sont pratiquement en guerre économique et politique. La décision de ­Nicolas Sarkozy d’intervenir rapidement en Libye en ignorant ostensiblement les réserves de Silvio Berlusconi, jusqu’au bout très proche du colonel Kadhafi, a déclenché une véritable et soudaine francophobie dans une frange de l’opinion publique.

«A eux le pétrole, à nous les clandestins», a renchéri, fin mars, sur cinq colonnes, le quotidien populaire Libero, accusant la France d’être intervenue en Libye uniquement pour des questions énergétiques aux dépens de l’Italie. Et cela, à un moment ou plusieurs groupes français lorgnent sur des entreprises transalpines. Après le rachat du joaillier Bulgari par LVMH, la tentative de prise de contrôle d’Edison par EDF, l’activisme de l’homme d’affaires breton Vincent Bolloré au cœur du système financier italien, l’appétit du groupe laitier Lactalis envers Parmalat a provoqué une réaction immédiate du ministre de l’Economie, Giulio Tremonti. Alors que le quotidien de gauche L’Unita s’alarmait – «Alimentation, mode, énergie et finance, les Français sont en train de nous bouffer» –, ce poids lourd du gouvernement Berlusconi a décidé de créer un fonds financé en grande partie par la caisse des dépôts italienne pour contrer les futurs assaillants. «Nous ne ferons que traduire en italien les normes françaises», a ironisé le ministre.

Stigmatisant l’attitude des gouvernements français et italien, placés respectivement sous la pression politique et électorale du Front national et de la Ligue du Nord, l’éditorialiste du quotidien (centre gauche) La Repubblica Bernardo Valli a dénoncé hier, à la suite de l’affaire de Vintimille, «deux populismes qui depuis quelques semaines s’affrontent en Europe offrant un spectacle misérable». Une rencontre de clarification est prévue à Rome, le 26 avril prochain, entre Silvio Berlusconi et Nicolas Sarkozy.

Eric Jozsef dans le Temps

Paris fait pression sur Rome

Les critiques pleuvent au lendemain de la suspension par la France des trains entre Vintimille et Menton pour empêcher une manifestation de soutien aux migrants. Rome est ulcérée par la décision et les adversaires de Sarkozy montent au créneau.

Claude Guéant a envoyé le signal à Rome dès hier matin. Paris ne souhaite pas que les rapports franco-italiens s'enveniment. «Nous travaillons naturellement avec l'Italie [...] pour trouver des solutions durables, conformes au droit et à la dignité des personnes, aux tensions migratoires» actuelles, a assuré le ministre de l'Intérieur.Cette annonce intervient au lendemain de la décision spectaculaire - et rarissime - de la préfecture des Alpes maritimes d'interrompre pendant six heures le trafic ferroviaire entre Vintimille et Menton, afin d'éviter l'arrivée en France du «train de la dignité» transportant des Tunisiens et les activistes les soutenant. Les migrants qui, dimanche, avaient été empêchés par les CRS d'accéder au territoire français étaient porteurs de ces permis de séjour provisoires, valables six mois, que Rome a délivrés à 20 000 Tunisiens arrivés à Lampedusa.

Passeport pas suffisant

Pour l'Italie, ces permis auraient dû leur permettre de circuler librement dans toute l'Europe, et donc en France y compris. Mais à Paris, où l'on assurait lundi faire «une application à la lettre et dans l'esprit des accords» de Schengen, l'on exige des intéressés, outre un permis, un passeport et des ressources financières suffisantes.Pour la Commission européenne, la France avait effectivement «le droit» d'agir de la sorte, la veille. N'en déplaise à la presse italienne qui, lundi matin, vouait aux gémonies la décision hexagonale, renvoyant dos à dos «deux populismes qui s'affrontent»: les majorités Berlusconi et Sarkozy. N'en déplaise aussi au chef de la diplomatie italienne. Hier, celui-ci s'est arc-bouté sur son raisonnement. «Les permis accordés par l'Italie aux migrants tunisiens sont valables et reconnus par la France», a insisté Franco Frattini. Pour qui «l'Europe ne va nulle part si on érige des murs» entre ses Etats.Cela n'empêche pas la majorité sarkozyste de camper sur ses positions. Pour La Droite populaire (l'aile la plus à droite de l'UMP), l'attitude de Rome envers les migrants tunisiens est «une nouvelle fois ambiguë», dixit le député des Alpes maritimes, Eric Ciotti. Pour cet autre proche de Nicolas Sarkozy qu'est le député-maire de Nice Christian Estrosi, il est «un peu facile», voire «pas acceptable», que l'Italie soit «généreuse aujourd'hui avec le territoire des autres».Ces visas temporaires octroyés aux migrants tunisiens, c'est «un incroyable appel d'air de l'autre côté de la Méditerranée, en direction du périmètre de Schengen». C'est «un signe qu'on donne aux mafias, aux criminels et aux passeurs», a renchéri la députée européenne, et ex-garde des Sceaux, Rachida Dati.Mais tout le monde, en France, n'est pas de cet avis. Dans la presse d'hier, y compris dans certains médias de droite, le ton était à la sévérité envers la «mesure panicarde» de dimanche: une «gesticulation d'un gouvernement électoraliste».L'opposition, tout autant, dénonce l'initiative du ministre Guéant. Pour le FN, ce ne sont que des «gesticulations électoralistes», d'une majorité UMP «qui cherche encore à manipuler l'opinion, en montrant ses gros bras devant les caméras, mais qui, dans les faits, laisse la situation pourrir». Aux yeux de Marine Le Pen, «Nicolas Sarkozy et son équipe ont définitivement perdu toute crédibilité dans la gestion de l'immigration».

Un gest «écoeurant»

«Les nationalistes n'arrivent pas à grand-chose» en Europe, «y compris Sarkozy», considère le PS. Pour qui ce blocage dominical de la frontière ferroviaire n'était qu'une «posture», une «décision arbitraire». C'était même un geste «écoeurant», pour les Verts: emblématique du «braconnage de la droite (sarkozyste) sur les terres du FN».L'incident tendra-t-il l'atmosphère au prochain sommet franco-italien, le 26 avril à Rome? La rencontre Sarkozy-Berlusconi était déjà rendue un peu délicate par, outre la vieille controverse autour du sort de l'ex-brigadiste Battisti, quelques contentieux industriels franco-italiens (Bulgari ou Parmalat-Lactalis). «Une ombre plane sur les relations franco-italiennes», a carrément diagnostiqué Franco Frattini. Qui espère bien que, lors de ce sommet, sera réaffirmée «la volonté de l'Italie et de la France de travailler ensemble». Sur les thématiques migratoires y compris.

Bernard Delattre, Paris, pour la Liberté