samedi 9 juillet 2005

Sur les pas du génocide

Quelque 500 personnes ont entamé hier, en Bosnie, une marche de trois jours pour commémorer les massacres de Srebrenica.

«Je suis vidée, dégoûtée», s'exclame Edina Silkic, devant le jardin d'une maison détruite. «Trois cent Bosniaques ont été retrouvés morts dans ce charnier! Leurs cadavres ont été décapités, broyés. Les Serbes ont voulu nier leur existence jusque dans la mort. Qui sont ces gens pour avoir commis ce crime?»

Cette Bosniaque venue de Suisse fait partie des 500 marcheurs (on en attendait toutefois bien plus) effectuant à rebours, dix ans après le génocide de Srebrenica, le chemin emprunté dans leur fuite par 15000 Srébréniciens (la plupart civils). Bombardés, mitraillés par les Tchetniks (paramilitaires), seules 6000 personnes ont échappé à l'hécatombe, trouvant refuge à Tuzla. «Ça remue en moi, je pense à mon papa», confie Edina, en retenant ses sanglots. Depuis le génocide, elle n'a plus eu de ses nouvelles.

Partie tôt de Caparde, près de Tuzla, la colonne de pèlerins (dont des dizaines d'internationaux) a entamé la première étape du voyage, qui s'achèvera dimanche à Potocari. Le parcours, parfois accidenté, a été organisé par un comité réuni autour de la mairie de Srebrenica.

Lire la suite de l'article de Rachad Armanios dans le Courrier

Le long chemin des survivants de Srebrenica


Reportage de Tuzla de Martine Clerc et photos de Florian Cella dans 24heures

Il y a dix ans, l’enclave bosniaque de Srebrenica tombait aux mains des Serbes. Huit mille hommes furent exterminés, parmi lesquels des réfugiés fuyant à pied. Aujourd’hui, les rescapés se retrouvent pour parcourir en sens inverse le trajet suivi par les fuyards.

Près de 500 personnes, venues de Suisse, des Pays-Bas et surtout de Bosnie, ont entamé hier une marche de trois jours pour commémorer les massacres de Srebrenica. Elles rejoindront dimanche Potocari, où sont enterrées les dépouilles — pour celles qu’on a retrouvées — des victimes de la tragédie.



Les vallées sont vertes et pentues. L’herbe réunie en belles bottes de paille et les framboises prêtes pour la cueillette. Devant sa maison, une femme en fichu sourit. Le tableau est idyllique. Mais une larme pointe dans les yeux de la vieille dame, lorsque les marcheurs passent en peloton devant sa maisonnette mal reconstruite. «Cela me perturbe de voir tous ces gens. Pendant la guerre, ils sont passés en sens inverse, pas loin d’ici. Un charnier est à 100 mètres de chez moi.» Le mari de Mata Dervisevic est mort au début du conflit, son fils en 1995, à Srebrenica. Le 11 juillet 1995, les Serbes prenaient l’enclave bosniaque après trois ans de siège. Environ 8'000 hommes, de confession musulmane, furent exécutés, beaucoup lors de la fuite à pied de quelque 12'000 d’entre eux.

«Cette nuit-là, j’ai voulu mourir»
Hier, un demi-millier de survivants, leurs familles et amis de nombreux pays ont repris la route, mais en sens inverse. Une marche organisée par un comité réuni autour de la mairie de Srebrenica. Les marcheurs savent cette fois qu’ils finiront le pèlerinage debout. Peut-être plus sereins. Dès l’aube, ils sont prêts, en bordure du minuscule village de Caparde.


Edina Salkic, 22 ans, a fait le trajet depuis Fribourg avec une dizaine de Suisses. Son père a disparu dans la marche en 1995. «Je sais qu’il y était avec quatre de mes cousins. Un seul a survécu. Aujourd’hui, j’aimerais avoir des réponses. Peut-être qu’il est dans une prison en Serbie?» La jeune femme, naturalisée suisse, a donné son sang pour aider à identifier les corps retrouvés.

A plusieurs enjambées de là, les drapeaux de la Bosnie réunifiée ouvrent le cortège. Un groupe de jeunes gens en teeshirt «Srebrenica, never again» sue à grosses gouttes. Salik connaît la Suisse. «J’y ai passé six mois, entre Chiasso, Berne et Schwytz avant d’être renvoyé», lance-t-il en allemand. Aujourd’hui, il marche parce que trois de ses amis ont disparu en 1995. Des tombes blanches, pour les musulmans, apparaissent en haut d’une colline.

Deux médecins se retrouvent et se souviennent
C’est la pause. Deux hommes se serrent dans les bras. Tous deux sont médecins. Gerry Kremer dans l’armée hollandaise. Ilijaz Pilav à la clinique universitaire de Sarajevo. «Notre amitié a malheureusement grandi dans l’enfer de Srebrenica», explique avec colère celui qui était alors chirurgien dans le bataillon hollandais des casques bleus, à Potocari. «Dans la nuit du 11 au 12 juillet, des dizaines de blessés sont arrivés dans l’usine à côté de notre base. J’ai encore honte en pensant que le commandant nous a donné l’ordre de ne pas bouger. J’ai refusé d’obéir.» Ilijaz Pilav, lui, a opéré jour et nuit pendant une semaine, se voyant refuser l’aide des médecins du corps hollandais. Il a ensuite pris le chemin de la fuite pour Tuzla, ville en zone protégée. Pilonnage des forces serbes, embuscades, tirs. «Tous les jours, des amis mouraient. J’ai marché sur des cadavres. J’ai continué. Sans nourriture pendant quatre jours. Une nuit, il a plu et fait très froid. Cette nuit-là, j’ai voulu mourir. Tout semblait désespéré.» Ilijaz Pilav a fait des cauchemars pendant trois ans.

La marche entre maintenant dans la forêt, tout près du tracé initial des fuyards. Certains pointent du doigt un arbre, un replat. Bientôt la fin de la première étape. «C’est la réalisation d’un rêve solidaire», souffle Ivar Petterson, coordinateur genevois de l’association des survivants de Srebrenica et partie prenante de l’organisation de la marche pour la Suisse. A quelques kilomètres de là, des tentes des forces européennes attendent les marcheurs. Edina pose son sac sur ses pieds: «Je ne sais pas, mais j’ai eu l’impression d’être plus proche de mon père.»

Près de 8'000 hommes sont massacrés en moins d'une semaine

L'article de Véronique Pasquier dans 24heures.

La fin tragique d’une enclave encombrante
Il fait chaud, en ce début de juillet 1995, dans la Bosnie que la guerre déchire depuis trois ans. Les forces serbes, en perte de vitesse, ont hâte de conquérir les derniers territoires qui résistent. A commencer par Srebrenica, enclave musulmane aux portes de la Serbie. Le général Mladic veut éliminer ce refuge affamé qui lui a échappé en 1993 et dont les défenseurs pillent le voisinage serbe lors de raids meurtriers. Les circonstances sont favorables à l’assaut. Srebrenica abrite 40 000 personnes dans un état désespéré. Le blocus des Bosno-Serbes frappe jusqu’aux 400 casques bleus hollandais, fragile présence de l’ONU qui a déclaré «zone de sécurité» la ville prête à tomber deux ans auparavant. Ratko Mladic vient aussi de décourager les velléités de bombardement de la communauté internationale en capturant 300 de ses soldats, libérés à la condition qu’elle s’abstienne. Tout se passe comme si le sort de l’enclave, jugée indéfendable et faisant tache sur les cartes des plans de paix, était déjà joué. Les demandes d’intervention aérienne des Hollandais, qui sous-estiment d’abord la gravité de l’attaque du 6 juillet, puis se heurtent à la défense locale dans leur repli, sont éconduites. Lorsque deux avions frappent enfin, le 11, les forces serbes pénètrent déjà dans la ville et Mladic menacent d’exécuter des casques bleus s’ils persistent. «Le moment est venu de prendre notre revanche contre les Turcs de cette région», dit-il à ses troupes.

Destinés à l’exécution
La terreur règne à la base onusienne de Potocari, où quelque 25 000 personnes ont cherché refuge. Alors qu’une colonne de 12 000 hommes fuit par les bois, les autres sont séparés de leur famille et destinés à l’exécution. Dans les jours qui suivent, des bus déportent femmes et enfants jusqu’aux lignes bosniaques. L’aéroport de Tuzla, qui les accueille sous un soleil tapant, n’est que pleurs et cris d’angoisse. Hagards et les pieds en sang, des hommes finissent par arriver de la forêt. Ils décrivent l’enfer des embuscades et des obus, les champs de cadavres en demandant: «Quelle civilisation est l’Europe pour permettre autant de barbarie?» Ceux qui se sont rendus en chemin ont été systématiquement exécutés. Au total, le génocide parfaitement orchestré aura fait près de 8000 victimes en moins d’une semaine.

Une tristesse absolue



Photo Erling Mandelmann

Anne-Catherine Menetrey, conseillère nationale des Verts. Lire aussi son opinion du 1er septembre 2005

«Nous sommes très éprouvées par ce que nous avons vu et entendu. Cela conforte notre opinion qu’il ne faut pas renvoyer ici des requérants sous la contrainte.»

Anne-Catherine Menetrey est en déplacement pour quelques jours dans la région de Srebrenica avec huit autres femmes parlementaires. Chapeauté par le Département fédéral des affaires étrangères, le voyage a pour but de développer les projets de marrainage d’ONG actives dans le domaine du droit des femmes.

«Il s’agit aussi de voir la situation actuelle en Bosnie, alors que des dizaines de rescapés de Srebrenica du canton de Vaud risquent d’être renvoyés ici par la force.» Hier, la délégation a rendu visite à un couple de retraités bosniaques, qui a choisi volontairement de revenir au pays après avoir habité Yverdon. «C’était d’une tristesse absolue. La femme rumine les massacres, la mort de ses petits-enfants. Le couple vit dans sa maison reconstruite au milieu de nulle part, le montant de leur retraite est très faible. On dirait qu’ils sont rentrés pour mourir.»

Perspectives d’avenir? «Pas d’emploi et des risques de réactivation des syndromes post-traumatiques pour les traumatisés des massacres.»

Le Conseil somme la Ville d'Yverdon d’agir auprès de la Fareas


Jean-François Troyon, conseiller communal radical

Le Conseil communal a accepté à la majorité une motion qui demande à la Municipalité d’appliquer un embargo sur l’accueil de nouveaux requérants tant que des solutions n’auront pas été appliquées pour résoudre les problèmes connus dans les immeubles de la fondation.

C’est dans deux immeubles que la Fareas loge de façon concentrée depuis plusieurs années une partie des quelque 650 requérants attribués à la ville. Dans le voisinage, mais aussi parmi les locataires de ces bâtiments où règnent un certain désordre et de nombreuses tensions, un ras-le-bol se fait sentir depuis 1999 déjà (lire encadré). C’est pour qu’enfin les choses changent que le conseiller communal radical Jean-François Troyon a déposé une motion jeudi.

Accepté par les trois quarts de l’organe délibérant, ce texte met en demeure la commune d’entreprendre et de faire aboutir des négociations avec la Fareas. Le motionnaire demande en particulier que soient engagés des concierges responsables dans chacun des immeubles concernés, que des règles précises soient établies sur le règlement des conflits pour permettre par exemple de faire évacuer de leur logement des requérants récalcitrants, et de «faire facturer à la Fareas les dégâts causés par ses protégés tant aux propriétés voisines privées que publiques».
Embargo sur l’accueil

La motion contient aussi une «demande d’embargo sur l’accueil de nouveaux requérants d’asile à Yverdon tant que des solutions efficaces n’auront pas été appliquées pour résoudre les différents problèmes connus». «Le seul but de cette motion est de reporter un pouvoir sur la Municipalité, affirme Jean-François Troyon. Elle n’est pas là pour taper sur les protégés de la Fareas.» Le motionnaire insiste sur le fait qu’il cherche avant tout à éviter que des conflits ne s’enveniment.

A gauche comme à droite, cette motion a d’ailleurs été très bien reçue à la plus grande satisfaction de Jean-François Troyon. «Comment peut-on avoir laissé une situation se dégrader pareillement?», a réagi Jean-Hugues Schulé. «Pour quelques brebis égarées, tout le monde est mis dans le même paquet», a-t-il aussi regretté.

Le syndic, Rémy Jaquier, affirme avoir très bien reçu cette motion. «Nous sommes justement en train d’entreprendre des contacts avec la Fareas pour mettre en place un meilleur suivi des affaires yverdonnoises.» Ce signal fort de la population relayée par ses élus entre donc dans un processus déjà enclenché par la commune. Donne-t-il une force supplémentaire à l’Exécutif dans ses négociations? «Bien sûr, la motion leur donne une substance et établi des revendications claires.» Le syndic est confiant. «La Fareas doit prendre certaines responsabilités. Elle le fera sans doute une fois ses problèmes internes réglés.»

La Fareas attend pour réagir


Des plaintes du voisinage depuis 1999 déjà.

L’article intitulé «Quand trottoir rime avec déchetterie» paru dans notre édition du 26 juin est en quelque sorte la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.
Les problèmes d’incivilités et de nuisances sonores autour des immeubles d’Haldimand et de la Faïencerie ne datent néanmoins pas d’hier. La motion retrace différents épisodes, dont une pétition remise en 1999 au président du Conseil communal par des voisins. Pétition qui aurait été suivie de promesses mais d’aucun acte concret. Le texte fait aussi référence à une lettre de la Fareas datée du 4 septembre 2003, elle aussi restée sans effet. «Depuis mai 1999, la Fareas manipule l’information. Elle ne tient pas ses engagements pour soulager le voisinage et génère la révolte», affirme la motion.

Confrontée au contenu du texte dont elle n’avait pas encore eu connaissance, la responsable de la communication de la Fareas, Emmanuelle Marendaz Cole, a préféré attendre pour prendre position que son directeur, Pierre Imhof, soit de retour de vacances. La fondation souhaite aussi s’entretenir d’abord directement avec la Municipalité. Globalement, la chargée de la communication rappelle ce qu’elle avait déjà dit lors d’un précédent article: les requérants sont informés sur la manière de tenir les logements et sur les us et coutumes en vigueur. De plus, les immeubles de la Fareas seraient aussi fréquemment visités par des intendants. Affaire à suivre, donc…

Une politique absurde

Comment faire comprendre à une ressortissante éthiopienne qui, il y a maintenant dix ans, croyait avoir trouvé refuge dans notre pays que, du jour au lendemain, elle doit abandonner travail, amis, patients, pour retomber à la charge de la collectivité, qu’elle doit renoncer à son indépendance, qu’elle doit s’attendre à être renvoyée dans la Corne de l’Afrique pour y vivre un avenir improbable?

Pour Lidya, la Suisse risque de n’être qu’un miroir aux alouettes, une illusion, un mirage. Par notre politique absurde, nous lui avons fait croire à l’exception vaudoise, et que ce pays avait besoin d’elle. Elle qui s’était intégrée à notre société, tranquillement, patiemment, sans rien demander à personne. Elle avait trouvé un travail dans les milieux sociaux, dans un EMS où les patients appréciaient sa disponibilité, sa patience et son sourire.

Alors que demandons-nous? Rien, si ce n’est un peu d’humanité dans un monde qui en manque de plus en plus. Rien, si ce n’est que Lidya puisse continuer à vivre la vie qu’elle s’est construite dans le pays d’Henri Dunant. Mais ces presque rien nous permettraient de nous regarder chaque matin dans le miroir sans avoir honte de nous.

Françoise Pierre-Louis,
Au nom du personnel du 1er étage du Home Salem,
Saint-Légier