lundi 24 août 2009

Critiques contre la politique migratoire de Berlusconi

La mort en mer de 73 clandestins ravive les critiques contre la politique migratoire de Silvio Berlusconi


LE MONDE | 22.08.09 | 14h14 • Mis à jour le 22.08.09 | 14h14
Rome Correspondant

La déshydratation, la fatigue, le soleil de plomb du jour et le froid de la nuit ne leur ont laissé aucune chance : 73 candidats à l'immigration, tous érythréens, partis de Tripoli, en Libye, le 28 juillet, sur une embarcation, ne sont pas arrivés au bout de leur traversée du canal de Sicile.

Faute de carburant suffisant, leur esquif (un Zodiac de 12 mètres) a dérivé pendant plus de vingt jours. Seuls cinq survivants, dans un état grave, ont rejoint, jeudi 20 août, les côtes de l'île de Lampedusa. "Nous avons jeté les cadavres par-dessus bord, a raconté l'un d'eux, Habeton, 18 ans. Nous avons croisé au moins dix navires, seul un bateau de pêcheurs s'est arrêté pour nous donner des vivres et de l'eau."

Les circonstances de cette tragédie - l'une des plus graves depuis la disparition de 300 personnes à Noël 1996 - ont été jugées "alarmantes" par Laura Boldrini, porte-parole du Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations unies (HCR). "Tout se passe comme si la peur prévalait sur le devoir de porter assistance en mer", a-t-elle déclaré. "Quand on pense que le canal de Sicile est totalement surveillé, cela veut dire que ce bateau a été abandonné à son destin", accuse Christopher Hein, responsable du conseil italien pour les réfugiés.

Le quotidien de la Conférence des évêques italiens, Avvenire, dénonce "la loi du non-voir", et ose un parallèle avec les convois de déportés organisés par les nazis : "Quand, aujourd'hui, nous lisons les récits sur les déportations des juifs sous le nazisme, nous nous demandons : ces convois plombés, les voix, les cris dans les gares de transit, personne ne les voyait ou ne les entendait ? A l'époque, c'était le totalitarisme et la terreur qui faisaient fermer les yeux. Aujourd'hui, non. Une indifférence tranquille, résignée, peut-être même une aversion gênée..."

A ces prises de positions morales s'ajoute la polémique politique. Pour l'opposition, ce drame et l'absence de secours sont des conséquences du durcissement de l'arsenal législatif contre l'immigration clandestine, devenue un délit. "Une chose est de lutter contre, une autre est le manque de respect des droits de l'homme", a déclaré Dario Franceschini, secrétaire du Parti démocrate (gauche), qui demande au gouvernement d'apporter des "éclaircissements au Parlement".

"C'est une énième tragédie annoncée, une tragédie qui pèse sur les épaules de notre pays ", a commenté Leoluca Orlando, porte-parole du parti l'Italie des valeurs.

Confrontée à la hausse des débarquements de clandestins sur ses côtes (36 952 en 2008), l'Italie a signé, dans le cadre d'un traité d'amitié avec la Libye, d'où partent presque la totalité des embarcations d'immigrés, un accord, entré en vigueur le 1er mai, qui permet à Rome de rapatrier les clandestins avant même qu'ils n'accostent sur le sol de la Péninsule pour faire valoir une demande d'asile.

SEULS SEPT CORPS REPÉRÉS

Cette mesure, dénoncée par les associations humanitaires, le HCR, l'Eglise italienne, le Vatican, a eu un effet immédiat : en mai et juin, seules 1 116 personnes ont débarqué sur les côtes italiennes, soit 9 000 de moins qu'en 2008 sur la même période.

Montré du doigt, le gouvernement de Silvio Berlusconi - le chef du gouvernement doit se rendre en Libye le 30 août - met en doute le récit des survivants tel qu'il a été publié dans la presse. Roberto Maroni, le ministre de l'intérieur, a demandé une enquête au préfet d'Agrigente (Sicile), "afin de savoir comment se sont déroulés les faits". Le ministère de l'intérieur s'étonne notamment qu'aucune patrouille aérienne ou maritime n'ait signalé, ces jours derniers, de cadavres dérivant dans cette zone.

Les autorités maltaises ont annoncé seulement jeudi que sept corps avaient été repérés à la limite des eaux territoriales libyennes. Ils n'ont pas été repêchés.

Philippe Ridet
Article paru dans l'édition du 23.08.09