mardi 28 octobre 2008

Refoulés...dans un container

Blocage/occupation du "CRA" de Liège

http://switzerland.indymedia.org/fr/2008/10/63936.shtml
[Belgique] Blocage/occupation du "CRA" de Liège
26-10-2008 20:36

Samedi 25 octobre, la prison pour étrangers de Vottem (près de Liège) a
été bloquée pendant une journée par des activistes.

60/70 activistes, venant de différentes villes belge et hollandaise, ont
bloqué le camp pour migrants de Vottem, près de Liège. Les activistes
sont arrivés à 7h du matin et ont sauté par-dessus les barrières
surmontées de pics. Une fois à l'intérieur, plusieurs activistes se sont
enchaînés à l'aide de "lock-on" (des tubes renforcés dans lesquels on
attache les bras de 2 personnes, une de chaque côté de la grille ou du
dispositif de la porte), 2 autres ont escaladé les grillages pour
s'attacher à quelques mètres de hauteur, tandis que les autres fixaient
des banderoles et ramenaient du matériel. Les 4 portes extérieures et 2
portes intérieures ont été bloquées de 7h à 15h, quand les activistes
ont décidé de lever le blocage et sont repartis sans aucune arrestation
(les policiers n'avaient pas pu agir pendant la journée à cause des
portes fermées, du nombre d'activistes et des lock-ons nécessitant une
intervention spéciale). Les expulsions de la journée ont été annulées, à
certains endroits du blocage, il était possible de communiquer avec les
migrants détenus. (...)

Des photos et un compte-rendu heure par heure de la journée sont
disponibles ici:
http://www.cemab.be/news/2008/10/5939.php

Communiqué du groupe des bloqueurs
http://www.cemab.be/news/2008/10/5955.php

Réponse du gouvernement vaudois : Kosovo, le retour au pays ?

Canton de Vaud - Grand Conseil
Septembre 2008
08_INT_073

RÉPONSE DU CONSEIL D'ETAT
à l'interpellation Eric Bonjour, Kosovo : et maintenant, le retour au pays ?

Rappel de l'interpellation

J'ai l'honneur de soumettre l'interpellation suivante, également
déposée en parallèle dans le Canton
du Valais par un député UDC valaisan, dont voici le texte :

La reconnaissance par la Suisse, de l'indépendance du Kosovo ne peut
manquer d'avoir des conséquences sur le statut des Kosovars, - arrivés en Suisse du fait
du conflit qui déchirait ce que le Conseil fédéral considère aujourd'hui comme un pays – qui ne
bénéficient, pour séjourner en Suisse, que d'une autorisation précaire. C'est le cas des demandeurs d'asile dont la procédure n'est pas terminée, des réfugiés statutaires et des Kosovars au bénéfice d'une admission provisoire.

Dans ce cadre, le Conseil d'Etat est prié de répondre aux questions suivantes :
- Combien y a-t-il actuellement dans notre Canton, de personnes ressortissantes de l'actuel Etat
autoproclamé indépendant du Kosovo et dont la demande d'asile est encore pendante ?
- Combien de personnes ressortissantes de cet Etat ont-elles actuellement le statut de réfugié
statutaire dans notre Canton de Vaud ?
- Combien de personnes ressortissantes de cet Etat sont-elles actuellement au bénéfice d'une
admission provisoire dans notre Canton ?
- Le Conseil d'Etat est-il d'avis que la proclamation de l'indépendance du Kosovo et la
reconnaissance de cette indépendance par la Suisse ont créé une situation nouvelle permettant
d'exiger le retour de toutes ces personnes dans leur pays d'origine et donc, au préalable, la
révocation de leur titre de séjour en Suisse ?
- Le cas échéant, quelles démarches le Gouvernement vaudois entend-il entreprendre dans ce sens, soit dans le cadre des compétences cantonales, soit en s'adressant aux autorités fédérales, en particulier en ce qui concerne les ressortissants kosovars résidant dans notre Canton ? Afin que l'utilisation par la Suisse de l'aide humanitaire, que celle-ci soit pérennisée à l'avenir et pas
contournée par des considérations partisanes, il nous paraît important que ce problème soit traité avec diligence.

Puidoux, le 8 avril 2008


1. PREAMBULE

a) Rappel du contexte : compétences quasi exclusives des autorités
fédérales en matière de droit
d'Asile et de relations internationales

Le 27 février 2008, suite à la déclaration d'indépendance de l'ancienne
province serbe du Kosovo,
intervenue le 17 février 2008, le Conseil Fédéral a décidé de
reconnaître le Kosovo en tant qu'Etat
indépendant et d'établir des relations diplomatiques avec lui.

Selon l'interpellant, la reconnaissance par la Confédération helvétique
du Kosovo en tant qu'Etat
indépendant ne peut manquer d'avoir des conséquences sur le statut des
Kosovars qui ne bénéficient
que d'une autorisation de séjour précaire, tels que – toujours selon
l'interpellant – le statut de réfugié,
l'admission provisoire ou encore le séjour durant la procédure d'asile.

A cet égard, le Conseil d'Etat tient à rappeler qu'en matière de  migration tout étranger a droit à un traitement individualisé de sa demande. L'Etat ne rend aucune décision  type, ni ne crée des catégories de dossiers basées sur la provenance des requérants d'asile, leur  nationalité, leur sexe ou leur religion afin de systématiser leur traitement.

Par ailleurs, le Conseil d'Etat relève aussi que le statut de réfugié découle du droit international, à
savoir la Convention sur le statut des réfugiés. En reconnaissant ce statut à un individu et en lui
octroyant l'asile, l'Etat lui assure sa protection et l'intéressé est mis au bénéfice d'une autorisation deséjour (permis B) ou d'établissement (permis C). La personne concernée
ne peut pas être renvoyée de Suisse (principe de non refoulement). Il est donc erroné de qualifier de précaire le droit de séjour des réfugiés reconnus.

L'institution de l'admission provisoire, quant à elle, a été introduite dans le droit suisse pour répondre aux obstacles liés au renvoi d'une personne ne pouvant être mise au  bénéfice du statut de réfugié ou d'un titre de séjour de police des étrangers. Elle est octroyée soit parce qu'un renvoi serait contraire aux obligations suisses en vertu du droit international, soit parce
qu'il n'est raisonnablement pas exigible pour des motifs humanitaires (âge, santé, etc.), soit encore  parce qu'il n'est pas possible. En cas de changement de situation, l'admission provisoire peut être levée.
Toutefois, constatant que la grande majorité des personnes au bénéfice d'une admission provisoire  continue à séjourner en Suisse pendant de longues années, la nouvelle législation fédérale (loi sur les  étrangers) met désormais en avant l'intégration de ces personnes dans notre pays.

En ce qui concerne les personnes dont la procédure d'asile est en cours, elles bénéficient du droit de séjourner en Suisse durant dite procédure, en vertu du principe de non refoulement précité. Ce n'estqu'à l'issue de la procédure d'asile qu'il est possible de savoir sileur séjour dans notre pays s'avèrepassager ou durable.

Il convient de rappeler également que les compétences en matière d'asile appartiennent presque
exclusivement à la Confédération, les cantons étant principalement chargés d'exécuter les décisions fédérales de renvoi. Ainsi, seules les autorités fédérales ont  compétence pour reconnaître le statut de réfugié et octroyer l'asile, le révoquer, le cas échéant, octroyer
l'admission provisoire et lever cette mesure, si nécessaire. Ce sont elles qui conduisent la procédure d'asile.

Il sied de relever ici que les autorités fédérales compétentes n'ont, à ce jour, pris aucune décision
particulière quant à la situation des ressortissants du Kosovo ayant obtenu un statut de réfugié ou une admission provisoire au terme d'une procédure d'asile, quant à la situation des personnes de ce même pays dont la procédure est encore ouverte.

b) Remarques liminaires au sujet des statistiques actuellement disponibles

A l'heure actuelle, dans la mesure où les bases de données informatiques
n'ont pas encore été adaptées
à la nouvelle situation géopolitique du Kosovo, il n'existe pas (encore)
de statistique officielle portant
spécifiquement sur les ressortissants de ce pays séjournant en Suisse.

En effet, ces personnes sont, à ce jour, incluses comme des
ressortissants de Serbie.

De ce fait, il est impossible de fournir des réponses chiffrées exactes
aux différentes questions posées,
seules des approximations étant disponibles.

Par ailleurs, le nombre de ressortissants du Kosovo venus dans notre
Canton sans avoir eu besoin de
demander l'asile (probablement, plusieurs milliers) est nettement plus
élevé que celui des personnes
arrivées au travers d'une demande d'asile.

Enfin, un nombre important de personnes originaires du Kosovo a obtenu
la nationalité suisse.

Kosovo, et maintenant le retour ?

1. Combien y a-t-il actuellement, dans notre Canton, de personnes
ressortissantes de l'actuel Etat
autoproclamé indépendant du Kosovo et dont la demande d'asile est encore
pendante ?

Environ 120 personnes.

2. Combien de personnes ressortissantes de cet Etat ont-elles actuellement le statut de réfugié
statutaire dans notre Canton ?

Environ 200 personnes.

3. Combien de personnes ressortissantes de cet Etat sont-elles actuellement au bénéfice d'une
admission provisoire dans notre Canton ?

Environ 450 personnes.

4. Le Conseil d'Etat est-il d'avis que la proclamation de l'indépendance du Kosovo et la
reconnaissance de cette indépendance par la Suisse ont créé une situation nouvelle permettant
d'exiger le retour de toutes ces personnes dans leur pays d'origine et donc, au préalable, la révocationde leur titre de séjour en Suisse ?

En préambule, il sied de noter que, comme indiqué plus haut, dans le domaine de l'asile, les
compétences décisionnelles appartiennent aux autorités fédérales et non au Conseil d'Etat vaudois.
Ainsi, seul le Conseil fédéral, voire l'Office fédéral des migrations (ODM), pourraient éventuellement prendre des décisions qui tendraient, par exemple, à un traitement
spécifique des demandes d'asile encore en cours d'examen, à une levée des admissions provisoires (permis F) précédemment accordées
ou au retrait de la qualité de réfugié aux personnes qui l'ont obtenue.

A noter que tant la levée d'une admission provisoire, que le retrait de la qualité de réfugié sont des décisions prises par l'ODM après un examen individualisé de chaque
dossier. Elles sont susceptibles derecours.

De ce fait, s'agissant des personnes se trouvant encore en procédure d'asile, à savoir les requérants dont la demande n'a pas encore été tranchée (permis N) et les admis à titre
provisoire (permis F), lesautorités vaudoises ne disposeraient d'aucune marge de manoeuvre pour influer sur les décisions fédérales.

S'agissant maintenant des personnes ayant obtenu le statut de réfugié et qui disposent
déjà actuellement d'un permis B ou C (soit, en principe, les 120 réfugiés statutaires mentionnés plus haut), le retrait éventuel de leur qualité de réfugié n'entraînerait pas
automatiquement la caducité de leur permis de séjour.

En effet, le retrait de la qualité de réfugié ne constitue pas un motif
de révocation des permis C. Quant aux permis B, sous réserve de l'approbation de l'ODM, ils peuvent  parfaitement être prolongés par les autorités cantonales nonobstant le retrait précité.

A ce propos, il sied de noter que tant les refus de prolonger les autorisations de certaines personnes, que les refus d'approbation que pourrait prononcer l'ODM,  consituteraient des décisions individuelles susceptibles de recours et qui devraient être motivées par des motifs
objectifs (ex. comportement délictueux, problèmes d'assistance publique ou intégration insuffisante en Suisse).

5. Le cas échéant, quelles démarches le Gouvernement vaudois entend-il entreprendre dans ce sens, soit dans le cadre des compétences cantonales, soit en s'adressant aux
autorités fédérales, en particulier en ce qui concerne les ressortissants kosovars résidant dans
notre Canton ? Afin que l'utilisation par la Suisse de l'aide humanitaire, que celle-ci soit
pérennisée à l'avenir et pas contournée par des considérations partisanes, il nous paraît important que ce problème soit traitéavec diligence.

Au vu de ce qui précède, et considérant en particulier la clarté du
droit fédéral par rapport à la
problématique soulevée par l'interpellant, le Conseil d'Etat ne
bénéficie d'aucune marge de manoeuvre
pour inciter les autorités fédérales à changer la manière dont ils
traient les dossiers relevant de la loi sur
l'asile. Celle-ci devant, par ailleurs, assurer l'objectivité et
l'équité des décisions rendues, il n'est pas
concevable que le Gouvernement vaudois agissent en faveur d'une
modification qui ferait fi des
principes fondamentaux du droit d'asile. Pour le surplus, le Conseil
d'Etat relève que la dernière
question de l'interpellant n'est simplement pas compréhensible.

Ainsi adopté, en séance du Conseil d'Etat, à Lausanne, le 3 septembre 2008.

Le président : Le chancelier :
P. Broulis V. Grandjean

Le camp, révélateur d’une politique inquiétante de l’étranger

57 | L'Europe des camps



Mathieu Bietlot

Le camp, révélateur d'une politique inquiétante de l'étranger

Résumé

Contrairement aux discours officiels qui les banalisent, les centres pour étrangers sont à proprement parler des camps, c'est-à-dire des lieux de maintien sous contrôle de groupes d'humains indésirables. Ils ne sont pas pour autant comparables aux camps de déportation ou d'extermination propres aux régimes totalitaires : leurs fonctionnement et fonctions en diffèrent énormément. Parallèlement voire en opposition à leurs fonctions officielles (limiter les flux migratoires et organiser le rapatriement des étrangers non admis), les camps pour étrangers effectuent une série de fonctions officieuses ou d'effets de pouvoir qui se situent davantage à l'extérieur qu'à l'intérieur des camps. Ces fonctions sont d'ordres symbolique, politique, policier et économique. L'ensemble du dispositif de contrôle des flux migratoires contribue à confiner l'étranger dans l'image, la place et le rôle que lui réservent nos sociétés : il n'est plus question de discipliner une masse de travailleurs immigrés mais de gérer les effets indésirables de la mondialisation des échanges et d'utiliser la précarité de l'immigration irrégulière pour expérimenter ou asseoir davantage les appareils répressifs, la dérégulation du rapport salarial et la flexibilisation fonctionnelle ou numérique du travail. De sorte que le fonctionnement réel et symbolique des camps s'inscrive dans un schéma de société plus global : le néolibéralisme sécuritaire. La société de contrôle sécuritaire succède à la société disciplinaire de Foucault : les mécanismes sécuritaires sont à la mondialisation et à la production post-fordiste, ce que les disciplines étaient à l'intégration nationale et à la production fordiste. La peur qui façonne de nouvelles réalités, justifie et fait fonctionner automatiquement le pouvoir sécuritaire en constitue le diagramme.

Texte intégral : http://www.conflits.org/index1763.html

Histoire des centres fermés pour étrangers en Belgique

http://www.territoires-memoire.be/am/affArt.php?artid=483
Article d'Aide-Mémoire

Les centres fermés en Belgique

Bietlot, Mathieu
n°46, octobre-décembre 2008

« Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie » (Nizan)

Vingt ans déjà ! Un anniversaire qui fera moins de tapage que les commémorations de mai 68 ou de la Déclaration universelle des droits de l’Homme : c’est en décembre 1988 que le premier centre fermé pour étranger est entré en fonction, d’abord officieuse, dans le petit royaume de Belgique1. Vingt ans que des individus se trouvent de plus en plus systématiquement privés de leur liberté, sans avoir commis le moindre délit ni avoir été jugés par une autorité judiciaire tel que le requiert la Déclaration. Leur seul tort consiste à avoir tenté ailleurs l’aventure d’une vie meilleure sans respecter les contraintes administratives de nos Etats nationaux, trop nationaux !

Vingt ans, et avant ? Jusque-là, nul besoin - excepté en période d’Occupation - de ces centres barbelés présentés aujourd’hui comme la clé de voûte indispensable d’une politique d’asile et d’immigration cohérente et crédible, ferme et humaine.

Certes, la possibilité d’éloigner un étranger et, à cette fin, de le maintenir à disposition des autorités existe depuis toujours en Belgique. Sa première formulation remonte à l’arrêté du 6 octobre 1830 édicté par le gouvernement provisoire… deux jours après l’indépendance du pays. Elle fut reprise par les successives législations relatives aux étrangers (celles de 1835, 1897, 1952) jusqu’à la loi du 15 décembre 1980 qui leur accordait enfin un réel statut et des droits. Ces mesures d’enfermement demeuraient facultatives et n’intervenaient qu’à titre exceptionnel. Dans l’esprit du législateur, l’étranger était censé exécuter par lui-même la mesure d’éloignement qui lui avait été signifiée.

Le tournant a eu lieu avec les années ’80 bien qu’il ait été préparé par l’arrêt de l’immigration de travail en 1974. En raison des fermetures ou restrictions des voies d’immigration légale autant que de l’instabilité qui bouleversa de nombreuses régions, de plus en plus d’étrangers tentèrent d’entrer en Belgique par la porte de l’asile et celuici changea de traitement politique. Jusque-là, l’asile n’avait rien à voir avec les questions de migration, la Belgique se faisait un honneur d’accueillir et de protéger les réfugiés depuis qu’elle avait signé la Convention de Genève du 28 juillet 1951. Dès lors qu’il a commencé à poser problème à l’État, non seulement quantitativement mais qualitativement (suspicion d’abus de la procédure), l’asile s’est vu de plus en plus envisagé sous l’angle gestionnaire et policier des politiques de l’immigration. Cette transformation d’un droit fondamental en dispositif de contrôle de flux donna naissance au premier centre fermé.

Pour faire face à « l’afflux », une série de modifications de la loi de 1980 cherchèrent à rendre la procédure d’asile plus souple et plus rapide (entendez : plus stricte et sélective). Vu les conditions précaires et précipitées de sa fuite, on estimait auparavant que celui qui demandait refuge n’était pas en mesure de satisfaire à toutes les formalités d’accès au territoire. Il pouvait donc y pénétrer et y introduire sa demande. Depuis la réforme de 1987, la demande d’asile doit d’abord être jugée « recevable » avant que le candidat ne franchisse la frontière.

Suite à l’entrée en vigueur de la loi, des demandeurs d’asile se sont ainsi retrouvés coincés dans la zone de transit de l’aéroport le temps (plus ou moins long) que l’Office des étrangers statue sur leur recevabilité. Rien n’avait été prévu pour gérer cette conséquence inévitable. On improvisa donc en bordure de piste de l’aéroport à Melsbroek un baraquement pour contenir ces nouveaux errants : la « zone 127 », aujourd’hui toujours en fonction et toujours aussi mal adaptée à l’enfermement de migrants tous âges et sexes confondus. Ainsi apparut le premier centre fermé dont ni l’existence ni le fonctionnement n’était prévu et régi par la loi. La réforme suivante (loi Wathelet de 1991) lui octroya un fondement légal et avec la loi Tobback de 1993, la possibilité de rétention s’est étendue à d’autres étrangers déjà sur le territoire2. De nouveaux centres fermés ont été créés à cette fin.

A l’heure actuelle, il existe six centres fermés : un centre de refoulement pour passagers inadmissibles à l’aéroport (INAD), un centre de transit pour les personnes qui demandent l’asile à la frontière (centre 127), un centre de rapatriement (centre 127 bis) et trois centres pour illégaux (Merksplas, Brugge et Vottem). La capacité totale de détention se situe aujourd’hui autour de 600 places et varie en fonction du personnel disponible (la règle étant un travailleur par détenu, taux d’encadrement bien supérieur à celui de la prison) et des réfections de bâtiments. On estime entre 7000 et 9000 le nombre de détenus annuels. Des explorations sont en outre menées en vue de construire ou aménager de nouveaux centres.

La spécialisation des centres par type de « public » s’avère très théorique. Des contingences pratiques (manque de places ou de personnel, travaux, transferts de détenus…) la chambardent sans cesse. On retrouve donc dans tous les centres des demandeurs d’asile avant, pendant et après la procédure, des personnes en séjour irrégulier, des migrants ayant purgé une condamnation pénale et des personnes dites « inadmissibles ». Cette population est majoritairement masculine. Parmi les femmes détenues, on compte aussi des femmes enceintes, isolées du contact avec les autres détenus. Ces centres enferment également des mineurs, accompagnés ou non : quelques centaines par an. Les conventions internationales interdisent la détention des mineurs or les centres fermés demeurent des institutions de type carcéral où presque rien n’est prévu pour l’accueil des enfants. Les médias et l’opinion s’émeuvent plus facilement du sort des enfants. S’il est vrai que le cadre est incompatible avec l’épanouissement de l’enfant et que le stress, la violence, l’incompréhension et le traumatisme auront des conséquences plus profondes et irréversibles sur leur développement, la détention des mineurs n’est pas plus illégitime ou inacceptable que celle des majeurs. L’indignation de la société civile a fini par pousser le politique à mettre en place un système de tutelle et d’accueil spécifique pour les mineurs non accompagnés ainsi que, tout récemment, des logements individualisés pour les familles avec enfants. Un petit pas en avant… Bien qu’il faudra évaluer la dimension carcérale de ces logements et qu’on puisse craindre qu’en ayant répondu au plus « émouvant », le gouvernement désamorce les critiques à venir et remette au frigo la question de l’enfermement.

Ces lieux de mise à l’écart des étrangers arborent des dehors de prison : hauts grillages, grands murs surmontés de concertinas, tours de contrôle, caméras de surveillance, nombreux agents de gardiennage opérant des rondes accompagnés de chiens… Le mode de vie - principalement en groupe - est régi par un strict système disciplinaire qui fonctionne au bâton et à la carotte.

D’un côté, dans un espace quadrillé et un emploi du temps réglé comme du papier à musique, les détenus sont en permanence surveillés (par la présence d’agents ou de caméras de sécurité). Un système de sanctions graduel punit « tout acte de désobéissance, d’insubordination ou de rébellion, ainsi que tout manquement aux règlements ou abus par rapport à ce que ceuxci autorisent » 3, avec une énorme marge de manoeuvre laissée aux agents et au directeur, une porte ouverte à l’arbitraire ! En outre, de tels lieux clos sont inévitablement propices à tous les dérapages et avanies ; on sait que l’enfermement de groupes humains indésirables - présentés comme tels aux agents chargés de leur surveillance - conduit souvent à des tragédies. S’il est le plus notoire, le décès de Semira Adamu n’est pas le seul qu’ont provoqué les centres fermés. Moins tragiques, les bagarres et automutilations, les émeutes et tentatives d’évasion, sont beaucoup plus fréquentes.

Du côté de la carotte, une politique occupationnelle (sport, jeux de société, bricolages, « fêtes » - non sans cynisme -, tâches d’entretien, quelques formations,…) vise avant tout à pacifier le centre, à parer au désoeuvrement source de troubles et à détourner l’agressivité générée par l’enfermement lui-même ou par la promiscuité imposée à des individus très différents et tous tendus. Des « éducateurs » et « accompagnateurs » assurent la gestion du groupe et « l’aspect social de la surveillance ». Ils ont également une fonction explicite de repérage des éléments perturbateurs, des meneurs, et des complots de révolte. L’organisation des centres fermés compte également un service médical, social et psychologique.

Le personnel de ces services, au même titre que les agents de sécurité et la direction, est engagé comme « terugkeerfunctionaris » dont la mission consiste à maintenir les étrangers dans le centre et à les préparer à leur rapatriement « quel que soit l’état de leur dossier »4. Ce qui n’est pas sans soulever de lourds problèmes déontologiques. Les régimes répressif et occupationnel concourent à infantiliser les détenus. Ceux-ci sont surtout réifiés, anonymisés, réduits à un matricule voire mortifiés par les engrenages d’une machine administrative impersonnelle branchée sur la gestion de flux. Partant de la formule de Hegel, « le mot est le meurtre de la chose » (nommer une chose, c’est la définir, la finir, lui ôter toute vie imprévisible), Maurice Blanchot médita sur « l’appel des noms dans les camps » qui sous le nazisme soulignait explicitement le rôle impersonnalisant et meurtrier de la nomination lorsqu’elle n’exprime pas « le droit à être là en personne ». Toute proportion gardée, cette situation extrême fait apparaître « le sens de toute formalité d’état-civil (comme de toute vérification d’identité, laquelle donne lieu, dans nos civilisations raffinées, à toutes violences et privations de liberté policières) » 5.

Au terme de cette rapide description des conditions de détention, dont les atteintes à la dignité humaine sont flagrantes, je voudrais souligner que le scandale des centres fermés réside moins dans leur fonctionnement que dans leur existence même. Ils n’ont aucune raison d’être. Ni sur le plan des principes : on n’incarcère pas un innocent. Ni sur le plan de l’efficacité : malgré leur coût élevé, tant humain que financier, ils ne réussissent nullement à refouler l’immigration non autorisée et génèrent des effets contreproductifs (peut-être pas pour tout le monde….)6. Si j’ai entamé mon propos par l’historique des centres fermés, c’est à dessein de montrer qu’ils n’ont pas toujours existé, donc qu’on pourrait demain envisager une politique de l’immigration, conforme aux droits et mouvements humains, qui fasse l’économie de ces camps de la honte.

Notes :
1 Excepté la campagne « 10 - 20 - 60 » qui demeure à ce jour encore très confidentielle et n’a pas rassemblé les forces, les énergies et les actions d’une ampleur égale à celles de ses enjeux : http://campagneetmanif.canalblog.com/
2 Les réformes suivantes (1996, 1999, 2006,…) ne feront qu’étendre les motifs d’enfermement des migrants.
3 Article 89 de l’Arrêté Royal du 2 août 2002, Moniteur Belge, 12 septembre 2002.
4 Centrum Illegalen Merksplas, Jaarverslag 2000
5 Maurice Blanchot, Le pas au-delà, Paris, Gallimard, 1973, pp. 56-57
6 Je renvoie à ce propos à mes écrits plus détaillés sur le sujet, notamment : « Le camp, révélateur d’une politique inquiétante de l’étranger », in Cultures et Conflits, n°57, (disponible sur http://www.conflits.org/index1763.html).