Pour faire face à la vague de migrants provenant d’Afrique du Nord, l’Italie a demandé l’aide financière de l’UE. Mais plutôt que d’augmenter le budget de l’agence de surveillance Frontex, l’Union devrait réformer sa politique d’asile et favoriser l’intégration économique des immigrés.
Le gouvernement italien, au nom du burden sharing (“partage du fardeau”), demande à l’Europe de prendre en charge le problème des débarquements à Lampedusa, non seulement en participant aux coûts de mise en place de patrouilles sur nos frontières – ce que fait déjà Frontex –, mais encore en offrant l’hospitalité à une partie des réfugiés arrivés sur les côtes italiennes.
Rome a demandé à Budapest, qui préside actuellement l’UE, de convoquer un sommet extraordinaire pour établir les termes et les modalités de cette répartition des charges que représentent à la fois l’accueil des réfugiés et l’examen des demandes d’asile. Notons à ce sujet qu’un grand nombre de réfugiés semblent avoir l’intention de quitter l’Italie ; en règle générale, les réfugiés politiques – comme tout immigré – choisissent de se concentrer plutôt dans les régions déjà occupées par une communauté de personnes parlant la même langue et possédant la même nationalité qu’eux. Aujourd’hui, les plus fortes concentrations de Tunisiens et de citoyens originaires d’Afrique du Nord se trouvent essentiellement en France et en Espagne.
La nécessaire réforme des politiques d'asile
La demande de l’Italie risque cependant de ne pas être entendue par l’opinion publique des grands pays de l’UE – à commencer par l'allemande – habitués à accueillir dix fois plus de réfugiés politiques qu’elle. Les petits pays, comme la Norvège, les Pays-Bas et la Suède, y seront encore moins sensibles : durant ces vingt dernières années, ils ont accueilli, proportionnellement à leur population, jusqu'à quinze fois plus de demandeurs d'asile politique que l’Italie.
Voilà pourquoi il faut aller au-delà de l’urgence et présenter à l’Europe des demandes cohérentes. Tout d’abord, une série de réformes sur les politiques de droit d’asile : on ne peut plus traiter la question des réfugiés politiques comme un problème purement diplomatique, nettement séparé des questions plus larges d’immigration économique. Les frontières entre ces deux types de flux migratoires sont très fragiles : le traitement des demandes d’asile par les Etats membres semble répondre à des facteurs d’ordre économique (comme le chômage ou le revenu par habitant du pays de destination) plutôt qu’à des facteurs purement politiques, comme la guerre ou la présence de régimes dictatoriaux dans les pays d’origine.
En outre, une erreur très grave a été commise en Europe dans les procédures d’asile : jusqu’à présent, on a empêché les réfugiés politiques de travailler et de choisir dans quelle région ils voulaient résider à l’intérieur d’un pays. Le but étant de dissuader un trop grand nombre de demandes d’asile.
Le résultat est toutefois contre-productif : plusieurs études montrent que les restrictions de ce genre ne découragent pas les abus. Bien au contraire. En empêchant de travailler les personnes ayant obtenu le droit d’asile, on bloque l’intégration économique des immigrés, et on augmente parallèlement le poids fiscal qu’ils exercent sur la population autochtone.
Des études récentes montrent que les réfugiés politiques, contraints de vivre grâce à de modestes transferts nationaux, dans des endroits qu’ils n’ont pas choisi, sont plus facilement impliqués dans la micro-criminalité que les autres citoyens, y compris les immigrés n’ayant pas obtenu de statut de réfugié. C’est une leçon importante dont nous devrions tenir compte.
Autorisés à travailler, les immigrés sont une grande ressource
Mais nous devrons également en tirer la leçon pour la question plus générale de nos politiques d’immigration. Si les immigrés sont "autorisés à travailler", ils représentent une grande ressource, alors qu’on veut leur compliquer bêtement la vie (restrictions pour leur entrée dans le pays, pour la durée de leur séjour, pour le renouvellement des permis de séjour, pour le changement de travail, etc.). On risque ainsi de convaincre au moins une partie de ces réfugiés que la micro-criminalité est plus attrayante que l’insertion régulière dans le monde du travail, devenue trop compliquée. La coordination des politiques de droit d’asile et des flux migratoires devrait en outre s’appuyer sur des critères transparents et partagés par tous les pays membres de l’UE.
Aujourd’hui, plusieurs pays européens essaient d’introduire des systèmes de points qui pourraient établir des priorités bien définies dans l’attribution des permis de séjour et des permis de travail. Ces systèmes sont souvent utilisés pour favoriser l’immigration des personnes qualifiées, des personnes instruites et capables de s’intégrer plus facilement dans un pays d’accueil. Rien n’interdit non plus d’introduire dans ce cadre juridique des considérations d’ordre humanitaire en garantissant l’accès prioritairement aux citoyens de pays déchirés par des guerres civiles, ou originaires de pays dans lesquels la population civile a été régulièrement victime d’épisodes de violences, de tortures et d’incarcérations arbitraires.
Le contrôle commun des frontières, des politiques de droit d’asile en accord avec celles sur l’immigration économique et reposant sur des principes transparents – comme le système de points – peuvent ainsi devenir les points forts d’une politique européenne de l’immigration.
Tito Boeri dans la Repubblica relayé par PressEurop