samedi 24 décembre 2005

Dans le salon des presque fantômes

A l'issue du magnifique projet de 24heures voici les mots de conclusion d'une des journalistes qui s'est engagée corps et âme dans cette aventure.

Chaque jour de décembre, respirer un grand coup avant de pousser la porte du petit appartement. Entrer dans une famille, toucher la main d’un célibataire. S’asseoir dans le salon exigu et meublé de pas grand-chose, qui fait souvent office de chambre à coucher. Et boire le café, le Fanta, jouer avec les petits.
Et surtout, écouter. Tenter de faire mieux connaissance avec ces requérants d’asile dé­boutés, résidant dans le canton depuis de nombreuses années. C’était le but de ce «calendrier de l’Avent» un peu particulier dont la dernière porte s’ouvre aujourd’hui. Comment vit au quotidien cette population en sursis, propulsée au coeur d’un débat politique qui déchire le canton? Difficile de résumer sur un petit feuillet de calen­drier, les conversations, les lar­mes, les coups de gueule aux­quels nous avons assisté tous ces jours de décembre. Dur aussi de rester stoïque face au désarroi souvent oppressant… Les histoires qui se racon­tent, souvent maladroitement devant nos yeux, ont un point commun: l’angoisse de voir sa vie une nouvelle fois brisée par un renvoi. La crainte d’ap­paraître dans le journal a éga­lement été maintes fois évo­quée. «Ça va nous retomber dessus?» demandent certains. La peur au ventre, deux fem­mes nous demanderont de masquer leur visage sur les photos. Ne pas faire de va­gues, raser les murs, vivre à demi est devenu une seconde nature pour ces presque fantô­mes.
Souvenez-vous, le 1er dé­cembre, Selvira Vejapi, 10 ans, de Vevey. Touchante par sa (trop grande) maturité, la fillette parlait avec amour de son père, incarcéré pendant un mois au Centre de Fram­bois, et disait sa peur de la police. Derrière «les Koso­vars », on voit soudain une famille unie et aux abois. Le 21 décembre, on découvrait Seble Wolde, cette Ethio­pienne, maman d’une petite fille de quelques mois qui se débrouille seule à Yverdon: son mari, requérant d’asile lui aussi, est assigné au canton d’Argovie.
Dans tous les foyers, l’inter­diction de travailler décidée ce printemps par le Conseil d’Etat est une «catastrophe». Si certains patrons résistent et se refusent à licencier les dé­boutés, d’autres ont obéi. L’inactivité est alors mortifère. Pour tous. «On tourne en rond, on devient fous», en­tend- on partout. «Le travail, c’est la dignité», poursuivent les anciens plâtriers, garçons de buffet, blanchisseuses ou femmes de chambre. La honte de passer pour des profiteurs, l’humiliation au moment d’en­caisser à nouveau l’argent de la Fareas… Malgré cela et tout le reste, les déboutés ne sem­blent pas prêts à lâcher le petit bout d’existence qu’ils ont construit loin de chez eux.


MARTINE CLERC

Davit Kidane. De l’Ethiopie à Lausanne



La multitude de lumières du Lausanne Palace va bien avec l’éclat du regard de Davit Ki­dane. Des deux côtés, ça pétille. Après neuf ans passés en Suisse et presque autant comme em­ployé dans de grands hôtels, l’Ethiopien vient d’obtenir une admission provisoire. «Ça ne va rien changer, sauf que j’ai enfin le droit de travailler», lâche-t-il, avec un immense sourire. De­puis cinq ans, il s’occupe du nettoyage au Lausanne Palace. «Je voudrais remercier les gens de l’hôtel, ils m’ont soutenu et aidé, et ne m’ont pas licencié malgré mon interdiction de tra­vail. » Davit Kidane respire. Sa femme aussi puisqu’elle a égale­ment décroché le sésame. Il se réjouit de pouvoir un jour voya­ger en Europe, à la recherche de ses frères et soeurs dont il n’a plus de nouvelles. «Neuf ans en Suisse, sans rien du tout, c’était dur.»
Texte de MARTINE CLERC, photo d'Odile Meylan
Lien vers la description du projet de 24heures

Hélène Küng, l'aumônière des requérants


Dans 24heures du 24 décembre, se trouve cette présentation d'Hélène Küng, l'aumônière de la CERA à Vallorbe.
Elle est sur tous les fronts quand il s’agit de défendre le droit d’asile. Sur son vélo chargé d’une caisse de banderoles, la pasteure Küng pédale dans les rues lau­sannoises, d’une assemblée à une manifestation.
Mardi dernier, elle jouait un Roi mage au sein d’une crèche vivante mise sur pied à la Ri­ponne avec la Coordination Asile. Il s’agissait, une fois en­core, de sensibiliser les élus et la population au sort des requé­rants déboutés. «Ce qui choque pour Marie et Joseph choque aussi pour les requérants», disent les pancartes. Hélène Küng re­garde les députés droit dans les yeux. L’air doux, mais pas dupe, avec un sens aigu de la repartie.
S’engager aux côtés des réfu­giés est une évidence pour cette pasteure qui a vécu six ans au Rwanda, puis s’est mobilisée pour les femmes bosniaques et les demandeurs d’asile pendant la guerre en ex-Yougoslavie.
«Chrétienne de gauche.» C’est sous cette bannière qu’Hélène Küng, 48 ans, allie foi et engage­ment militant. «Quand j’étais étudiante, je fréquentais déjà beaucoup les milieux de gauche, des Magasins du Monde à Am­nesty International. J’étais plus souvent avec les militants qu’à l’église!» rit-elle. Aujourd’hui, elle occupe un poste à mi-temps d’aumônière au Centre fédéral d’enregistrement pour requé­rants d’asile à Vallorbe et multi­plie les activités bénévoles. «Même si la religion ne peut se réduire à un courant politique, Dieu est plutôt avec les faibles que du côté des puissants. Le message de l’Evangile est claire­ment antidiscriminatoire.»
Sa famille, son moteur
Malgré les lettres anonymes qui lui reprochent d’en faire trop pour les étrangers, Hélène Küng, pourtant émotive, n’en démord pas. Son mari — lui aussi pasteur — et ses quatre enfants (adoles­cents et adultes) sont des mo­teurs. «On se croise à certains repas, et on refait le monde à des heures tardives. Il n’y a pas de reproches, plutôt des taquine­ries », sourit-elle.
Etre femme pasteur? «Je n’ai pas reçu beaucoup de remarques machistes. Il faut dire que nous étions déjà un quart d’étudiantes en Faculté de théologie. Mais je me considère féministe. Trop de mes soeurs sont victimes de dis­criminations dans l’Eglise, la po- litique ou ailleurs.» L’arme paci­fique d’Hélène Küng, c’est le verbe et la mise en scène. «J’aime prêcher, et le faire de façon originale. Ça fait partie de notre métier de troubadour. Les pasteurs, nous sommes des pas­seurs de parole, entre l’artiste de foire et le poète. Le but est d’intéresser les gens et de les déculpabiliser!» En cette fin d’année, Hélène Küng ressent la fatigue de longs mois de mobilisation pour l’asile. «Je dois mettre un coup de frein. Je vais essayer de faire moins de choses, mais mieux.» L’hyperac­tive a même trouvé le temps de publier Un jour à ne pas man­quer et autres contes de Noël.
Inspirées de la Bible et nourries par l’actualité, ses histoires mon­trent, avec humour parfois, que Noël peut s’écrire dans des cli­mats de violence. Que c’est une fête de l’espoir. «Noël, ce n’est pas qu’une histoire de flocons, de cannelle et de petits rennes!» lâche la pasteure dans un clin d’oeil, enfourchant son vélo en route vers une nouvelle bataille solidaire.

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