jeudi 14 juillet 2005

Premier renvoi malgré la motion ?


Trois policiers sont venus chercher Bujar (ici, avec sa sœur jumelle Fatmire) à son domicile. Ils sont repartis bredouilles.

L'article de Carole Pantet dans 24heures.

Une tentative d’exécution de mesures de contrainte contre un requérant débouté du groupe dit des «523» a eu lieu mardi à Yverdon. Un acte qui confirme que la motion Melly acceptée par le Grand Conseil le 5 juillet n’aura pas d’influence sur l’application de la politique du Conseil d’Etat cet été.

Le réveil de la famille Kuqi mardi matin à Yverdon s’est fait en sursaut. Pendant quelques minutes, ces Kosovars ont cru revivre les pires heures de la guerre. A l’aube, trois policiers se sont présentés à leur porte. Ils sont venus chercher Bujar, frère jumeau de Fatmire. Le jeune requérant débouté n’était heureusement pas là. Les forces de l’ordre ont alors fouillé les lieux et sont reparties, laissant un numéro de téléphone à la famille sous le choc.

Des mesures de contrainte ont bien été tentées ce matin-là envers Bujar, un Kosovar de 25 ans présenté en mars dans nos colonnes. Le président du Conseil communal d’Yverdon, Cédric Pillonel, et l’homme d’Eglise Xavier Paillard, qui ont signé une charte de parrainage avec ce jeune homme, se disent très surpris par cette opération de police et soulignent leur incompréhension. Ils s’étonnent tout d’abord que le jeune homme n’ait pas eu droit à une «ultime convocation du Service de la population» (SPOP) comme prévu dans un communiqué du Conseil d’Etat datant de la fin de mai. «Ne peut-on même plus se fier à ce que déclare l’autorité?» invective Xavier Paillard.


A la lecture du communiqué de fin mai, l’interprétation officielle du texte n’est pourtant pas évidente. «Ils jouent sur les mots, réagit Cédric Pillonel. Je suis triste de voir qu’à nouveau on s’abrite derrière un juridisme étroit.» Même réaction du côté de l’autre parrain du requérant, le pasteur Xavier Paillard: «Ils auraient pu mieux formuler leur communiqué. Ils surfent décidément toujours sur les cas limites et prétextent qu’ils sont en règle avec les procédures», s’emporte le pasteur.

Le représentant politique et l’homme d’Eglise sont en colère. Difficile pour eux dans ses conditions de remplir leur rôle au sens de la charte de parrainage mise en place par le groupe de travail. «A peine a-t-on eu le temps de la signer que Bujar est déjà menacé», explique Xavier Paillard.

«Pour ce jeune homme, le retour n’est pas la solution. Bujar a des problèmes de santé et suit actuellement un traitement, insiste Xavier Pailllard. De plus, il est très dépendant du reste de sa famille qui est en Suisse.» Le pasteur s’avoue donc très inquiet pour la survie du jeune homme en cas de retour. Son dossier fait d’ailleurs actuellement l’objet d’un recours. Comment était-ce donc possible que des mesures de contrainte soient engagées contre lui malgré tout? «Ce recours n’a pour l’instant pas d’effet suspensif», explique Henri Rothen.

En matière de politique d’asile cantonale, il faut parfois savoir lire entre les lignes. Bujar est maintenant averti. C’est caché qu’il devra passer l’été, s’il ne veut pas se retrouver dans le premier avion pour Pristina.

Y aura-t-il vraiment des renvois cet été?

Article de Grégoire Nappey dans 24heures :

Tout le monde ne baigne pas dans la torpeur estivale ces jours. Surtout pas les milieux de défense des requérants d’asile déboutés dits «523», à l’affût de la moindre rumeur d’application de mesures de contrainte. Et c’est bien pour s’éviter de mauvaises surprises en juillet et août que la gauche s’est démenée au Grand Conseil, afin que la motion Melly contre les renvois forcés soit acceptée avant les vacances.

Ces dispositions n’ont toutefois pas empêché le conseiller d’Etat Jean-Claude Mermoud de maintenir sa ligne (24 heures du 7 juillet): pas de suspension des expulsions ces prochaines semaines. Est-ce à dire que le Canton passera à l’action? Entre les déclarations de principe et le passage à l’acte il y a parfois tout un monde. On peut toujours faire du bruit sur une volonté politique afin de ne pas perdre la face, mais en même temps ne rien faire du tout. Dans le cas présent, difficile d’y voir clair. Les vacances des uns et des autres peuvent jouer un rôle; à commencer par celles du ministre qui devrait s’absenter entre fin juillet et début août. Si, théoriquement, des mesures de contrainte peuvent être appliquées en son absence, il semble que, politiquement, le magistrat ne puisse guère se permettre d’être sous d’autres latitudes si la tension remonte d’un cran, voire de plusieurs.

A cela s’ajoute le zèle plus ou moins aigu dont peut faire preuve la police lorsqu’il s’agit d’aller arrêter un requérant au petit matin. Mais cette compétence-là est sous la responsabilité d’un autre ministre, le libéral Charles-Louis Rochat. Entre la détermination de son collègue UDC et sa propre propension à mettre en œuvre une certaine politique, là aussi il peut y avoir tout un monde. En attendant, la tentative de mardi matin (lire ci-dessus) est bien réelle et aurait tout aussi bien pu être couronnée de succès.

Un curieux sens de la démocratie

Lettre de lecteur dans 24heures

A propos de la décision du Grand Conseil de geler l’application des mesures de contrainte sur les requérants déboutés (24 heures du 6 juillet 2005):

Désavoué par le Grand Conseil, M. Jean-Claude Mermoud se plaint de n’avoir pas pu intervenir lors du débat et estime que «la démocratie est bafouée».

Faisons un retour en arrière: en mai 2005, M. Mermoud veut exécuter les renvois contre l’avis du Grand Conseil, malgré une pétition munie de 15 000 signatures, l’opposition des Eglises et d’Amnesty International, notamment. Pour défendre sa position, il s’appuie sur le légalisme et la procédure, sans se soucier de la situation des personnes concernées.

En juin 2005, lorsque la motion s’opposant aux renvois est débattue par le Parlement, il obtient, avec une poignée de députés, qu’elle soit repoussée au mois d’août, une fois que la plupart des gens auront été renvoyés. En d’autres termes, il utilise la procédure pour repousser le débat, toujours sans se soucier de l'état catastrophique des personnes.

Et quand le Grand Conseil le désavoue officiellement ce 5 juillet, il se plaint qu’une motion d’ordre l’ait empêché d’intervenir dans le débat et invoque la démocratie violée. Il oublie peut-être que la procédure a été respectée et que le Parlement était en droit de ne pas lui donner la parole. Il n'est pas étonnant que les députés n’aient pas voulu l’entendre, lui qui a toujours ignoré leur position...

M. Mermoud déclare d’emblée qu’il exécutera les renvois, sans se soucier de l’avis divergent du Grand Conseil. Je continuerai, avec Coordination Asile, à m’opposer à ces expulsions par les moyens pacifiques à notre disposition. Avec la conviction d’être plus respectueux de la démocratie que M. Mermoud.

David Payot, Lausanne