mardi 18 mai 2010

Les exilés se heurtent au mur de Dublin

La Suisse continue à refouler des migrants vers la Grèce et l'Italie, malgré le sort souvent exécrable qui les y attend. Dans le canton de Vaud, le Service d'aide juridique aux exilés croule sous les consultations. Un article signé Michaël Rodriguez dans le Courrier.
Accepté par le peuple suisse en juin 2005, avec le soutien des socialistes et des Verts, l'accord de Dublin est devenu la bête noire des défenseurs du droit d'asile. A la suite de nombreuses organisations, le Service d'aide juridique aux exilés, implanté à Lausanne et à Vallorbe, lance un cri d'alarme. «Des choses abjectes sont en train de se passer!», dénonce la juriste Chloé Bregnard-Ecoffey.
L'enfer méditerranéen
Pour les exilés qui posent le pied – et l'empreinte de leurs doigts – en Europe, le nom de la capitale irlandaise est de mauvais augure. Sur la base de l'accord de Dublin, ils peuvent être refoulés vers le premier Etat signataire dans lequel ils ont été enregistrés. Il s'agit en général de pays méditerranéens comme l'Espagne, l'Italie et la Grèce. Des Etats qui n'étaient déjà pas connus pour la solidité de leur filet social, et où les migrants se retrouvent souvent plongés dans une grande précarité.
La Suisse l'a reconnu du bout des lèvres, puisqu'elle a suspendu les renvois de personnes vulnérables (familles avec enfants, mineurs non accompagnés, personnes âgées ou malades) vers la Grèce. Mais elle se refuse toujours à étendre ce gel à l'ensemble des migrants, malgré les demandes pressantes du Haut- Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), d'Amnesty et de l'Organisation suisse d'aide aux réfugiés (OSAR).
Les refoulements vers l'Italie se poursuivent sans restriction, alors que la situation y est «catastrophique», martèle Chloé Bregnard-Ecoffey. «Des gens dorment dehors avec des nouveau-nés en plein hiver, sans accès à la nourriture. La Suisse renvoie même des personnes gravement malades et des femmes qui s'étaient retrouvées dans des réseaux de prostitution forcée en Italie.»
Suspense au tribunal
Denise Graf, juriste à Amnesty International, évoque des «refoulements en chaîne» effectués par l'Italie depuis la signature d'un accord de réadmission avec la Libye. Un pays où «il n'y a aucune possibilité d'accéder à une procédure d'asile équitable», rappelle-t-elle. A ce jour, la justice suisse n'a rien trouvé à redire aux renvois vers Rome. Mais cela pourrait changer. Selon Amnesty, le Tribunal administratif fédéral a accordé l'effet suspensif à un recours déposé par un Tunisien contre son expulsion en Italie.
Le Service d'aide juridique aux exilés croule sous les consultations. «Chaque semaine, quinze à vingt personnes viennent avec des décisions négatives basées sur l'accord de Dublin, témoigne Chloé Bregnard-Ecoffey. Il n'y a même plus de résumé des motifs, c'est une simple lettre préimprimée. Faire une décision de non-entrée en matière, ça prend cinq minutes!» La contester s'avère en revanche beaucoup plus difficile. Jusqu'à récemment, les autorités suisses exécutaient les renvois «Dublin» sans même laisser aux intéressés le temps de faire recours. Une pratique cassée en février dernier par le Tribunal administratif fédéral.
Vaud expulse beaucoup
Dans le canton de Vaud, deux cas récents d'expulsions vers l'Italie ont fait des vagues. En novembre 2009, un mineur somalien non accompagné s'est retrouvé livré à lui-même à Rome. Selon le quotidien «24 heures», le jeune homme était toujours en «galère» quatre mois plus tard. En décembre dernier, une migrante a été arrêtée au petit matin au centre pour requérants d'asile de Vevey et expulsée à Rome où, selon la TSR, elle a été séquestrée et violée. En 2009, le canton de Vaud a refoulé plus de 160 personnes au nom de l'accord de Dublin.
En Grèce, Amnesty fait état de violations constantes du droit international. «Les personnes refoulées sont souvent détenues dans des conditions épouvantables, relate Denise Graf. Un centre de rétention que nous avons visité était bourré de détenus: femmes, hommes et enfants ensemble.» Amnesty dénonce des cas de mauvais traitements infligés par la police. Dans un rapport daté de décembre 2009, le HCR demande aux Etats de suspendre les renvois vers la Grèce et de procéder eux-mêmes à l'examen des demandes d'asile. La Suisse n'a pas réagi. I