jeudi 3 février 2011

Quatre ONG demandent une réforme de l'aide d'urgence

Berne Quatre ONG actives dans le domaine de l'asile en Suisse montent au créneau pour demander une réforme de l'aide d'urgence. Les quelque 5800 requérants déboutés soumis à ce régime doivent vivre avec une somme variant entre 4,30 et 12 francs par jour, dénoncent-elles.

"Notre campagne vise à sensibiliser le public et le monde politique à la situation précaire et indigne dans laquelle vivent les personnes soumises à l'aide d'urgence", expliquent jeudi Amnesty International (AI), l'Organisation suisse d'aide aux réfugiés (OSAR), l'Observatoire du droit d'asile et des étrangers (ODAE) et Solidarités sans frontières. L'opération prendra fin en juin 2011 avec la remise d'une pétition à la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga.

En excluant de l'assistance sociale les requérants auxquels on refuse l'asile, le régime d'aide d'urgence visait à décourager les nouvelles demandes et à faire partir les personnes déboutées, ajoutent les organisations. Or "l'effet dissuasif du système n'est absolument pas démontré, puisque seules 12 à 17% des personnes à l'aide d'urgence quittent la Suisse de façon contrôlée".

Pour l'Office des migrations, vu que seulement 15% des personnes à l'aide d'urgence la perçoivent encore après une année, c'est que la majorité d'entre elles ont quitté la Suisse, expliquent les ONG. Mais "c'est une illusion de croire que tout ceux qui sont sortis de l'aide d'urgence ont également quitté la Suisse", répond Susanne Bolz, responsable du service juridique de l'OSAR.

Les quatre ONG s'inquiètent surtout du non-respect de droits fondamentaux dans le régime de l'aide d'urgence. Les faibles sommes allouées ne permettent pas de "vivre dignement", dénonce par exemple Claudia Dubacher, secrétaire générale de l'ODAE.

L'accès aux soins médicaux aussi est problématique. En effet, il arrive que les demandes de traitements ne soient pas examinées par du personnel médical, mais par des employés des centres d'urgence. Enfin, les enfants concernés par ce système n'ont pas forcément la possibilité de suivre une scolarité normale.

ATS

Des mamans s’inquiètent de l’arrivée de requérants

L’hébergement de migrants en phase de renvoi à côté d’une école suscite des protestations.

De l’esplanade qui prolonge le complexe scolaire de Coteau Fleuri, sur les hauteurs du quartier lausannois des Boveresses, la vue embrasse les Alpes. Les 50 requérants d’asile déboutés qui seront hébergés dès aujourd’hui dans l’abri de protection civile de l’école ne pourront pas en profiter. Responsable du secteur lausannois de l’Etablissement vaudois d’accueil des migrants (EVAM), Pascal Rochat prépare les pancartes qui dissuaderont ses pensionnaires d’accéder au préau de l’établissement, où quelque 400 enfants sont scolarisés.

Cette interdiction n’a pas suffi à rassurer la quinzaine de mamans du quartier qui, hier en début de soirée, ont manifesté devant l’abri. La mobilisation a commencé il y a une semaine, à l’initiative de Maria Gonzalez. «J’ai découvert il y a dix jours sur le Teletext que 50 requérants d’asile célibataires seront logés ici.»

Maria Gonzalez n’en a su davantage que lundi, lorsque ses enfants lui ont remis une circulaire distribuée en classe. Elle avait été rédigée par la direction de l’école en concertation avec l’EVAM. Tous en attente de renvoi, les requérants placés à Coteau Fleuri ne recevront qu’une assistance d’urgence. Ils ne passeront que la nuit dans l’abri, qui sera surveillé par deux agents de sécurité et un intendant. Ils obtiendront leurs repas dans une maison du quartier, où ils pourront passer la journée en présence d’assistants sociaux.

Pétition lancée

Les mamans des Boveresses restent inquiètent. Elles ont lancé une pétition. Avec une exigence, que résume Maria Gonzalez: «Les migrants de l’abri de Coteau Fleuri doivent être déplacés dans un lieu éloigné de toute école.»

Directeur de l’EVAM, Pierre Imhof a profité de la manifestation pour nouer le dialogue avec les mamans. Mais pas question de renoncer à ce nouveau lieu d’hébergement: «Nous en avons bien trop besoin.»

Le nombre des requérants en instance de renvoi ne cesse d’augmenter. Ils sont désormais près de 900 dans le canton, dont une bonne partie de célibataires. Depuis 2008, ils n’ont plus droit qu’à une aide d’urgence.

«Mesures suffisantes»

Les structures débordent. En décembre déjà, la Municipalité de Lausanne a accepté que 50 d’entre eux soient hébergés dans l’abri des Boveresses. Directeur de l’établissement primaire de la Sallaz, dont relève Coteau Fleuri, Michel Rosselet était hier soir des plus sereins: «Les mesures de sécurité nous semblent largement suffisantes.»

Après avoir bu un café avec Pierre Imhof à l’issue de leur manifestation, les mamans ont accepté de participer à un groupe de contact.

Daniel Audétat dans 24 Heures


local loin école


A la rencontre des trois pensionnaires de Coteau Fleuri

coteau fleuri requérants

L'aide d'urgence: une voie sans issue

Quatre organisations actives dans le domaine de l’asile, Amnesty International, l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés, l’Observatoire du droit d’asile et des étrangers et Solidarités sans frontières lancent le 3 février 2011 une campagne nationale pour demander une profonde réflexion sur le régime de l’aide d’urgence auquel sont soumis près de 5'800 requérants déboutés de l’asile.

centre aide urgence zurich

Le régime de l’aide d’urgence entraîne, selon les quatre organisations, un isolement social extrême, de nombreuses tracasseries administratives et une précarisation qui empêche les personnes qui y sont soumises de vivre dans la dignité. Les conditions sont particulièrement pénibles à vivre pour les personnes les plus vulnérables telles que les personnes âgées, les personnes traumatisées, les femmes enceintes ou seules avec un enfant ou encore les mineurs non-accompagnés. L’effet dissuasif de ce système n’est d’ailleurs absolument pas démontré, puisque seuls 12 à 17% des personnes à l’aide d’urgence quittent la Suisse de façon contrôlée.

«Notre campagne vise à sensibiliser le public et le monde politique à la situation extrêmement précaire et indigne dans laquelle vivent les personnes soumises au régime de l’aide d’urgence», a déclaré Claudia Dubacher, Secrétaire générale de l’Observatoire suisse du droit d’asile et des étrangers. «Il faut que la population suisse se rende compte de ce que représente le fait de vivre avec une somme variant entre 4.30 et 12 francs par jour ou son équivalent en bons d’achats. C’est tout bonnement impossible de vivre dignement dans de telles conditions.»

Les quatre organisations réclament une profonde réflexion sur le système de l’aide d’urgence qui doit absolument prendre mieux en compte la situation des personnes vulnérables. Les droits fondamentaux doivent être respectés, notamment le droit à l’éducation et celui de vivre dans la dignité qui est régulièrement bafoué pour les personnes à l’aide d’urgence. Les quatre organisations vont interpeller les autorités fédérales et cantonales en ce sens au cours des prochaines semaines.

«Le régime de l’aide d’urgence est mis en œuvre de manière très diverse selon les cantons et des inégalités tout à fait arbitraires sont ainsi créées», a affirmé Susanne Bolz, cheffe du service juridique de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés. «Ceci ressort clairement d’une étude que nous venons d’actualiser.» Dans certains cantons, il n’est que très peu tenu compte de la vulnérabilité particulière de certaines personnes, comme les familles avec des enfants en bas âge, les femmes seules ou enceintes et les personnes âgées. Les cantons n’utilisent pas assez la marge de manœuvre dont ils disposent et ne tiennent que trop peu compte des situations individuelles.

Qazem Alizada, membre de l’association Bleiberecht à Berne a vécu deux ans sous le régime de l’aide d’urgence et supporté quotidiennement le manque de dignité. «En tant que représentant de Solidarité sans frontières, il est très important pour moi de donner une voix à ceux et celles qui vivent aujourd’hui cette situation. Le plus pénible avec l’aide d’urgence est le découragement permanent, lié au fait que l’on n’existe plus sur le papier. Il est impossible dans ces conditions de se déplacer, nous sommes prisonniers et vivons sans cesse dans la peur de la prison même si nous n’avons commis aucun délit.»

L’exclusion de l’assistance sociale se voulait une mesure dissuasive pour faire baisser le nombre de demandes d’asile et celui des procédures extraordinaires, et surtout pour que les personnes déboutées de l’asile quittent notre pays. L’Office des migrations affirme que puisque seuls 15% des personnes à l’aide d’urgence la perçoivent encore après une année, la majorité d’entre elles aurait quitté la Suisse. Mais seuls 12 à 17% des personnes à l’aide d’urgence ont quitté la Suisse de manière contrôlée, ce qui démontre que l’exclusion de l’aide sociale n’a pas eu l’effet dissuasif escompté.

«Le régime de l’aide d’urgence avait dès le départ pour objectif de faire disparaitre les gens des statistiques, c’est là aujourd’hui son unique succès » à déclaré Susanne Bolz. «C’est une illusion de croire que tout ceux qui sont sortis de l’aide d’urgence ont également quitté la Suisse. Le système n’incite pas les gens à partir volontairement et crée au contraire des conditions humainement insupportables notamment parce que ce sont les personnes particulièrement vulnérables qui y restent soumises à long terme.»

Quatre cantons, les Grisons, Zurich, Berne et Vaud seront plus particulièrement ciblés , à titre d’exemple, par la campagne au cours des prochaines semaines. Ce choix ne signifie aucunement que la situation ne pose aucun problème dans les autres cantons.

Informations générales:

Depuis le 1er avril 2004, les requérants d’asile frappés d’une décision de non-entrée en matière sont exclus de l’aide sociale. Depuis le 1er janvier 2008, l’exclusion concerne également tous ceux qui ont reçu une décision d’asile négative définitive.  5800 personnes en moyenne étaient soumises au régime de l’aide d’urgence que leur garantit la Constitution fédérale.

L’aide d’urgence comprend en théorie l’hébergement dans un logement simple, le plus souvent collectif, la remise de produits alimentaires et d’articles d’hygiène, les soins médicaux urgents et d’éventuelles autres prestations indispensables.

Amnesty International

Un requérant d'asile accuse un gendarme de vol et d'abus d'autorité

Les faits remontent au 1er février 2007. Une patrouille débarque dans un foyer de requérants d’asile. Elle entre dans une chambre où les habitants sont soupçonnés de trafic de stupéfiants. Elle y trouve de l’argent: 1000 francs. L’un des gendarmes saisit 600 francs parce que C., Guinéen, n’a pas payé une ancienne amende. Le policier établit une quittance.

Il saisit encore 250 francs, une avance sur les contraventions futures (une pratique courante, semble-t-il, à l’époque au sein de la police). Il établit également une quittance, antidatée celle-ci. Restent 150 francs. Que sont-ils devenus? C. affirme que le gendarme les a volés. Le gendarme répond qu’il les a replacés sur le frigo. Depuis deux ans, C., par l’intermédiaire de son avocat, Me Jean-Pierre Garbade, demande l’inculpation du policier pour vol et abus d’autorité. Silence du côté du juge d’instruction chargé de l’enquête. C’est contre cette absence de décision et ce silence interprétés comme un refus d’inculper que Me Garbade a fait recours hier.

Il signale que le gendarme en question est, dans la même procédure, poursuivi pour faux (il aurait notamment falsifié la signature d’un requérant d’asile sur un procès-verbal d’audition). L’avocat évoque d’autres abus au sein de la police: des disparitions de portables, de drogue, d’argent. Il déplore le fait qu’«on laisse faire et qu’on n’inculpe pas». A ses yeux «il ne faut pas soustraire ces abus» au débat judiciaire. Et dans le cas de son client, il demande non seulement l’ouverture d’une enquête contre le gendarme mis en cause mais la récusation du procureur Graber et du procureur général Zappelli chargés de ce dossier. Il doute de leur impartialité.

De l’autre côté de la barre, Me Olivier Jornot, avocat du policier, rappelle que les trafiquants de stupéfiants n’aiment pas trop les gendarmes, ni leurs chiens, ni le fait qu’on leur saisisse des mobiles ou de l’argent. Or, ce 1er février 2007, son client n’a fait que son travail dans ce foyer de requérants d’asile. Il avait le droit d’encaisser des contraventions. Il a d’ailleurs remis tout l’argent à la caisse du poste de police le jour même.

Et il n’a pas volé les 150 francs restants. La phrase que C. lui attribue: «Je les prends pour mes frais et ceux de mon chien!» est totalement fantaisiste. Il n’aurait jamais prononcé des mots pareils devant deux autres gendarmes qu’il ne connaissait pas. Pour l’avocat, le juge, aujourd’hui procureur, a eu bien raison de ne pas inculper son client.

La Chambre pénale de recours rendra sa décision ultérieurement.

Catherine Focas dans la Tribune de Genève