mardi 8 mai 2007

L'Etat lutte contre les mariages blancs

Lire l'article de Gérard Cordonnier dans 24 heures
Dès 2008, la nouvelle loi sur les étrangers augmentera les moyens de lutte contre les mariages fictifs. Témoignages autour d’une pratique chèrement payée pour rester en Suisse.

«Ça peut virer au cau­chemar! Tant que tu n’as pas obtenu l’autorisation définitive de séjour et payé tout ce que tu dois, ta vie reste suspendue à un fil!» Un fil cousu de blanc, que Silvia* a bien souvent failli rompre. Du­rant plus de cinq années, cette Brésilienne trentenaire, aujourd’hui divorcée et naturali­sée, a dû allonger les deniers pour ne pas se voir dénoncée aux autorités. Le maître chanteur? Son mari. Un Vaudois «peu scru­puleux », avec qui elle avait con­clu un faux mariage. Initiale­ment négocié 12 000 francs mais finalement payé le quintuple. Car le crédit s’est avéré sans fond: aussi longtemps que le délai légal pour obtenir l’autori­sation de rester durablement sur sol helvétique n’ait été écoulé.
La loi confère automatique­ment le droit de séjour au con­joint d’un ressortissant helvéti­que ou d’une personne en pos­session d’un permis d’établissement. Mais pour rece­voir son permis C, encore faut-il attendre soixante mois (lire ci­dessous).
Un laps de temps du­rant lequel la personne étran­gère peut se retrouver complète­ment sous le joug de son pour­voyeur de sésame à croix blanche. «Moi, je payais son si­lence 1500 francs par mois, ex­plique Silvia. D’autres femmes acceptent toutes les faveurs pour ne pas risquer l’expulsion.» Une réalité que confirme Adiouma*. Depuis qu’elle a quitté le Sénégal pour venir rejoindre son compatriote de mari, il lui arrive occasionnelle­ment de voir débarquer des Africaines prêtes à n’importe quel sacrifice: «C’est vraiment une forme d’esclavage moderne. En jouissant de leur nationalité, des Suisses se permettent d’aller chercher de la chair fraîche au Cameroun ou ailleurs.» Et la Sénégalaise de fustiger ce my­the de l’Europe prospère, aisé­ment accessible. «Les expatriés qui retournent au pays doivent arrêter de faire croire que c’est facile de vivre ici. Ça provoque ce genre de misère.»
Des histoires heureuses
Mais toutes les alliances ficti­ves ne sont de loin pas dramati­ques. Selon les milieux associatifs liés à la population migrante, la plupart seraient gratuitement consenties. Par amitié. Ou par solidarité, comme l’a fait Gisèle*, une Lausannoise émue par l’his­toire de son époux actuel avec qui elle n’a jamais dormi sous le même toit. Un ancien requérant d’asile arrivé des Balkans il y a dix ans et menacé d’être recon­duit à la frontière.
Une crainte d’expulsion que Mariam* a bien connue. En 1992, elle aurait dû retourner à Marra­kech, une fois son alibi touristi­que de trois mois expiré. Car sans qualification professionnelle, im­possible d’obtenir un permis B. «Si tu veux rester, t’es obligée de devenir clandestin. Mais sans pa­piers, on vit dans la peur perma­nente. Moi, je ne l’ai pas suppor­tée. » Grâce à son réseau de connais­sances — la pratique la plus cou­rante, selon l’Office fédéral des migrations —, la Marocaine a réussi à trouver un mari, devenu depuis un fidèle ami. L’homme était endetté. Au point de vouloir vendre sa virginité matrimoniale pour sortir de la galère financière. «A moi, ça m’a coûté 6000 francs, avoue Mariam. Aujourd’hui j’en­tends parler de 10 voire 15 000.» Et même plus!
Garder sa dignité
Selon de nombreux observa­teurs, les contrats nuptiaux se négocieraient facilement entre 20 000 et 30 000 francs. A payer en partie cash avant la cérémonie. Puis le solde par mensualités. «Ce prix peut facilement doubler pour un homme qui cherche une Suis­sesse, assure Fabio*, 29 ans. Et avec la loi qui se resserre, ça va encore augmenter.» Le garçon originaire de Rio a longtemps hésité, lui aussi, à faire le pas. Avant de se raviser pour garder sa dignité: «Un ma­riage blanc, ce n’est pas un coup de poker, c’est une vraie roulette russe. Et c’est vendre un peu son âme au diable.» Alors, comme la majorité de ses compagnons de clandestinité avec qui il vit à Lausanne depuis 2003, il espère plutôt rencontrer un véritable amour, version helvétique. Pour le meilleur et pour sortir enfin du pire

Les yéniches reprennent la route

LIre cet article dans le Courrier
A force d'être assimilés aux Tsiganes, les nomades de Suisse peinent à trouver des aires d'accueil dans leur propre pays. Ils revendiquent des valeurs bien helvétiques et une partie d'entre eux se distancient des Gitans.

Francis Kalbermatter vient de refermer les portes de son appartement. Un trois pièces et demie, qu'il occupe à Sion avec sa femme et ses quatre enfants. Et qu'il ne retrouvera que l'hiver prochain. Car depuis début avril, la famille Kalbermatter a repris la route. A l'instar des 5000 Yeniches de Suisse, cette communauté des gens du voyage. En chemin, leurs caravanes croiseront celles des Roms, des Manouches et autres Tsiganes ­ populairement appelés Gitans ­ venus d'Europe. D'ici peu, tout ce petit monde va se mettre à sillonner la Suisse. Dont le canton de Fribourg, qui planche toujours sur l'emplacement de deux aires d'accueil. Francis Kalbermatter a son avis sur la question. Et sa position est plutôt surprenante: «Je suis contre ces aires de stationnement pour les Gitans!» Si Francis Kalbermatter adopte une telle attitude, ce n'est pas en réaction aux tergiversations des autorités fribourgeoises. Non. Il en a simplement marre. Marre qu'on associe les Yeniches aux Gitans.

Tout sur le dos
«Cette assimilation remonte à une vingtaine d'années, lorsque les Gitans sont arrivés en masse dans le pays. Avant, nous n'avions pas de problèmes avec la population. Mais les Gitans nous ont fait beaucoup de tort. Et aujourd'hui, on nous met tout sur le dos. Or ce sont eux qui causent des dégâts, qui alimentent les faits divers. Et ça devient de pire en pire.» Le discours de Francis Kalbermatter n'est certainement pas partagé par l'ensemble de sa communauté. L'homme n'a pourtant rien d'un extrémiste. Ce Valaisan de 38 ans, membre de l'Aumônerie catholique suisse des gens du voyage, souhaite seulement rappeler qui sont les Yeniches: des Suisses comme les autres, qui font l'armée, paient leurs impôts, l'AVS... Mais qui peinent à se faire une place dans leur propre pays.


Le respect avant tout
Le Valaisan illustre: «Un jour à Bâle, nous sommes arrivés sur une aire qu'il nous a fallu nettoyer de fond en comble: nous avons ramassé les ordures qui jonchaient la place, nous l'avons lavée à l'eau de Javel, mais ça continuait à sentir mauvais. Nous avons dû renoncer à y rester. Non: il est impossible de cohabiter avec les Gitans. Si ces deux aires d'accueil devaient se faire dans le canton de Fribourg, nous n'y poserons pas les pieds.»
«Les places dont nous disposions auparavant disparaissent peu à peu. Les gens ne veulent plus de nous; ils ont peur de nous voir arriver. Pourtant, nous ne débarquons jamais à l'improviste: nous prenons toujours contact un ou deux jours avant avec les paysans, les communes ou les entreprises.
«Soyons clairs: que quelque chose se fasse pour les Yeniches, oui. Comme cela existe à Thoune, et où tout se passe très bien. Mais l'idée de vouloir faire des aires d'accueil pour tout le monde ne fonctionnera pas. Comme je vous l'ai dit, ces aires seront automatiquement destinées aux Gitans. Car les Yeniches les éviteront. Nous n'avons pas du tout la même mentalité.» Mais que faire pour les Gitans? Francis Kalbermatter admet qu'une solution doit être trouvée. «Je serais plutôt du principe de dire: on les laisse transiter, et on définit cette route de transit en faisant une aire d'accueil à l'entrée, au milieu et à la sortie du pays. Il conviendrait aussi de créer un bureau fédéral des affaires tsiganes, qui réglementerait les allées et venues des Gitans en Suisse. Car plus on leur laissera de la place, plus ils arriveront en masse, et plus ils seront incontrôlables.» I
F. Kalbermatter gère un blog sur la culture yéniche:http://yeniche1969.skyblog.com

Minorité nationale à protéger

Il y a une douzaine d'années, Aude Morisod ignorait tout de l'existence des nomades suisses. Le hasard d'une rencontre conduira cette Valaisanne de 47 ans, établie à Fribourg depuis 22 ans, à s'intéresser de près à cette communauté. Jusqu'à s'impliquer pour elle: aujourd'hui, Aude Morisod préside l'Association de l'aumônerie catholique suisse des gens du voyage. La Valaisanne, à l'instar d'autres membres de la communauté yeniche, préfère un discours de solidarité entre tous les gens du voyage. Ce qui ne l'empêche pas de se préoccuper tout spécialement du sort des Yeniches de Suisse. Le pays, rappelle Aude Morisod, a ratifié en 2001 la «convention-cadre du Conseil de l'Europe pour la protection des minorités nationales.» Ce qui a pour mérite de reconnaître les Yeniches suisses en tant que minorité nationale. La convention parle d'ailleurs de la sauvegarde et de l'épanouissement de leur culture et de leur identité, du commerce itinérant et des aires de stationnement. «C'est déjà un progrès, mais sur le papier...», déplore Aude Morisod. Car la Suisse, poursuit-elle, a jugé que cette convention-cadre suffisait, et n'a pas voulu signer d'autres accords qui l'aurait obligée à prendre des mesures plus concrètes. «Ainsi,

Ils ne sont plus que 5000 à voyager
On les appelle «Gitans». Mais c'est sous le nom de «Tsiganes» que sont regroupés les gens du voyage. Décomposés en plusieurs groupes (Manouches ou Sinti, Roms, Gitans...) ces nomades ont des origines indiennes; ils auraient rejoint l'Europe dès le IXe siècle, en passant par la Grèce, via la Turquie ou l'Egypte. Les Yeniches, qui forment la majorité des gens du voyage de Suisse, ont des origines qui ne sont pas clairement définies. «Mais ils ne viennent pas de l'Inde: ce sont les seuls à ne pas l'être de toutes les ethnies du voyage, et c'est cela même qui les marginalise parmi les autres voyageurs», fait remarquer Aude Morisod, présidente de l'Association catholique suisse des gens du voyage. En Suisse, les Yeniches sont près de 35 000. Mais 30 000 d'entre eux se sont sédentarisés; les autres ont conservé leur culture nomade.


Notre pays a refusé, en 2001, d'adhérer à une convention de l'Organisation internationale du travail, qui aurait permis de reconnaître les Yeniches comme peuple tribal. Cet accord aurait entraîné un aménagement obligatoire plus ferme des places de stationnement.» L'organisation politique suisse n'arrange pas les choses non plus. Aude Morisod: «La Confédération renvoie, en matière de terrains, sa responsabilité aux cantons, qui eux-mêmes la transmettent aux communes. Et celles-ci se renvoient la balle entre elles, à moins d'une décision ferme du canton, souvent mal perçue, comme on a pu le constater à Fribourg.» Une politique stérile qui ne fait guère avancer les dossiers, estime Aude Morisod. Or ces gens ont besoin de place de stationnement, insiste la libraire de profession. «Ils se déplacent pour gagner leur vie! Ecoutons-les dans leur légitime revendication d'aires d'accueil», plaide Aude Morisod. En faveur de tous les gens du voyage? «En faveur des Yeniches inconditionnellement, et en faveur des Gitans sous condition: il faudrait qu'un dialogue se fasse pour que les gitans respectent les places qui leur sont mises à disposition, et pour qu'ils soient respectés par la population. Car le respect doit être réciproque.»

Les Yéniches prennent la route dès la mi-mars jusqu'à la Toussaint. Ils restent principalement en Suisse. De quoi vivent-ils? «De tout ce qui touche au métal comme le rétamage ou le remoulage. Nous nous occupons ausi de la taille des haies et d'autres petits travaux domestiques. Certains font encore dans la restauration de meubles, ou sont actifs comme vendeurs forains», explique Francis Kalbermatter, un Valaisan de 38 ans. Ces Yeniches se déplacent en groupes familiaux de plusieurs caravanes (entre 5 et 10). Leurs enfants font évidemment partie du voyage, sans manquer pour autant l'école. Père de quatre enfants âgés de 6 à 17 ans, Francis Kalbermatter précise: «C'est nous qui faisons la classe à nos enfants, par le biais d'un programme élaboré par les communes où ils vont à l'école durant l'hiver. Ça se passe plutôt bien. Notamment à Sion: nos enfants arrivent vite à s'intégrer et les enseignants respectent notre culture, notre manière d'être. Ce qui n'est pas le cas partout...»
Entre 1926 et 1973, les Yeniches ont fortement souffert de la politique menée par la Confédération: la fameuse opération «Enfants de la grand-route» visait à éradiquer le mode de vie nomade de Suisse. Des enfants yeniches ont ainsi été arrachés à leur famille pour être placés chez des personnes sédentaires, voire dans des maisons d'éducation, des cliniques psychiatriques, ou des prisons. La stérilisation forcée a même été utilisée. En 1973, une mobilisation publique a mis un terme à cette opération. Treize ans plus tard, la Confédération présentait ses excuses. Et entre 1986 et 1992, 11 millions de francs ont été débloqués pour réparer les torts subis par les enfants de la grand-route

Mosquées autonomes, minarets facultatifs, tensions apaisées

Lire l'opinion de Tariq Ramadan dans Le Temps

Tariq Ramadan, professeur à Oxford et à l'Université Erasmus de Rotterdam, qui participe ce soir à l'émission d'«Infrarouge» sur les minarets, plaide pour des mosquées autonomes des Etats.