mercredi 20 janvier 2010

Paul Nizon: «Je méprise le besoin de sécurité»


«Ma critique d’alors s’est révélée exacte et je n’ai pas, aujourd’hui, à me renier sous prétexte d’une erreur de jeunesse», déclare Paul Nizon.
«Ma critique d’alors s’est révélée exacte et je n’ai pas, aujourd’hui, à me renier sous prétexte d’une erreur de jeunesse», déclare Paul Nizon. (swissinfo)

Jeune écrivain, Paul Nizon a quitté la Suisse pour Rome, Londres et finalement Paris. «A l’époque, j’ai très durement critiqué la Suisse, et l’évolution actuelle me donne raison», lance l’écrivain. Interview.


Pour Paul Nizon, vivre et écrire vont de pair avec le mouvement. Après la publication de son pamphlet sur la scène artistique suisse, Discours à l’étroit, en 1970, il avait tourné le dos à son pays d’origine pour ne plus jamais y habiter.

A l’occasion de son 80e anniversaire, en décembre dernier, il a accepté l’hommage que lui ont rendu les Archives littéraires et le Centre Robert-Walser de Berne.


swissinfo.ch: Que vous a apporté le fait de vivre à l’étranger?

Paul Nizon: J’y ai surtout gagné une incroyable liberté d’écrire. Une grande partie de mes livres n’auraient pas été pensables sans Paris, car ce sont des livres sur Paris. Mais la ville n’est pas seulement un décor, elle est la matière même de mes livres. Elle m’a permis de découvrir cet être humain qui porte mon nom et qui a pu, dans cette autre culture, commencer une nouvelle vie.

Je suis entré dans l’espace culturel français en tant qu’existence poétique émigrée et y ai été reçu en tant que tel. Cela me convenait parfaitement.


swissinfo.ch: Il s’agissait donc de quitter l’espace linguistique germanophone?

P. N. : Je connaissais l’Allemagne et voulais prendre mes distances, ne rien à voir avec cette mentalité, très antipathique dans la période de l’Après-Guerre. La Suisse était trop étroite pour moi, trop connue. A l’époque, j’étais un personnage public. J’avais une chronique hebdomadaire dans le magazine zurichois «Woche», avec ma photo.

On me reconnaissait partout et j’avais mon public. Nous étions une quinzaine d’écrivains de ma génération à nous partager le gâteau. Je me voyais un peu comme un animal de cirque sous le chapiteau, je savais montrer mon habileté, Hugo Loetscher montrait la sienne et Adolf Muschg aussi. Tout simplement abjecte!

Je méprise le besoin de sécurité. Je ne voulais pas me limiter à gagner ma thune et à la placer pour qu’elle soit rentable! Je voulais conquérir l'art! En Suisse, pour moi, ce n’était pas possible.


swissinfo.ch: En 1970, vous publiez votre Discours à l’étroit. La Suisse vous semble-t-elle aujourd’hui encore plus étriquée ou, au contraire, s’est-elle ouverte?

P. N. : J’ai toujours été dur envers la Suisse, et l’évolution du pays me donne raison. Je ne fustigeais d'ailleurs pas seulement l’étroitesse, mais aussi l’hypocrisie et cette attitude de profiteur, qui se cachent sous le masque de l’invisibilité. Entretemps, la chose est devenue connue dans le monde entier. Ma critique d’alors s’est révélée exacte et je n’ai pas, aujourd’hui, à me renier sous prétexte d’une erreur de jeunesse.


swissinfo.ch: L’acceptation de l’initiative contre les minarets a presque poussé la Suisse à la crise d’identité. La Suisse est-elle particulièrement islamophobe?

P. N. : Tous les pays européens vivent une certaine islamophobie, car on nous sert de façon ininterrompue l’équation «islam = terrorisme». Les minarets ne sont qu’un symbole.

De façon étrange, les musulmans de Suisse viennent majoritairement des Balkans et ils sont beaucoup plus discrets que les musulmans d’autres pays. Plus le monde globalisé devient confus, plus la question de l’identité devient précaire. Elle est partout brûlante.

L’initiative sur les minarets a enflammé un débat déjà existant sur la capacité à intégrer l’islam dans notre culture d’Europe de l’ouest. La Suisse n’est pas différente des autres pays sur ce point.


swissinfo.ch: Vous ne vous êtes jamais engagé dans le débat politique suisse, contrairement à Max Frisch, que vous connaissiez bien. Hugo Loetscher, décédé il y a quelques mois, était également un nomade, comme vous. Vous sentiez-vous proche de lui?

P. N. : Au contraire, pas du tout! Nous ne pouvions pas nous sentir, pas même à des kilomètres de distance. C’était parfaitement réciproque.


swissinfo.ch: Cette distance concerne-t-elle aussi la création littéraire?

P. N. : Nous sommes des auteurs très différents l’un de l’autre. Hugo Loetscher était parfois un écrivain de voyage. Il ne cessait de voyager de par le monde, ce que je ne fais absolument pas. Je ne suis pas un voyageur. Je me suis toujours retiré quelque part, la plupart du temps dans des grandes villes, parce que je les aime et parce que j'y apprécie la façon de travailler.


swissinfo.ch: Que signifie une grande ville à vos yeux?

P. N. : L’infini. Je me sens souvent menacé par l’ennui. Dans un espace où tout le troupeau a déjà brouté et qui m’est trop connu, je commence très vite à m’ennuyer. Cela peut aller jusqu’à la dépression. Deuxièmement, la beauté des villes m’intéresse, surtout celle des villes qui ont un passé monarchique.


swissinfo.ch: Vous venez de fêter votre 80e anniversaire et recevez un hommage aux Archives littéraires suisses. Est-ce que c’est une césure dans votre vie?

P. N. : L’âge n’est pas un mérite, mais un état de fait déprimant qu’on devrait laisser nous toucher le moins possible. Ces hommages, ce sont des fêtes qu’on organise plutôt pour les autres, parce qu’on s’y sent obligé.

Cela m’a cependant touché que la Sorbonne, à Paris, organise un colloque de deux jours sur mon œuvre. L’hommage des Archives littéraires me réjouit aussi. Mais ensuite, mon principal objectif était de retourner à Paris pour y poursuivre le travail sur mon nouveau roman.

Susanne Schanda, swissinfo.ch
(Traduction de l’allemand Ariane Gigon)

Diplômé, engagé… puis expulsé?

Il y a onze ans, il arrivait clandestinement en Suisse. Washington Allauca vient d’obtenir son diplôme d’ingénieur et un emploi. Mais il risque l’expulsion. Un article de Pascale Burnier pour 24 Heures.

Washington Allauca © OLIVIER ALLENSPACH | Entouré de sa femme et de ses enfants, scolarisés à Lausanne, Washington Allauca a accompli un long chemin. Tous espérent pouvoir rester en Suisse.

«Je viens de construire un pont entre ceux qui n’ont rien et ceux qui réalisent leur rêve. Entre ceux qui doivent travailler et ceux qui peuvent étudier. Entre les immigrés et les indigènes, entre les préjugés et le courage d’aller jusqu’au bout. Vive la Suisse!» Washington Allauca, 38 ans, Equatorien, termine son discours le poing levé. Vendredi dernier, ce petit homme discret était le seul étudiant à prendre la parole lors de la remise des diplômes de la HEIG d’Yverdon-les-Bains. Washington choisissait de révéler une partie de son secret. Il est désormais ingénieur en génie civil, mais il est aussi un sans-papiers.

Désormais, il le dit. Il n’a plus rien à perdre. Dans un mois ou deux, il sera définitivement fixé sur son sort et celui de sa famille. Sans permis de travail, il rentrera au pays. Après onze ans de vie à Lausanne, après un deuxième enfant né ici et avec un métier qu’il n’aura peut-être jamais pu exercer. En octobre dernier, quelques jours seulement après la défense de son bachelor, il signait un contrat de travail avec une société biennoise d’ingénierie. Mais sa demande de permis a été refusée par Berne. Reste l’espoir du recours.

Tout, mais pas de pitié! Il le dit haut et fort: «J’en parle, car je veux montrer que les migrants peuvent réussir. Avant tout, j’ai gagné ma place dans la société, je me suis battu pour réussir mes études tout en travaillant et en m’occupant de ma famille.» Pas d’amertume non plus, même si l’incompréhension reste entière. Alors qu’aujourd’hui il pourrait offrir son savoir à une entreprise helvétique, la chaise restera peut-être vide. «On ne choisit pas de migrer. Le canton a payé cher pour que je fasse des études, mais on préfère donner ma place à des Européens, même s’il est quasi impossible d’en trouver. Moi, j’ai appris les normes de construction helvétiques, j’ai fait mon diplôme ici, mais je viens du mauvais pays…» Entre idéalisme et détermination, Washington ne renie pas sa chance. Il a accompli son rêve. Il peut construire des ponts. Encore gamin, dans la campagne équatorienne, il admirait ces ingénieurs qui venaient avec des projets pour amener l’eau ou l’électricité. Migrant dans la capitale Quito, il passe un baccalauréat, puis rejoint le chemin de bien d’autres en travaillant durant trois ans à l’usine.

Mais il refuse ce destin tout tracé. Il obtient alors une licence en mathématiques. Impossible pourtant de subvenir aux besoins de la famille. A 27 ans, il suit ses frères et sœurs et décide de tout quitter pour la Suisse.

Aux études et au travail
Arrivé sans titre de séjour, il repart de zéro. Dans une ferme. Il s’inscrit à l’Ecole de français moderne, à Lausanne, et obtient presque miraculeusement un permis d’étudiant. «En réalité, j’étais comme les autres migrants. Il fallait que je travaille parallèlement pour subvenir à mes besoins et à ceux de ma famille.» Un premier diplôme acquis après trois ans de pratique de sa nouvelle langue, il poursuit son rêve et enchaîne avec l’EPFL. Un vaste défi puisque, la nuit, il revêt l’uniforme de gardien. Après sept semestres réussis, il rate le huitième de peu. «On m’a alors retiré mon permis d’étudiant. Comme j’avais la possibilité de poursuivre mes études à Yverdon, j’ai déposé une demande de permis humanitaire. Histoire de gagner du temps…»

Encore un refus de Berne. Le canton lui accorde tout de même une tolérance et le laisse terminer les six derniers mois de son école d’ingénieur. Un parcours du combattant qu’il garde pour lui. «Je prenais des vacances à mon travail pour passer les examens. A l’école, j’ai toujours caché mes faiblesses. Je voulais être l’égal de tous.» Vendredi dernier, il dit avoir vécu son jour de gloire. Il rentrera peut-être au pays, mais ces derniers mots sont pour ces jeunes Suisses et étrangers qui se doivent d’étudier.


Les quotas pèsent plus lourd que la pénurie d’ingénieurs

Pour appuyer sa demande de permis de séjour, Washington Allauca exhibe deux lettres de soutien. L’Union suisse des sociétés d’ingénieurs-conseils est claire: il y a pénurie d’ingénieurs dans le milieu de la construction en Suisse. Selon une récente étude, 61% des postes disponibles ne trouvent pas preneur. Le conseiller d’Etat vaudois François Marthaler fait le même constat et appuie le nouvel ingénieur.

Pourquoi expulser des étrangers répondant à une demande du marché de l’emploi et formés de surcroît en Suisse? «Nous avons accordé une vingtaine de permis de séjour à des étudiants étrangers l’an dernier, explique François Vodoz, adjoint du chef du Service vaudois de l’emploi.

La possibilité existe, même si elle est très sélective et dépend de contingents fédéraux. Au vu du coût d’une formation, et selon le potentiel économique ou scientifique d’un étudiant, il est possible d’octroyer un permis.» C’est que la situation reste délicate pour les non-membres de l’Union européenne. «En principe, une fois son cursus terminé, l’étudiant étranger doit rentrer dans son pays», précise Henri Rothen, chef du Service vaudois de la population.