samedi 8 octobre 2005
Pas de régime de faveur pour les survivants de Srebrenica
Voici l'article de Martine Clerc dans 24heures.
Il y a dix ans, ils ont survécu au plus grand massacre de civils en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale (quelque 8000 morts). Exilés en Suisse après le conflit, ils sont aujourd’hui déboutés de l’asile. Alors que beaucoup croyaient leur renvoi humaine-ment impensable, trois familles vaudoises du groupe des «523» sont susceptibles d’être expul-sées par la force.
Utiliser la force pour renvoyer chez eux des rescapés de Srebre-nica? «Moralement indéfenda-ble!» clament depuis des années de nombreux élus, à droite comme à gauche, ainsi qu’une large partie de la population vaudoise. Et pourtant. Trois fa-milles de Lausanne, d’Orbe et de Crissier, survivantes des mas-sacres et faisant partie du groupe des «523», sont suscepti-bles d’être renvoyées par la force.
«Les autorités font semblant de ne pas comprendre qu’ils ont vécu un génocide. C’est une honte! Dans un état psychique catastrophique, ils n’ont pour l’instant pas la force de rentrer.» Michèle Gay Vallotton, députée socialiste, soutient les Hasano-vic, famille bosniaque de Lau-sanne. En début de semaine, le père a refusé de signer la décla-ration de retour volontaire. Lui et deux de ses grands fils peu-vent désormais être arrêtés à tout moment et transférés au centre de détention administra-tive de Frambois. Combien d’autres familles sont dans la même situation? Impossible de connaître le nombre exact. Le canton ne livre aucune donnée chiffrée.
«Croiser ses tortionnaires»
Pour beaucoup de Bosniaques — une centaine de requérants sur les quelque 270 personnes qui restent en voie de règlement —, un retour est actuellement inimaginable. Plusieurs organi-sations internationales (Am-nesty International, le Haut Commissariat aux réfugiés) as-surent que les conditions institu-tionnelles et matérielles ne sont pas réunies sur place pour per-mettre des retours dans la sécu-rité et la dignité. «Le village des Husic, de Crissier, se trouve dans une région située aujourd’hui en Republika Srpska (entité serbe). Vous les imaginez rentrer et croiser leurs tortionnaires», déplore Pierre Grasset, membre du comité de l’association des survivants de la Drina-Srebrenica, structure qui sollicite l’intervention de la com-munauté internationale pour ré-tablir des conditions propices au retour. La pilule est amère. D’autant que ces mêmes requé-rants déboutés, s’ils étaient arri-vés en Suisse avant décem-bre 1996, auraient reçu le statut de réfugiés. «Après la destruc-tion de leurs villages, la plupart d’entre eux ont d’abord été des déplacés internes, explique De-nise Graf, coordinatrice pour les réfugiés chez Amnesty. Ils ont occupé des maisons abandon-nées, dont les propriétaires ont ensuite demandé la restitution. Ce sont des gens courageux qui ont d’abord essayé de survivre chez eux.» Même si le conseiller d’Etat Jean-Claude Mermoud, en charge du dossier, n’a jamais laissé planer le doute sur le sort réservé aux déboutés, l’espoir était pourtant palpable pour les rescapés de Srebrenica, large-ment soutenus par diverses for-mations politiques.
Au début de la crise, en août 2004, le Grand Conseil votait massivement la résolu-tion du radical Jean Martin de-mandant au gouvernement de renoncer à la majorité des ren-vois forcés, notamment pour les Bosniaques. En septem-bre 2004, Pierre-Yves Maillard, alors candidat socialiste au Conseil d’Etat, abondait dans le même sens. Et Cesla Amarelle, vice-présidente du Parti socia-liste vaudois, de renchérir: «De-puis 2000, les conseillers d’Etat en charge du dossier ont tou-jours laissé entendre que ces gens étaient comme de vrais réfugiés et auraient dû obtenir un permis. La base même de l’exception vaudoise, c’était les Bosniaques.»
Voie migratoire sans issue
Voici l'éditorial de Marco Gregori dans Le Courrier; ce dernier élabore une synthèse des politiques européennes en matière d'asile et de migration qui sont de plus en plus en déni de la réalité de la pression migratoire...
Ils ont l'énergie du désespoir comme moteur et le rêve d'un avenir un peu meilleur comme destination. Depuis plusieurs semaines, des centaines d'Africains tentent, souvent au péril de leur vie, de pénétrer dans les enclaves espagnoles, situées au Maroc, de Melilla et Ceuta. Un peu plus à l'est, des migrants essayent régulièrement d'accoster l'île italienne de Lampedusa, au large de la Sicile. Et là aussi, la mort est parfois au rendez-vous. Mais l'Europe ne veut rien savoir. Elle préfère se barricader et attendre que la marée humaine recule. Comme si elle allait reculer...
Au sein de l'Union européenne, certains gouvernements sont réputés pour leur dureté à l'égard des immigrants. On montre du doigt le ministre de l'Intérieur français Nicolas Sarkozy, qui –si l'on en croit Libération d'hier– élabore un énième durcissement de la loi sur l'immigration. On fustige la politique migratoire italienne du gouvernement Berlusconi. Politique qui vient de recevoir un camouflet judiciaire: un juge vénitien estime l'emprisonnement –jusqu'à quatre ans– d'un ressortissant étranger qui refuse de quitter le territoire national non conforme à la Constitution italienne. L'homme de loi rappelle qu'une telle disposition ne figurait même pas dans les tristement célèbres lois raciales mussoliniennes. Pour la Suisse, il suffit d'évoquer la loi fédérale sur les étrangers et celle sur l'asile, dont les versions qui seront définitivement approuvées au début de l'hiver par les Chambres foulent allègrement les droits humains.
Ces politiques menées par des majorités bourgeoises promptes à se rallier aux thèses des partis d'extrême droite ne doivent pas occulter que la gauche n'a pas vraiment de leçons à donner. N'est-ce pas José Luis Zapatero –l'homme qui a «révolutionné» l'Espagne en rompant avec le populisme conservateur de José Maria Aznar et en se montrant progressiste en matière de moeurs– à avoir envoyé l'armée du côté de Ceuta et Melilla? N'est-ce pas lui qui veut rehausser les barrières des enclaves?
Pourtant, dans Le Monde diplomatique du mois de mai, Philippe Rivière rappelait que cette stratégie du contrôle à tout prix, «désormais courante autant à gauche qu'à droite» et destinée à stopper les vagues migratoires, n'est qu'un leurre: «Les études de terrain relèvent que, à l'exception des situations de guerre (les boat people), les «flux» migratoires s'établissent dans la durée, par affinités et au cours d'une histoire commune –en particulier, la colonisation, et désormais la mondialisation.»
Rendu public mercredi (lire notre édition d'hier), le premier rapport de la Commission mondiale sur les migrations abonde dans ce sens. Selon l'organisation onusienne, les disparités toujours plus grandes en termes de développement provoqueront une accélération des migrations. Insistant sur leur potentiel économique, tant pour les pays d'origine des migrants que pour les terres d'accueil, la commission en appelle à davantage de tolérance. Ne serait-ce que pour se conformer aux droits humains.
Mais l'Europe préfère suivre une voie sans issue. Jusqu'au jour où elle finira, elle aussi, dans le mur.
Ils ont l'énergie du désespoir comme moteur et le rêve d'un avenir un peu meilleur comme destination. Depuis plusieurs semaines, des centaines d'Africains tentent, souvent au péril de leur vie, de pénétrer dans les enclaves espagnoles, situées au Maroc, de Melilla et Ceuta. Un peu plus à l'est, des migrants essayent régulièrement d'accoster l'île italienne de Lampedusa, au large de la Sicile. Et là aussi, la mort est parfois au rendez-vous. Mais l'Europe ne veut rien savoir. Elle préfère se barricader et attendre que la marée humaine recule. Comme si elle allait reculer...
Au sein de l'Union européenne, certains gouvernements sont réputés pour leur dureté à l'égard des immigrants. On montre du doigt le ministre de l'Intérieur français Nicolas Sarkozy, qui –si l'on en croit Libération d'hier– élabore un énième durcissement de la loi sur l'immigration. On fustige la politique migratoire italienne du gouvernement Berlusconi. Politique qui vient de recevoir un camouflet judiciaire: un juge vénitien estime l'emprisonnement –jusqu'à quatre ans– d'un ressortissant étranger qui refuse de quitter le territoire national non conforme à la Constitution italienne. L'homme de loi rappelle qu'une telle disposition ne figurait même pas dans les tristement célèbres lois raciales mussoliniennes. Pour la Suisse, il suffit d'évoquer la loi fédérale sur les étrangers et celle sur l'asile, dont les versions qui seront définitivement approuvées au début de l'hiver par les Chambres foulent allègrement les droits humains.
Ces politiques menées par des majorités bourgeoises promptes à se rallier aux thèses des partis d'extrême droite ne doivent pas occulter que la gauche n'a pas vraiment de leçons à donner. N'est-ce pas José Luis Zapatero –l'homme qui a «révolutionné» l'Espagne en rompant avec le populisme conservateur de José Maria Aznar et en se montrant progressiste en matière de moeurs– à avoir envoyé l'armée du côté de Ceuta et Melilla? N'est-ce pas lui qui veut rehausser les barrières des enclaves?
Pourtant, dans Le Monde diplomatique du mois de mai, Philippe Rivière rappelait que cette stratégie du contrôle à tout prix, «désormais courante autant à gauche qu'à droite» et destinée à stopper les vagues migratoires, n'est qu'un leurre: «Les études de terrain relèvent que, à l'exception des situations de guerre (les boat people), les «flux» migratoires s'établissent dans la durée, par affinités et au cours d'une histoire commune –en particulier, la colonisation, et désormais la mondialisation.»
Rendu public mercredi (lire notre édition d'hier), le premier rapport de la Commission mondiale sur les migrations abonde dans ce sens. Selon l'organisation onusienne, les disparités toujours plus grandes en termes de développement provoqueront une accélération des migrations. Insistant sur leur potentiel économique, tant pour les pays d'origine des migrants que pour les terres d'accueil, la commission en appelle à davantage de tolérance. Ne serait-ce que pour se conformer aux droits humains.
Mais l'Europe préfère suivre une voie sans issue. Jusqu'au jour où elle finira, elle aussi, dans le mur.
Travail des chambres fédérales, la synthèse
Swissinfo a rédigé un dossier de synthèse sur les travaux de la session d'automne des chambres fédérales.
Lire cet intéressant dossier
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