mardi 8 septembre 2009

Les lois Blocher manquent leur objectif

PAR DENIS MASMEJAN dans le Temps

Près de trois ans après l’entrée en vigueur, en 2007, de l’une des dispositions les plus controversées de la dernière révision de la loi sur l’asile, la fameuse lex Blocher, les effets qui en étaient attendus ne sont pas au rendez-vous. Eveline Widmer-Schlumpf envisage de remodeler complètement la procédure.
Moins de trois ans après l’entrée en vigueur, en 2007, de l’une des dispositions les plus controversées de la dernière révision de la loi sur l’asile, la fameuse lex Blocher, les effets qui en étaient attendus ne sont pas au rendez-vous.

La proportion des requérants d’asile incapables, sans raison valable, de fournir des documents d’identité en bonne et due forme dans les 48 heures n’a pas sérieusement baissé, reconnaît l’Office fédéral des migrations (ODM). C’était pourtant dans le but de lutter contre les abus constatés que la nouvelle loi avait élargi les possibilités pour l’autorité d’écarter sans examen sur le fond les demandes présentées par des requérants sans papiers. Nombre d’entre eux, avait plaidé avec succès Christoph Blocher, détruisaient volontairement leurs documents pour échapper au renvoi.

Consciente de l’inefficacité des nouvelles règles sur ce point, Eveline Widmer-Schlumpf envisage désormais un changement fondamental dans le dispositif massivement approuvé en votation populaire en septembre 2006. La ministre chargée de la politique d’asile l’a fait savoir la semaine dernière: elle a chargé une commission d’experts d’évaluer les effets juridiques et pratiques qu’entraînerait l’abandon de la procédure de non-entrée en matière. Il s’agirait de la remplacer par un examen du dossier sur le fond dans chaque cas, mais au terme d’un traitement accéléré.

Impact négligeable

Un tel changement aurait des répercussions importantes sur l’ensemble de la réglementation de l’asile et des étrangers. D’où l’option prise par Eveline Widmer-Schlumpf de nommer une commission d’experts pour cerner au mieux toutes les incidences possibles.

Jusqu’ici, l’impact des nouvelles dispositions semble avoir été négligeable. En 2006, soit avant l’entrée en vigueur de la lex Blocher, 24% des requérants avaient présenté des papiers valables. Ils étaient certes 32% l’année suivante, mais cette proportion devait retomber à 27% en 2008, 28% sur les six premiers mois de 2009, indique Marie Avet, porte-parole de l’ODM. Elle rappelle aussi que, dès le 1er janvier 2008, la différence entre la procédure ordinaire d’asile et les décisions de non-entrée en matière a perdu l’une de ses raisons d’être, puisqu’à compter de cette date, dans l’un et l’autre cas les requérants déboutés sont exclus du régime de l’aide sociale et ne peuvent solliciter qu’une aide dite d’urgence limitée au strict minimum vital.

Par ailleurs, l’ODM a pu constater que la procédure de non-entrée en matière engendrait un volume de travail équivalent à celui de la procédure normale. L’aiguillage des dossiers entre cette dernière et la voie de la non-entrée en matière soulève en outre de délicates questions juridiques que le Tribunal administratif fédéral avait été amené à trancher.

«Une bonne nouvelle»

«Pour nous, c’est une bonne nouvelle. Nous avions dit dès le départ que le système ne serait pas efficace, commente Susanne Bolz, porte-parole de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR). Mais il faut voir ce qui ressortira des travaux de la commission d’experts.»

L’OSAR demande que la procédure qui pourrait remplacer les décisions de non-entrée en matière soit équitable et que les requérants bénéficient d’une protection juridique dont les coûts soient assumés par l’Etat.

Régime peu cohérent

Le régime actuel est peu cohérent, souligne Susanne Bolz. Car même si l’autorité refuse d’entrer en matière, elle sera tenue d’examiner si un motif s’oppose au renvoi, ce qui revient à vérifier s’il existe un risque de persécution et donc à examiner le fond. Cette ambiguïté, remarque la porte-parole, pose un problème dans l’application des Accords de Dublin. Car si la Suisse, en vertu de ces accords, est compétente pour statuer, elle doit se prononcer sur la qualité de réfugié du requérant. Or si ce dernier ne présente pas de papiers, elle devra rendre une décision de non-entrée en matière, et il est difficile pour les autorités suisses d’expliquer alors à ses partenaires européens que la décision prise équivaut à un refus de l’asile.