jeudi 3 août 2006

Malik, Amira et leurs quatre enfants ont fui l'Irak

Quand le bruit de l'aéroport réveille la peur des bombes : le portrait d'une famille irakienne enfin regroupée à Genève et dont la vie est suspendue à la décision de l'administration quant à leur demande d'asile.


Article signé Simon Petite dans le Courrier.


Ils avaient dû fuir l'Irak en laissant derrière eux leur fille. Aujourd'hui au complet, la famille ne voit pas d'avenir ailleurs qu'à Genève.


Ils commençaient à ne plus y croire. Pourtant, le 4 juillet dernier, c'est bien Shada*, leur fille de 10ans, qui a pris place dans le vol Damas-Genève. Le père a fait le pied de grue à l'aéroport depuis 6h30 du matin. Puis, à 11h30, ce fut les retrouvailles. «Normalement, les demandeurs d'asile n'ont pas droit au regroupement familial», explique Barbara Tschopp, permanente à l'association de défense des requérants Elisa. Il faut, pour cela, avoir obtenu le statut de réfugié. Mais les autorités helvétiques ont fait une exception pour Shada, car elles ont estimé que la fillette était en danger en Irak. Elle a d'abord été dirigée vers l'ambassade de Suisse en Syrie, le temps de faire des tests ADN.[1] Les démarches auront duré près de quatre mois et coûté, selon Elisa, plus de 5500francs suisses, une somme qu'il faudra un jour rembourser. Mais, enfin réunie, la famille a d'autres soucis. Une année et demi après leur arrivée en Suisse, Malik*, Amira* et leurs quatre enfants restent suspendus à la décision de l'administration quant à leur demande d'asile.

1500 francs par mois
L'aînée (14 ans) parle couramment français. A la rentrée, son petit frère (12 ans) la rejoindra au cycle d'orientation. Il fait du foot aux juniors de Vernier. Un attaquant que son père verrait bien «jouer un jour avec l'équipe de Suisse». Pour Shada, ce sera l'école du Lignon. Quant à la cadette, elle soufflera sa première bougie le 13 août. La famille vit dans un deux pièces du foyer des Tattes à Vernier. Au dessus de la porte, des sourates du Coran, dans un coin, une cage à perruches et, en bonne place, la télévision, qu'on devine souvent allumée. Les 1500francs alloués par mois ne permettent pas beaucoup de distractions. La chambre des enfants n'est pas ici. Il faut ressortir et aller plus loin dans le couloir du bâtiment. «Souvent, les enfants viennent frapper à notre porte en pleine nuit», confie Malik. Et son épouse de poursuivre: «Ici, près de l'aéroport, les bruits des avions réveillent les souvenirs des rase-mottes américains sur Mossoul et, parfois, des bombardements. Comme en 2004, lorsque quatorze familles avaient péri.»

Un soir de février
Le père dit que les deux entretiens avec les fonctionnaires de l'Office des migrations (ODM) se sont «bien passés». Il leur a raconté ce funeste 20 février 2005 à Mossoul, dans le Nord de l'Irak. Son épouse, enceinte de la petite dernière, était retournée habiter chez ses parents. Lui était resté avec les siens. «Vers 21h30, des hommes ont sonné demandant à parler à mon père et à moi. Mon père, un officier de police décoré sous Saddam Hussein, m'a dit de rester à l'intérieur. Il est sorti avec ma mère dans la nuit. Lorsque j'ai entendu les coups de feu, je me suis enfui.» Tout va ensuite très vite. Les parents d'Amira conseillent à la famille de quitter l'Irak. «Les meurtriers connaissaient mon nom et ils me cherchaient aussi», témoigne nerveusement Malik. C'est le père d'Amira qui leur trouve un passeur. Malik, lui, choisit la destination. Ce sera Genève. «On connaissait la ville grâce à l'emblème de la Croix-rouge.» Mais Shada a la varicelle, elle est fiévreuse. Le passeur refuse qu'elle soit du voyage. «Cela aurait été trop périlleux pour elle», se dit aujourd'hui Amira. Deux jours de voyage jusqu'à Istanbul, cachés dans un camion. «J'étais alors enceinte. Avec nos deux enfants, nous avions faim et soif. Nous avons dû menacer d'appeler la police pour que le chauffeur s'arrête.» Puis des trajets en camionnette jusqu'à ce qu'on les fasse descendre à Neuchâtel, délestés de 20000 dollars. «Nous ne savions même pas que nous étions arrivés en Suisse», sourit Amira. Deux policiers, dont ils sont aujourd'hui très reconnaissants, les conduisent au centre d'enregistrement de Vallorbe, où ils déposent leur demande d'asile le 22 mars 2005.

«Ce serait un crime»
Ils n'imaginent pas devoir retourner en Irak. «Ce serait un crime de nous renvoyer», souffle Amira. Leur ville, c'est désormais Genève. Les parents regardent les journaux télévisés, mais, lorsqu'on y parle de l'Irak, ils éloignent les enfants. «Nous avons fait notre vie là-bas. Eux doivent oublier et grandir normalement en Suisse.»


Note : *Prénoms fictifs. [1] Lire notre édition du 23 juin. Une vie, un statut: SÉRIE D’ÉTÉ Genève est multiple. Les statuts de ses résidants étrangers aussi. Le Courrier présente les plus précaires d’entre eux: sans-papiers, requérants déboutés, demandeurs d’asile ou réfugiés. Rendez-vous chaque semaine avec un nouveau parcours de vie.

Tous expulsables

Toujours dans le Courrier, lire "Tous expulsables", l'analyse inquiétante de Virginie Poyetton, qui revient sur les conséquences qu'impliquerait le durcissement des lois sur l'asile et les étrangers, "potentielle acceptation des deux lois qui ne marquerait que le début d'une étape".

Dans un autre article: "Femmes , je vous aime ... illégales", Virginie Poyetton aborde le statut des femmes: "les deux «Lex Blocher» n'empêcheront pas la migration des femmes, car l'économie suisse et celles des pays extra-européens ont en trop besoin. En revanche, elles renforceront un peu plus la précarité des conditions de vie des migrantes".