Douze millions de Roms comptent parmi les exclus des sociétés européennes. Alors que le vieux continent fête jeudi 8 avril la journée internationale des Roms, une nouvelle génération parvient à étudier, à s’insérer et à s’organiser pour mettre fin aux politiques discriminatoires à leur égard. Un article d’Alain Guillemoles dans La Croix.
Ils sont Roms. Ils ont moins de trente ans. Ils sont bardés de diplômes. Ils parlent parfaitement l’anglais, manient l’informatique, ont déjà une riche expérience professionnelle. Et ils se dévouent sans compter à la défense de leur minorité.
Tel est le profil type des salariés de l’European Roma Rights Center (ERRC), une organisation non-gouvernementale (ONG), basée à Budapest et qui se consacre au soutien juridique des Roms dans toute l’Europe, les Balkans ou même en Russie.
Ces jeunes, dont beaucoup ont bénéficié du soutien de la fondation Soros, forment une nouvelle génération de jeunes militants qui ne cachent plus leur origine. Au contraire, ils la revendiquent haut et fort. Alors que le vieux continent fête jeudi 8 avril la journée internationale des Roms et que se tient jusqu’au vendredi 9 avril le deuxième sommet ministériel européen sur cette population, ils sont en passe de donner un nouveau souffle aux revendications des 12 millions de Roms vivant sur le continent européen.
Pied de nez aux clichés
Dans l’ensemble de l’Europe centrale, en particulier, ces populations ont payé le prix fort après la fin du communisme. Moins éduqués, premiers touchés par le chômage, ayant une plus faible espérance de vie, ils font également face au racisme et aux discriminations. Mais en voyant venir cette nouvelle génération, on se dit qu’il y a malgré tout matière à être optimiste, et que les choses sont peut-être en train de changer.
Ostalinda, 27 ans, par exemple, est demi-espagnole et demi-mexicaine. « Je suis Rom par mon père », précise-t-elle. Elle travaille depuis 4 ans à l’European Roma Rights Center à mettre en place des programmes de recherches sur les femmes Roms.
Elle a étudié au Mexique et en Grande-Bretagne. Juriste diplômée, elle aurait pu être avocate à Londres. Elle a finalement opté pour la défense des droits des Roms ici, à Budapest.
« J’ai un engagement en faveur de la justice sociale et des droits de l’homme, dit-elle. C’est une vocation particulière que je dois à mon père ». Danseur de flamenco, en Espagne, son père fut après la fin du franquisme un des porte-parole de sa communauté. Ostalinda revendique le fait d’avoir fait des études et d’être en même temps restée proche de sa famille et de son peuple.
L'ERRC vient en aide aux Roms
Angel Ivanov, 26 ans, Rom de Bulgarie qui travaille deux bureaux plus loin, a le même discours. Originaire de Veliko Ternovo, une petite ville bulgare, il avait intégré l’université pédagogique locale. Grâce au soutien d’un de ses professeurs, il a pu obtenir une bourse pour continuer ses études à Budapest.
Et il fait maintenant un stage de six mois au département légal de l’ERRC. Il explique : « Je voulais progresser en anglais et poursuivre mes études. J’aimerais revenir un jour vers ma communauté, en Bulgarie, et utiliser ce que j’ai appris pour améliorer les choses sur place ».
Fondé en 1996, l’ERRC accompagne juridiquement les familles Roms victimes de violence policière et de racisme dans toute l’Europe. Elle amène leurs plaintes jusqu’à la Cour européenne des droits de l’Homme, de façon à faire condamner les États qui ont manqué à leurs obligations.
Si Angel a pu ainsi venir à Budapest, c’est grâce au Roma Education Fund, un organisme permanent basé à Budapest, qui finance chaque année les études de 800 étudiants et 30 000 enfants Roms. Grâce à une bourse, il a pu suivre un programme spécial visant à le préparer à entrer à l’université dans une filière classique.
Il n’a pas réussi. Mais en soutenant ainsi des dizaines de jeunes Roms dans leur projet professionnel, le Roma Education Fund tente de créer une nouvelle élite capable de tirer leur communauté et de faire changer le regard sur eux.
Génération cosmopolite
« Cette nouvelle génération est née après la chute du Mur, constate Valery Novosselsky, animateur du Roma virtual network, une liste de diffusion sur Internet. Elle est plus ouverte, plus consciente de ses intérêts, très éduquée, très cosmopolite, sans rejeter ses racines ethniques. Elle sait faire entendre la voix des Roms », observe-t-il.
Derrière ce phénomène, on trouve l’action de la fondation Soros. Soutenue par Georges Soros, milliardaire américain d’origine hongroise, celle-ci consacre de gros moyens à la promotion des Roms et a joué un rôle de lobbying important pour faire inscrire cette question sur l’agenda des gouvernements européens.
En 2003, la fondation Soros a réuni à Budapest une douzaine de gouvernements d’Europe centrale ainsi que la Commission européenne, la Banque mondiale, le Programme des Nations unies pour le développement ou la Banque de développement du Conseil de l’Europe. Elle a lancé la « Décennie de l’inclusion des Roms » qui s’est fixée pour but, d’ici à 2015, de réduire le fossé entre cette communauté et le reste de la population.
Roms et fiers de l'être
L’homme qui coordonne ce travail à la fondation, s’appelle Bernard Rorke. Il gère un budget de 4 millions d’euros destiné à soutenir des associations Roms. « Nous voulons contredire l’idée que les Roms sont une masse passive de victimes ; nous créons des opportunités pour eux. Nous voulons les aider à s’aider eux-mêmes et avoir une atmosphère dans laquelle ils n’ont pas peur d’affirmer leur identité », dit-il.
Il refuse qu’on lui attribue la paternité de cette nouvelle génération, qu’il estime composée de « plusieurs centaines » d’individus. Mais s’il n’en est pas le père, il en est plutôt une sorte d’oncle bienveillant qui a su aider et encourager un mouvement. George Soros lui-même doit d’ailleurs assister au sommet européen des Roms qui débutera jeudi 8 avril en Espagne.