jeudi 18 février 2010

Lausanne engagera des apprentis sans-papiers

Première suisse: Lausanne a annoncé, hier, que les jeunes clandestins pourraient bientôt suivre un apprentissage au sein de son administration. Un article de Gérald Cordonnier dans 24 Heures.

«Aujourd’hui, un enfant sans-papiers a le droit d’être scolarisé, puis d’aller au gymnase ou à l’université. Mais, sans les compétences nécessaires ni permis de travail, il se retrouve, à 16 ans, sans aucune possibilité de suivre un apprentissage. Cette situation n’est plus acceptable.»

Le municipal socialiste Oscar Tosato a propulsé Lausanne, hier, au cœur du débat national sur l’accès des clandestins à la formation professionnelle. Pour la première fois, l’une des plus grandes villes du pays compte défier les lois fédérales. Et permettre aux sans-papiers de conclure un contrat d’apprentissage avec son administration communale, comme l’a demandé en 2002 déjà le conseiller communal popiste Alain Hubler. Il incombera donc bientôt aux ressources humaines de traiter toutes les candidatures sur un pied d’égalité, sans prendre en considération le statut légal des postulants. Une proposition municipale que le directeur de l’Enfance, de la Jeunesse et de l’Education n’imagine pas être recalée par le Conseil communal, à large majorité de gauche.

La ville compte également lancer un appel au canton pour trouver une solution afin que le certificat de fin de formation de ces futurs apprentis en emploi soit légalement reconnu. Et demander, aussi, d’ouvrir aux sans-papiers les portes de plusieurs écoles professionnelles à plein-temps. A l’instar de Genève, où les jeunes sans statut peuvent déjà suivre les filières à plein-temps. «La formation est un droit fondamental, a clamé Oscar Tosato. La Municipalité prend donc le pari de l’illégalité et du respect de la Convention des droits de l’enfant, sur laquelle la Suisse marche sans aucun remord.»

Actuellement, Lausanne scolarise entre 200 et 300 enfants de sans-papiers. Chaque année, une vingtaine d’entre eux terminent l’école obligatoire.

Accueil diversifié

Hier, le Collectif vaudois de soutien aux sans-papiers a accueilli la nouvelle avec satisfaction. «Lausanne est la première autorité en contact direct avec la réalité du terrain à mettre une réelle pression sur ce dossier, s’est réjoui son avocat, Christophe Tafelmacher. Puisque le Grand Conseil a tout récemment demandé au Conseil d’Etat de faire usage de son droit d’initiative afin de réclamer une modification de la loi fédérale sur la formation professionnelle, j’estime que la question de l’illégalité de la démarche lausannoise mérite vraiment d’être nuancée.»

Un point de vue que ne partage pas Claude-Alain Voiblet, chef de file de l’UDC lausannoise: «En termes d’exemplarité, cette démarche municipale est un vrai scandale! La ville fait fi de toutes les bases légales. Au besoin, l’UDC pourra recourir au peuple pour mettre un terme à la nouvelle provocation politique gratuite de la gauche.»

De leur côté, les libéraux-radicaux ont réagi à l’antenne de la TSR avec moins de virulence. Pour la présidente, Marlène Bérard, cet accès à la formation est une bonne chose, pour autant qu’il ne devienne pas un refuge permettant de surseoir à une expulsion prononcée par l’Etat.

“Ils ne mangeront le pain de personne”

Au sujet de l’engagement d’apprentis sans-papiers par la ville de Lausanne, interview express par 24 Heures d’Oscar Tosato, municipal de l’enfance.

– A Lausanne, fin janvier, le chômage atteignait 7,8%. Avec votre proposition d’ouvrir les postes d’apprentissage au sein de l’administration communale à des sans-papiers, n’allez-vous pas vous attirer les foudres des partis de droite?

– La ville de Lausanne ne va pas privilégier l’engagement de sans-papiers, mais simplement leur donner le droit de postuler et de se former si leur candidature est bonne. C’est de ma responsabilité politique de protéger les mineurs et d’éviter les discriminations. Aujourd’hui, la volonté de trouver une solution à la formation des jeunes clandestins est d’ailleurs transversale: de gauche à droite, jusque dans les milieux patronaux, le sort de cette population inquiète.

– Mais que répondez-vous aux parents qui s'inquiètent de l’avenir professionnel de leurs enfants?

– Que l’action de la ville ne s’arrête pas à cette nouvelle proposition. Elle est déjà très active pour encourager la formation des jeunes: entre autres nombreuses actions, nous allons créer une cinquantaine de nouvelles places d’apprentissage d’ici à 2015. Les quelques enfants sans-papiers qui pourront profiter d’un apprentissage ne mangeront donc le pain de personne.

– Ce n’est pas l’avis de l’UDC, qui menace déjà de lancer un référendum pour contrer votre proposition…

– Je sais qu’à la veille d’élections, ma proposition sera du pain bénit pour certains partis. Mais ces mêmes partis nous demandent sans cesse de résoudre des questions de sécurité en ville. Il faut arrêter de se voiler la face: ce sont, entre autres, ces jeunes sans formation qui finissent par alimenter les réseaux de la précarité et de la clandestinité.