jeudi 5 mars 2009

Initiative antiminarets: les musulmans restent en retrait


Paru le Mercredi 04 Mars 2009 dans le Courrier
   RACHAD ARMANIOS    

SuisseISLAM - Jusque-là, les voix musulmanes ont été discrètes face à l'initiative pour interdire les minarets, afin de ne pas lui donner trop d'importance. Le National étudie le texte aujourd'hui. 
«Il ne faut pas tomber dans le piège de la provocation en donnant trop d'importance à l'initiative antiminarets.» A l'image de Hafid Ouardiri, ancien porte-parole de la mosquée de Genève et président de la fondation de l'Entre-Connaissance, beaucoup de musulmans en Suisse semblent adopter une attitude de retrait dans ce débat, qui les concerne pourtant au premier chef. Alors que le Conseil national se penche aujourd'hui sur le texte lancé par la droite populiste, M. Ouardiri justifie son attitude discrète: «Les musulmans se sentent blessés, mais font confiance au peuple suisse. Je suis persuadé que la campagne de l'UDC, qui vise à semer la peur pour des raisons électoralistes, ne fonctionnera pas.» Adel Mejri, président de la Ligue des musulmans de Suisse, explique que son association a réagi dès le lancement de l'initiative, mais a ensuite cherché à «ne pas gonfler» la polémique. «La question des minarets est un faux débat. Il n'y en a que deux en Suisse et les musulmans n'en font pas une priorité, ils ont d'autres problèmes comme les difficultés liées à l'intégration.» 
Ali Benouari, porte-parole de l'Association suisse des musulmans pour la laïcité, le reconnaît: «On entend peu de musulmans sur cette affaire, car la communauté aspire à la sérénité.» Lui-même ne veut pas «aller sur le ring pour combattre une telle outrance, c'est inutile.» «Des musulmans sont tout de même intervenus, reprend Hafid Ouardiri, en informant les partis qui les ont sollicités sur le rôle exact des minarets.» 


L'UDC isolée

En voulant interdire ces éléments architecturaux, les initiants entendent «stopper l'islamisation rampante de la Suisse», selon un communiqué de l'UDC. Les minarets seraient le symbole d'un pouvoir conquérant politico-religieux et l'expression d'une culture intolérante. Le parti veut également mettre un terme aux revendications de règles spéciales, comme les cimetières musulmans, les exceptions à l'enseignement scolaire, voire l'introduction d'un système légal islamique. 
«C'est tout simplement faux. La communauté musulmane veut vivre selon les lois de la Constitution même si elle réclame des droits légitimes, comme la question des carrés confessionnels qui a été débattue démocratiquement», répond M. Ouardiri. Il existe bien «certaines demandes maladroites venant de quelques personnes, comme l'exemption de piscine pour les filles musulmanes. Mais elles ne traduisent pas un désir de domination et ne peuvent être attribuées à une communauté entière. Ce genre de raccourcis tient des méthodes fascistes!» 
Les valeurs démocratiques de la Suisse, son hospitalité et sa convivialité sont attaquées, ajoute M. Benouari. Pourquoi les musulmans devraient-ils aller au front pour un combat qui, en réalité, concerne la société dans son ensemble?, demande-t-il. 
Justement, Ueli Leuenberger, président des Verts, espère un front «le plus large possible face à une campagne qui s'annonce comme une sale campagne de stigmatisation». Ce à quoi son parti s'attellera, en particulier en tentant d'associer les organisations musulmanes. «J'espère un mouvement unitaire des musulmans de Suisse, je souhaite qu'ils se défendent.» 
«Lorsque la campagne de votation démarrera, nous verrons comment agir pour contrer cette initiative discriminatoire, répond Adel Mejri. Nous n'avons pas l'habitude du terrain politique.» En attendant, son association en appelle «aux parlementaires pour rejeter cette initiative, au nom d'une Suisse multiculturelle et ouverte sur le plan religieux». 
Le Conseil national devrait l'écouter, puisque seul le groupe parlementaire UDC soutient le texte. Mais les Verts auront du mal à convaincre le parlement de déclarer l'initiative non valable

Le National rejette l’initiative antiminarets


(Keystone)

(Keystone)

Le National recommande le non au texte lancé par la droite ultranationaliste, jugé «contraire aux droits de l’homme et menaçant la paix religieuse». La gauche a tenté, en vain, de l’invalider. Le peuple devra donc se prononcer

Sensible, le débat a donné lieu à de belles empoignades, mais son issue n’a pas réservé de surprises. Les minarets et les valeurs de l’islam ont occupé les conseillers nationaux durant plus de cinq heures. Avec, au final, un rejet très net de la Chambre du peuple: le National a décidé de recommander le rejet du texte qui veut inscrire l’interdiction de la construction de minarets dans la Constitution fédérale, par 129 voix contre 50 et 5 abstentions. Seul le groupe UDC et l’UDF Christian Waber (BE) ont soutenu l’initiative populaire lancée par le «Comité d’Egerkingen».

La majorité du camp rose-vert, Andreas Gross (PS/ZH) en tête, a tenté en vain de la faire invalider. Le Zurichois a critiqué le «poids insuffisant» donné à la notion de violation de droit international impératif, condition nécessaire pour qu’une initiative puisse être déclarée nulle. Mais il n’a pas été entendu: sa pro position a été balayée par 128 voix contre 53.

Tout au long de l’après-midi, quarante orateurs se sont bousculés à la tribune, sous le regard de représentants musulmans dont Hisham Maizar, le président de la Fédération des organisations islamiques de Suisse (FOIS), et Adel Mejri, président de la Ligue des musulmans de Suisse.

Les partisans de l’initiative ont rappelé qu’ils considéraient le minaret comme un «emblème politico-religieux visible», un «symbole de puissance et l’expression d’une culture intolérante, qui place le droit islamique au-dessus du droit national». Ils craignent en fait surtout une «islamisation rampante de la Suisse» et ont souligné qu’ils ne cherchaient pas à s’en prendre à la liberté religieuse.

«Nous ne nous attaquons pas aux mosquées, ni aux écoles coraniques qui sont une nécessité pour la pratique religieuse. Nous nous attaquons ici à quelque chose qui n’est pas du tout nécessaire, qu’Erdogan, lui-même décrit comme «les baïonnettes de l’islam». Il y a donc quand même une intention un peu agressive dans ce symbole», a argumenté Oskar Freysinger (UDC/VS).

Face au camp UDC, les représentants des autres groupes, le Parti bourgeois-démocratique (PBD) y compris, ont tous mis en exergue les dangers que comporte le texte et souligné que son application serait difficile, car elle est «contraire à plusieurs principes fondamentaux inscrits dans la Constitution fédérale, menace la paix religieuse et viole des droits de l’homme garantis par le droit international»

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