Il y a déjà une huitantaine d’Ouïgours en Suisse au bénéfice du statut de réfugié. Alors pourquoi la Chine met-elle la pression sur Berne dans le dossier des deux ex-détenus de Guantánamo? Un article de 24 Heures signé Xavier Alonso.
Tursunjan Tohti, ici avec trois de ses quatre enfants, a reçu l’asile politique en Suisse il y a dix ans, A Genève, cet Ouïgour de 44 ans poursuit ses activités politiques pour l’autonomie du Turkestan oriental. Genève, 15 janvier 2010. Photo Magali Girardin.
«Turkestan oriental!», corrige invariablement Tursunjan Tohti. Cet Ouïgour de 44 ans est né sur un territoire qu’il refuse d’appeler «Chine» et encore moins «province du Xinjiang». Il est l’un des 80 Ouïgours (enfants inclus) qui résident déjà en Suisse – estimation de la diaspora elle-même, l’Office fédéral des migrations ne donnant aucun chiffre.
La majorité de ces Ouïgours a obtenu l’asile sans que cela ne fâche l’Empire du Milieu. Pourquoi, alors, le dossier de l’accueil humanitaire des deux Ouïgours détenus à Guantánamo s’enlise-t-il ces jours à la suite des pressions exercées par la Chine? «La situation a changé», analyse Tursunjan Tohti, en froid avec le régime de Pékin. «La Chine veut montrer qu’elle est devenue une grande puissance. Désormais, elle intimide.»
C’est en octobre 2000 que Tursunjan Tohti a reçu l’asile politique. En 2005, sa femme l’a rejoint à Genève, où ils élèvent désormais leurs quatre enfants. Et, s’il a multiplié les petits boulots, raconte-il dans un français approximatif, il ne travaille plus depuis 2007 en raison de «problèmes de dos».
Comme pour tant d’autres Ouïgours, le chemin de l’exil de Tursunjan Tohti passe par la Turquie et la Grèce pour aboutir à Genève. Le réfugié y poursuit ses activités politiques pour l’autonomie du Turkestan oriental.
«Le plus souvent avec les Tibétains – un autre peuple réprimé par Pékin –, nous organisons des manifestations et des discussions», explique Tursunjan Tohti, actif dans l’«association des exilés ouïgours de Suisse» que préside Endili Memetkerim, à Zurich. Cet acuponcteur de 43 ans, en Suisse depuis dix ans et marié à une Suissesse, en est la figure de proue très médiatisée en Suisse alémanique. «D’autres Ouïgours de Guantánamo ont été admis en Albanie, aux Bermudes et aux Palaos (ndlr: minuscule Etat dans le Pacifique Sud). Un accueil en Suisse, pays plus important tout de même, et situé au centre de l’Europe, est plus problématique pour la Chine.»
Le Jura en attente…
Par la voix de sa porte-parole, Manon Schick, Amnesty International confirme. Cinq Ouïgours ont été transférés en Albanie en 2006, quatre aux Bermudes en juin 2009 et six aux Palaos en octobre 2009. Il reste aujourd’hui sept Ouïgours à Guantánamo sur les vingt-deux détenus «illégalement», selon le jugement rendu par une cour fédérale états-unienne en 2008, sous l’ère Bush.
«Evidemment que ceux qui ont suivi, discrètement, le parcours usuel de l’asile posent moins problème que ceux qui ont transité par Guantánamo», décortique Yvan Perrin, membre de la commission de politique de sécurité qui a recommandé mardi dernier au Conseil fédéral de ne plus accueillir d’ex-détenus de Guantánamo. «C’est parce qu’ils sont visibles qu’ils gênent la Chine», résume le vice-président de l’UDC. «Il ne peut pas y avoir deux poids deux mesures entre les Tibétains et les Ouïgours… Eussent-ils passé par Guantánamo», répond un autre membre de la commission de sécurité, Eric Voruz (PS/VD).
Pour le coup, c’est le Jura qui commence à la trouver saumâtre, le ministre Charles Juillard ne le cache pas. «Je suis pour le moins agacé. Mercredi, le Conseil fédéral aurait dû prendre une décision. Ce ne sont pas des interrogations logistiques – hébergement, traduction, coûts, soins éventuels – dans le canton du Jura qui sont prépondérantes dans une affaire de politique internationale.»