samedi 28 février 2009

Connecté, le migrant n’est plus un «déraciné»


(Dana Diminescu)

Munie d’un téléphone portable et d’un ordinateur branché sur le Web, une personne qui a émigré n’a pas vraiment quitté son pays et sa famille. La sociologue Dana Diminescu montre cette nouvelle réalité de la migration

On se représente en général un immigré comme quelqu’un qui est parti de chez lui pour trouver du travail et qui est arrivé dans un pays où par chance il a pu se brancher sur le monde de l’emploi. Il a rompu ses liens familiaux et sociaux d’origine mais, étranger là où il est arrivé, il n’est pas intégré. On le voit absent de son pays d’origine, qu’il a quitté, et absent de son pays d’accueil, où il n’a pas de place évidente, sinon chez son employeur pendant la période du contrat s’il y en a un. Cette double absence, d’ici et de là-bas, a forgé toute une imagerie de la migration, qui tourne autour du malheur, de la rupture d’avec là-bas, et du besoin d’intégration ici. Le migrant est un «déraciné» qu’il faut stabiliser par des mesures adéquates. Sédentariser le nomade.

Cette vision de la migration, construite au temps des voyages longs, du téléphone cher, du courrier postal lent et des attaches nationales contrôlées, ne correspond cependant plus entièrement à la réalité vécue par les migrants. Plusieurs études montrent que ceux-ci sont de plus en plus insérés dans une nouvelle culture de la mobilité. «Il n’y a jamais eu par le passé autant de gens capables d’envisager comme allant de soi le fait qu’eux-mêmes et leurs enfants seront conduits à vivre et travailler ailleurs que sur leur lieu de naissance», dit la sociologue Dana Diminescu. Le nomadisme se répand, qu’il s’agisse de migrations à but économique, du voyage comme mode de vie, du tourisme qui finit par l’adoption d’un nouveau lieu de résidence… Tous ces nomades seraient-ils des déracinés?

Tout au contraire, affirme Dana Diminescu. Dans cette «modernité liquide» décrite par Zygmund Baumann, qui est caractérisée par une circulation généralisée des hommes, des biens, des informations, «les migrants d’aujourd’hui sont les acteurs d’une culture de lien qu’ils ont fondée eux-mêmes et qu’ils entretiennent dans la mobilité.» Grâce aux technologies de l’information, «il est de plus en plus fréquent que les migrants parviennent à maintenir à distance des relations qui s’apparentent à des liens de proximité». Ils sont présents auprès de leur famille restée là-bas, présents auprès d’autres migrants de même origine disséminés dans le monde, y compris dans le pays où ils résident, présents aussi auprès de la société dans laquelle ils vivent grâce aux réseaux d’amitié ou d’intérêt qu’ils créent. «Grâce à ce nouvel environnement technologique, il est plus facile aujourd’hui de vivre à la fois chez soi et dans le pays d’accueil ou ailleurs, et cela d’une manière quotidienne», dit Diminescu.

Initiative anti-minarets: débat explosif en vue


(Daniel Winteregg)

Le texte lancé par la droite ultranationaliste qui s’attaque à l’«islamisation rampante de la Suisse» passe au Conseil national mercredi. Le Conseil fédéral fait tout pour limiter les dégâts à l’étranger

Lire l'article de Stéphanie Von Grafenried dans le Temps

Son contenu est potentiellement explosif. L’initiative qui veut inscrire l’interdiction de la construction de minarets dans la Constitution fédérale, lancée par une poignée de représentants de la droite ultranationaliste, sera traitée au Conseil national mercredi. Elle n’a aucune chance d’être adoptée car seul le groupe parlementaire UDC la soutient. Mais le seul fait de débattre du texte qui va bien au-delà d’un simple problème de droit de construction crispe le Conseil fédéral. Et a déjà provoqué des réactions de rejet, de colère et d’incompréhension à l’étranger. Pour beaucoup, c’est l’initiative de tous les dangers.

L’UDC le dit clairement: l’initiative vise en fait à «stopper l’islamisation rampante de la Suisse et le minage constant de notre Etat de droit». Pour le parti, les minarets n’ont pas de caractère religieux «mais sont des symboles de puissance et l’expression d’une culture intolérante, qui place le droit islamique au-dessus du droit national». L’UDC n’y va pas par quatre chemins dans son dernier communiqué: «Il est grand temps de fixer des limites, faute de quoi les minarets seront suivis par des muezzins et finalement par l’imposition de la charia en Suisse».

«Répercussions fâcheuses»

Voilà qui annonce de vifs débats lors de la campagne de votation. Le peuple pourrait être appelé à se prononcer sur le texte à la fin de l’année, voire en septembre déjà. Sentant le danger et voulant à tout prix éviter une nouvelle «affaire des caricatures de Mahomet» qui avait enflammé le Danemark, le Conseil fédéral a déjà agi très rapidement. Fait rarissime, il a pris position contre le texte le jour même de son dépôt, le 8 juillet dernier. Pour bien expliquer notre système de démocratie directe, rappeler que le gouvernement suisse n’est pas à l’origine de l’initiative et donc calmer le jeu vis-à-vis des pays musulmans.

Pour le Conseil fédéral, l’initiative viole les droits de l’homme, menace la paix religieuse et ne contribuerait nullement à endiguer la diffusion des thèses fondamentalistes islamistes. Eveline Widmer-Schlumpf l’a dit en présentant le message du Conseil fédéral au parlement, rédigé en un temps record. Elle pourrait nuire à l’intégration de la communauté musulmane, «qui dans sa grande majorité respecte l’ordre social et juridique suisse», a rappelé la ministre. Eveline Widmer-Schlumpf a surtout répété qu’une interdiction des minarets «pourrait avoir des répercussions fâcheuses sur la sécurité des établissements suisses et sur nos intérêts économiques».

Effets contre-productifs

C’est ce que craint par-dessus tout le Conseil fédéral. Les dégâts d’image peuvent s’avérer grands. Très sensible, le débat sur la place de l’islam en Suisse risque de s’enflammer malgré les efforts répétés du gouvernement. Selon ses méthodes habituelles, l’UDC ne manquera pas d’exacerber les peurs existantes. Et contribuera à faire l’amalgame entre musulmans et islamistes terroristes. Les partisans pourraient bien inviter Al-Qaida dans la campagne – Ben Laden est déjà apparu en plein débat sur les naturalisations facilitées –, en rappelant que des otages suisses sont détenus en Afrique de l’Ouest par une branche du mouvement terroriste. Ou en faisant allusion au supposé «réseau suisse» autour de la très controversée Malika El-Aroud, veuve de l’assassin du commandant Massoud récemment arrêtée à Bruxelles dans le cadre d’une vaste enquête sur la violence islamiste.

Sur les «réseaux cachés» justement, le message du Conseil fédéral est très clair. «Les centres religieux cachés dans des caves ou des garages et fréquentés par des personnes appartenant à des mouvements fondamentalistes et islamistes sont plus dangereux que les mosquées dotées de minaret. L’initiative risque même d’avoir des effets contre-productifs, car elle pourrait aliéner certaines franges de la population modérée qui y verront une mesure inutilement vexatoire à leur encontre et seront tentées de basculer dans la frange extrémiste», avertit le gouvernement.

Jusqu’à présent, les musulmans modérés de Suisse, majoritaires, ont été très peu présents sur ce dossier, par crainte de lui accorder trop d’importance. Et c’est là que le bât blesse. Car c’est bien eux qui sont le plus en mesure de replacer le débat dans son contexte et de rassurer leurs pairs à l’étranger.