jeudi 14 juillet 2011

L’asile, le nouveau rêve américain des Mexicains

Armando Rodriguez, journaliste mexicain bien connu pour ses reportages sur la guerre des gangs à Ciudad Juarez, a fini dans un cercueil, assassiné vraisemblablement par les cartels de la drogue.

Son collègue, Jorge Luis Aguirre, était au volant de sa voiture pour prêter un dernier hommage à son ami lorsque son portable a sonné. "Tu es le prochain", l'a averti son mystérieux interlocuteur. "J'ai tout de suite quitté Ciudad Juarez complètement affolé", confie Aguirre, ancien rédacteur en chef du site internet d'actualité La Polaka. Face à la violence qui gangrène chaque jour un peu plus le nord du Mexique, les journalistes n'ont plus qu'une seule issue: demander l'asile aux Etats-Unis. Les requêtes ont explosé ces dernières années. L'an passé les demandes d'asile venues du Mexique ont atteint le chiffre record de 5.551 demandes, selon les autorités américaines, soit un tiers de plus qu'en 2006, lorsque le président Calderon a décidé d'utiliser la manière forte, en envoyant la troupe pour écraser les cartels.

Mais si les demandes sont nombreuses, les réponses positives de l'administration américaine sont rares. En 2010, seules 165 demandes ont été satisfaites. Parmi cette foule de demandeurs d'asile, les journalistes de faits divers chargés de couvrir la guerre brutale que se livrent les barons de la drogue dans l'Etat de Chihuahua sont en bonne place. S'ils sont munis d'un visa ou d'une carte leur autorisant de franchir la frontière, certains mexicains demandeurs d'asile peuvent déposer leur demande directement aux Etats-Unis. Pour les autres, il faut tenter de le faire aux inspecteurs des douanes américains. Face à cet afflux, des avocats se sont spécialisés dans ce secteur. Avant 2008, les cas de demande d'asile représentaient 5% du travail de l'avocat Carlos Spector. Aujourd'hui, il y consacre la moitié de son travail. "Chaque jour, nous avons de nouveaux postulants", affirme-t-il.

Objectif Texas

Parmi la longue liste des demandeurs d'asile figure Marisol Valles. Cette étudiante en criminologie avait défrayé la chronique et gagné le titre "de la femme la plus courageuse du Mexique" après avoir fait une demande pour devenir la chef de la police de Praxedis Guerrero, à proximité de Ciudad Juarez. La personne qui occupait le poste avant elle avait été torturée par les trafiquants de drogue et avait fini décapitée.

Après cinq mois à son nouveau poste, Marisol Valles a fait ses valises. Elle a réussi à rejoindre le Texas en mars avec sa famille après avoir reçu plusieurs menaces de morts, venant vraisemblablement de tueurs à gages liés aux "narcos". Un mois plus tard, à Pâques, le militant des droits de l'homme Saul Reyes, originaire de Ciudad Juarez, a débarqué à El Paso, la ville frontière située sur le territoire américain. s'il a quitté son pays natal, c'est parce que six membres de sa famille ont passé l'arme à gauche ces deux dernières années lors de violences.

Josefina Reyers a été kidnappée et assassinée en janvier 2010, juste après avoir accusé les militaires d'avoir participé au meurtre de son fils. Sept mois plus tard, une des soeurs de Saul est morte. Au début de l'année, il a vu mourir une autre de ses soeurs, un frère et sa femme, tous tués par des hommes armés. Leurs corps ont été retrouvés abandonnés le long d'une route dans la vallée de Juarez. "Nous savions que la seule issue pour que ce qui reste de ma famille reste en vie était de quitter le Mexique", glisse Reyes.

Rester en vie

Mais pour obtenir l'asile aux Etats-Unis, la route est longue. Il faut prouver une "peur bien fondée", liée à une persécution sur la base de la race, de la religion, de la nationalité. Les demandes sont souvent basées sur une peur de la violence des cartels de la drogue et ne rentrent pas dans les critères, indiquent les autorités américaines. Certaines attendent durant des années... en vain. Mais certaines demandes finissent par aboutir. Aguirre est ainsi devenu l'année dernière le premier journaliste à se voir accorder l'asile politique aux Etats-Unis.

Il y a aussi le cas d'Emilio Gutierrez. Ce journaliste, basé à Ascension, dans l'Etat de Chihuahua, n'a pas hésité à écrire sur les abus commis par les militaires mexicains. En 2008, on l'avertit que les soldats vont débarquer chez lui pour le tuer. Il parvient à fuir à temps avec son fils. Il a ensuite été retenu par les autorités américaines de l'immigration pendant plusieurs mois. Depuis sa libération, il vend des burritos et travaille sur un chantier aux Etats-Unis, en attendant l'examen de sa demande l'année prochaine.

"A cause de ces criminels, j'ai dû fuir ma ville, ma maison, tout ce que je connaissais", explique-t-il, pesant le pour et le contre de sa condition d'exilé face au danger que représenterait un retour au Mexique. "Au moins, je suis en vie", conclut-il.

Patricia Giovine dans le Nouvel Observateur

Les Erythréens avant les Tunisiens

En juin, le nombre des demandes a reculé de 25% par rapport à mai. Selon l'Office fédéral des migrations, cette régression a un caractère saisonnier.

Bonne nouvelle pour les cantons qui ne savent plus où héberger les demandeurs d'asile. Le nombre des requêtes déposées en juin a diminué de 25% par rapport au mois de mai, a indiqué hier l'Office fédéral des migrations (ODM): 1675 demandes d'asile ont été déposées en juin, contre 2254 en mai. Il serait cependant prématuré de parler d'un changement de tendance.

Selon Joachim Gross, porte-parole de l'ODM, "la plupart des requérants arrivent en Suisse après un passage en Italie. En été, ils trouvent plus facilement des emplois sur place, par exemple dans le secteur agricole. Cela retarde leur venue dans notre pays. Nous nous attendons à ce que les chiffres repartent à la hausse cet automne".

Diaspora érythréenne

A noter que la Tunisie n'est que le second pays de provenance des requérants. C'est l'Erythrée qui arrive en première position. "Depuis la mi-mars", explique l'ODM, "l'itinéraire migratoire qui franchit la Méditerranée centrale par la Libye, via Lampedusa, à destination de l'Italie est à nouveau ouvert en raison du conflit libyen. Cette route est avant tout empruntée par des personnes provenant d'Afrique subsaharienne, dont les Erythréens".

Ceux-ci viennent en Suisse notamment pour des motifs de regroupement familial. "La Suisse possède l'une des plus grandes diasporas érythréennes d'Europe", confirme Adrian Hauser, porte-parole de l'Organisation suisse d'aide aux réfugiés (Osar). "Les requêtes de ressortissants érythréens devraient d'autant plus se maintenir à un niveau élevé que les minorités religieuses et les opposants politiques sont toujours en butte à un système répressif".

En ce qui concerne les Tunisiens, qui arrivent eux aussi via l'Italie, il faudra observer les effets de l'accord signé le 5 avril dernier entre l'Italie et la Tunisie. Celle-ci s'est engagée à rapatrier toutes les personnes qui sont arrivées en Italie après le 5 avril. En contrepartie, l'Italie a délivré un visa limité à six mois à la plupart des personnes arrivées avant le 5 avril. Compte tenu de cette situation, l'ODM s'attend à l'arrivée de requérants tunisiens pendant quelques mois encore.

Inquiétudes cantonales

Globalement, les chiffres ne fléchissent pas: 5424 nouvelles demandes d'asile ont été déposées au cours du second trimestre 2011, soit une hausse de 24% par rapport au premier trimestre. Ce sont ces chiffres qui provoquent l'inquiétude des cantons et les ont incités à demander à Berne de ne pas se décharger de ses responsabilités. Selon eux, la Confédération devrait accélérer les procédures en traitant en priorité dans ses propres centres les cas manifestement infondés, en particulier ceux qui relèvent de l'accord de Dublin. La commission des institutions politiques du Conseil des Etats parle le même langage. Elle souhaite créer les bases légales permettant de traiter le plus grand nombre possible de procédures d'asile dans des centres fédéraux.

En vertu de l'accord de Dublin, l'Etat où a été déposée la première demande d'asile est responsable de la procédure. Le requérant qui tente sa chance ailleurs peut donc être renvoyé dans ce pays. Plus de la moitié des demandes d'asile actuelles relève de cet accord. Entre le 1er janvier et le 30 juin 2011, les autorités suisses l'ont invoqué pour 3845 personnes. Cette demande de prise en charge a été acceptée dans 2709 cas. L'Osar fait de la résistance. Selon elle, Berne devrait renoncer à des renvois en Italie tant que ce pays n'est pas en mesure d'assurer une assistance correcte aux personnes concernées. A ce jour, la Confédération s'est contentée de suspendre les renvois en Grèce.

Christiane Imsand dans le Nouvelliste