jeudi 2 juillet 2009

Contribuables, cotisants et pourtant clandestins


TRAVAIL AU GRIS | Au moment où le canton veut durcir le ton, des sans-papiers dénoncent l’hypocrisie qui les voit travailler, payer des impôts et des assurances sociales mais ne pas se départir de la peur du renvoi.

Travailleur au gris
© FLORIAN CELLA | La famille Flores est en Suisse depuis douze ans. En 2003, un contrôle de police les pousse à déposer leur demande de permis qu’ils attendent toujours aujourd’hui. Travailleur apprécié, le père ne cultive pas d’amertume, mais traîne son espoir malmené.

Pascale Burnier | 02.07.2009 | 00:07

Trois jupes, deux pantalons, une valise. Et le courage de tout quitter pour une vie aux promesses meilleures. Il y a douze ans, Monica et Richard Flores ont pris leur dernier billet d’avion. Un aller simple Equateur-Suisse. Le début d’un parcours dans l’ombre. Sans papiers. Douze ans à Lausanne, à élever deux enfants, Johanna 13 ans, et Maël, 5 ans. Douze ans, à travailler dans le canton.

Crainte de partir
En 2003, un contrôle de police les pousse à faire leur demande de permis. Une réponse favorable du canton de Vaud mais un refus de Berne. A deux reprises, des mesures de contrainte sont ordonnées accompagnées d’une date de départ. Plusieurs recours et une nouvelle demande plus tard, Monica et Richard continuent à vivre dans la crainte de devoir repartir de zéro. Encore une fois. «Les autorités nous connaissent, savent où on habite. On n’est pas des clandestins, on cotise et on paie nos impôts depuis notre arrivée en 1997. Mais lorsque l’on reçoit un courrier officiel, on a toujours peur de se faire renvoyer», lâche Richard en dévoilant toutes ses fiches de salaire. Alors, comme 162 autres familles de travailleurs au gris, comme on les appelle, ils sont sortis de l’ombre dans une pétition énumérant leurs noms et demandant leur régularisation, déposée mardi au Grand Conseil.

Depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle loi fédérale contre le travail au noir en janvier 2008, le canton de Vaud a pourtant intensifié ses contrôles (voir encadré). Une véritable hypocrisie pour Christophe Tafelmacher, avocat et animateur du Collectif vaudois de soutien aux sans-papiers: «Ils paient les assurances sociales et des impôts. On accepte leur argent, mais on ne veut pas les régulariser!»

Mais la vie de la famille Flores est désormais en Suisse. Seuls souvenirs de leur pays d’origine, un accent chantant et le drapeau de l’Equateur accroché dans un coin du salon. «On est devenu adultes en Suisse. C’est ici que nos idées se sont forgées», explique Monica, la jeune mère de 33 ans. «Pour mon fils né ici et ma fille, leur pays, c’est la Suisse.» Repartir un jour? Un non simultané de la tête. Pas besoin d’en dire plus.

Mensonge nécessaire
Serveur dans un restaurant lausannois depuis six ans, Richard, 34 ans, a gravi les échelons dans la restauration, de plongeur à chef de rang. Une fierté pour celui qui est arrivé avec un petit dictionnaire français en poche. «On ne connaissait rien de la Suisse. Mais mon frère, aujourd’hui naturalisé, et ma sœur avaient immigré ici.» Six mois plus tard, sa femme le rejoint sans leur fille. Les larmes coulent à l’évocation de ce souvenir. «Quand je suis partie, je ne savais pas quand je reverrais mon enfant», glisse Monica.

C’est que l’Equateur ne leur permet pas de vivre décemment. Malgré un emploi chacun, la petite famille ne voit pas de perspective. A son arrivée, Monica devient femme de ménage puis gouvernante.

Un baccalauréat en poche, elle aurait aimé faire une carrière mais ses priorités sont ailleurs. Ses enfants. Johanna, aujourd’hui en 7e VSB, n’a révélé le secret de la famille qu’à une amie proche. Pour le reste, le mensonge est parfois de mise. Difficile d’expliquer qu’on refuse un échange linguistique avec l’école parce que la traversée d’une frontière serait irréversible.

Lire la suite et l'interview de JC Mermoud dans 24heures

Intégration par contrat en Suisse Alémanique

Imprimer cet article Envoyer cet article RSS Feed

En Suisse alémanique, l'intégration se fait par contrat

L'obligation d'apprendre le parler local n'est pas en Suisse formellement inscrite dans la loi, mais la langue est devenue un critère important dans l'octroi de titres de séjours.
L'obligation d'apprendre le parler local n'est pas en Suisse formellement inscrite dans la loi, mais la langue est devenue un critère important dans l'octroi de titres de séjours. (Keystone)

Plusieurs cantons alémaniques manient, en douceur, le bâton pour convaincre les étrangers de s'adapter à la Suisse. Dans une convention qu'ils signent, les migrants s'engagent, entre autres, à apprendre la langue locale. Le premier bilan est positif.

«Non, non, ce n'est pas une contrainte, insiste le conseiller d'Etat zurichois Markus Notter, responsable de la justice. C'est un soutien pour la personne elle-même, mais pour le canton également, qui peut constater d'éventuelles lacunes.»

Le socialiste défend vigoureusement les «conventions d'intégration», nom donné aux accords passés entre les autorités cantonales de cinq cantons alémaniques et des étrangers en quête de permis de séjour. S'il ne veut pas parler d'intégration «contrainte» ou «forcée», c'est que c'est le reproche émis par les sceptiques, très nombreux du côté romand.

Les conventions d'intégration relèvent du droit cantonal et non fédéral. Elles fixent des objectifs en matière de connaissances linguistiques principalement.

Lancé au printemps 2008, le projet, actuellement dans une phase-pilote, est commun aux deux Bâle, à Soleure et Argovie. Un bilan intermédiaire a été présenté fin juin à Zurich.

La convention d'intégration ne s'adresse pas à tous les étrangers, rappellent les responsables. Les autorités choisissent celles et ceux qui, selon elles, pourraient en profiter le plus.

L'ordonnance cantonale zurichoise mentionne par exemple qu'une convention «peut» être utilisée pour «encourager l'acquisition de la langue de l'endroit et de connaissances sur (...) les conditions de vie en Suisse, le système juridique et sur les normes et règles qui permettent une vie commune harmonieuse.»

Peu formés ou réticents

Ce sont clairement les cas «à problèmes», qui sont visés par des conventions: personnes ayant un faible niveau de formation, des enfants à charge ou des responsables religieux, selon une obligation de la loi fédérale sur les étrangers, indique Julia Morais, déléguée zurichoise à l'intégration.

Les réticents, déjà en Suisse depuis quelque temps mais qui affichent un manque de volonté ou de capacité à s'intégrer, se voient aussi proposer de signer un «contrat».

Dans le canton de Zurich, 41 contrats ont été passés avec des nouveaux arrivants, de tous pays mais principalement au titre de regroupement familial, 2 avec des religieux et 8 avec des personnes déjà présentes. Les 18-35 ans sont majoritaires.

200 conventions

Pour l'heure, environ 200 conventions ont été signées dans les cinq cantons participant au projet. Bâle-Ville a environ 60 dossiers et Bâle-Campagne une vingtaine, pour ne citer que ces deux cantons.

Les cantons partenaires, qui ont chacun leurs groupes-cibles (pays d'origine différents, surtout), se sont fixés des fourchettes allant entre 40 et 60 cas. Confiée à la Haute école pour le travail social de la HES du Nord-Ouest, l'évaluation scientifique devrait être publiée au printemps 2010.

Les responsables zurichois sont tout sourires: «Les migrants considèrent les conventions comme une aide, explique Julia Morais. Pour les autorités, c'est une reconnaissance du travail accompli, mais aussi la possibilité de constater les lacunes, par exemple dans l'offre de cours de langue décentralisés.»

A Bâle-Campagne, le responsable du dossier Martin Bürgin,se félicite aussi du nouvel instrument. «Cela nous permet de dire aux gens que nous voulons les aider, mais que s'ils ne se tiennent pas aux engagement pris, ils risquent de ne pas recevoir leur permis.»

Heureux d'être informés

A Winterthour, «les migrants à qui nous avons proposé le contrat nous ont d'abord regardé avec de grands yeux surpris, raconte Daniela Fosco, du contrôle des habitants. Mais ensuite, tous ont trouvé que c'était très bien et ils étaient heureux de recevoir autant d'informations.»

Les responsables zurichois ont pris soin de présenter quelques migrants aux journalistes. Une Macédonienne de 41 ans, mère de deux enfants dont une jeune fille de 17 ans, raconte qu'elle ne savait «plus comment continuer, surtout pour ma fille aînée.»

«C'était très difficile, ajoute-t-elle, mais j'ai pu raconter tous mes problèmes». Le service d'intégration l'a aidée à trouver une place de travail pour sa fille. Elle-même a suivi un cours de langue de 3 mois, insuffisant pour garder l'emploi d'auxiliaire dans un magasin, mais elle poursuit le cours de langue.

Partout, les signataires de conventions ont, jusqu'ici, tenu leurs engagements. «Les gens sont très motivés», indique Julia Morais.

«Expulser une personne seulement parce qu'elle n'a pas suivi un cours de langue serait totalement disproportionné, ajoute Martin Bürgin. En revanche, en cas de décision d'expulsion pour un autre motif, le fait qu'un contrat d'intégration n'ait pas été respecté pourrait être un argument supplémentaire.»