vendredi 6 janvier 2006

Les mages ou la fine cuisine des Evangiles

Rien de particulier ce jour concernant l'asile dans le canton....

Juste trace de cette opinion d'Hélène Küng, parue dans 24heures, nous rappelant que l'habituée du centre de Vallorbe est (aussi) pasteure. Et certainement trace aussi du fait que c'est dans les Evangiles qu'elle trouve les ressources de ses actions infatigables.


Qui sont ces mages de Noël? Leur première mention, dans l’Evangile de Matthieu, n’en dit ni le nombre ni les noms. Les textes bibliques sont ava­res en renseignements, exprès! Y chercher seulement «ce qui s’est passé»: ce serait comme vouloir défaire une galette odorante pour retrouver la fa­rine crue, le sel sec, le beurre lourd à force d’être seul. Ce n’est pas ainsi qu’on s’ali­mente! Or ces vieux récits veu­lent nourrir, non renseigner. Les anciens n’avaient pas la plate prétention de «dire ce qui s’est passé» comme s’il existait des faits crus à servir tels quels.

Les Evangiles partagent une conviction: qu’un prophète d’une région marginale, appré­cié pour la qualité détonante de ses actes et de son enseigne­ment, puis exécuté comme un malfaiteur, est bien l’envoyé de Dieu, espéré depuis des siècles. Deux Evangiles, ceux de Mat­thieu et Luc, évoquent sa nais­sance de deux façons difficile­ment conciliables. Exprès! Eh oui, certains mets se savourent séparément. Ce serait dom­mage de servir la crème au rhum sur la salade aux croû­tons, non? Chez Matthieu, pas de bergers. Chez Luc, pas de mages. Il ne s’agit pas d’oubli. Ne les mélangeons pas, guet­tons- en plutôt les saveurs dis­tinctes.

L’arrivée des mages dans le récit de Matthieu signale que la venue de Jésus n’a rien d’un fait divers local. Elle touche, étonnamment, l’ensemble de l’humanité. Ces savants astro­nomes étrangers font le dépla­cement pour voir le nouveau venu — et devancent du coup les élites locales! La polémique est dans l’air. Par les mages, l’Evangile pimente son récit et laisse au… palais une saveur âcre. Il y a de quoi avaler de travers! Voilà le Dieu d’Israël honoré par l’astronomie, science suspecte pour ses fidè­les. Ensuite, ces païens voient ce que les croyants, puissants en tête, n’avaient pas remar­qué, et en prennent de la graine! Enfin, avec des siècles d’avance sur les architectes les plus visionnaires, la visite des mages rase… l’esprit de clo­cher! L’envoyé de Dieu, at­tendu par Israël, est là pour TOUT le monde! C’est la fin des querelles de chapelle — ou cela devrait l’être… C’est sulfureux, cette préten­tion de l’Evangile de Matthieu: que les barrières ne tiennent pas, que les favoritismes se dis­solvent. Mais c’est bien l’anti­que veine prophétique, dont les Evangiles sont convaincus que Jésus de Nazareth est le vrai héritier. Dieu à l’oeuvre, c’est le rétablissement du droit, c’est-à­dire selon cette tradition: la réhabilitation des exclus!

L’assaisonnement de l’Evan­gile de Luc est différent: pas de mages exotiques. Ses bergers «du terroir», des exclus de la société et de la religion, sont les premiers auprès de Jésus, lui aussi mis à l’écart, dans une mangeoire faute d’abri «nor­mal ». Mais là aussi, différem­ment, les barrières et les exclu­sions en prennent pour leur grade!

Briser les barrières, soit; mais la prétention universelle, même d’intention bien­veillante, choque aujourd’hui. De quel droit une religion peut-elle se proclamer «pour tous les peuples»? L’histoire du christianisme donne, hélas, toute sa pertinence à cette question: peut-on se prétendre «universel» sans devenir intolé­rant, voire totalitaire? Un mes­sage de paix pour chacun peut­il se construire avec chacun, dans le respect des diversités? Pas de réponse à cela. Juste des doutes salutaires, un défi, une exigence de cohérence renou­velée pour les croyants nourris des traditions de Matthieu, Luc et consorts!