mercredi 29 octobre 2008

Une sans-papiers dénoncée par une mairie parisienne

LIBERATION.FR

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Une sans-papiers dénoncée par une mairie parisienne

Elle s'est rendue à la mairie du Ve arrondissement pour inscrire son fils à l'école. Le mois d'après, elle était convoquée au commissariat. RESF appelle à un rassemblement.

MARIE PIQUEMAL

La traque aux sans-papiers se poursuit. En voici un nouvel exemple, révélé ce matin par le quotidien l’Humanité. L’histoire remonte au mois de juillet dernier. Mme M, équatorienne, emménage avec son fils dans le Ve arrondissement de Paris. Elle se rend donc à la mairie du Ve (dirigée par Jean Tiberi) pour inscrire son fils à l’école de son quartier. «Et là, curieusement, on lui demande si elle possède un titre de séjour, document qui n’a pas à être demandé lors d’une inscription scolaire», rapporte Réseau éducation sans frontière (RESF) sur son site. Trois pièces suffisent en effet pour inscrire son enfant à l’école: le livret de famille, un document attestant que l'enfant a subi les vaccinations obligatoires et un justificatif de domicile.

«Des dénonciations de ce genre assez fréquentes»

Fin août, Mme M. reçoit une première convocation au commissariat. Inquiète, elle ne donne pas suite. Fin octobre, nouvelle convocation au commissariat, et cette fois la raison est donnée. «Motif : suite à l’inscription de votre enfant à l’école et votre situation alors irrégulière en France (...) » (la convocation est consultable en cliquant ici)

Pour le collectif RESF, cela ne fait aucun doute : «Ce sont les services de la Mairie du Ve qui ont dénoncé la situation de Mme M. à la police.» Et ce ne serait pas une première selon Brigitte Wieser, une des responsables de RESF interrogée par Libération, qui rappelle que «des dénonciations de ce genre sont assez fréquentes dans les villes de province… On a déjà vu par exemple des sans-papiers arrêtés à leur sortie de l’hôpital !»

«Les droits fondamentaux sont bafoués: si un sans-papiers ne peut même plus avoir accès aux soins ou même inscrire son enfant à l’école, c'est vraiment grave» s’indigne Brigitte Weiser, rappelant que «les rafles sont également de plus en plus fréquentes sur les lieux de travail... Du coup, on arrête les sans-papiers les plus intégrés dans la société!» Et de reprendre l'exemple de Mme M. Elle avait déposé une demande de régularisation dans le cadre de son travail. Femme de ménage, «elle a un contrat de travail en bonne et due forme».

RESF appelle à un rassemblement devant le commissariat de police afin «d'accompagner Mme M.» à sa convocation, demain jeudi à 9h30, rue de la Montagne Sainte Geneviève.

Deux tentatives de suicide à la prison de Frambois

LE COURRIER

Paru le Mercredi 29 Octobre 2008 - OLIVIER CHAVAZ

Genève MESURES DE CONTRAINTE - La Ligue suisse des droits de l'homme
dénonce une nouvelle fois l'absence de suivi médical au centre de
détention pour étrangers, où de nombreuses personnes souffrent de
troubles psychiques.

Deux hommes incarcérés à Frambois en attente de leur renvoi ont
récemment tenté de mettre fin à leurs jours. Il s'agit d'une nouvelle
illustration de la détérioration des conditions de détention à la prison
pour étrangers, a indiqué hier dans un communiqué de presse la section
genevoise de la Ligue suisse des droits de l'homme (LSDH). L'association
exhorte les autorités des trois cantons concernés par Frambois – Genève,
Vaud et Neuchâtel – à renforcer l'encadrement médical de l'établissement
concordataire ouvert en 2004 à Vernier.

Ces tentatives de suicide ont toutes deux eu lieu le 26 septembre
dernier. La première concerne un Kosovar de 27 ans, débouté de l'asile.
Détenu depuis début septembre, il a tenté de s'immoler par le feu. La
seconde a été le fait d'un Nigérian de 19 ans, dont la demande d'asile a
été frappée d'une non-entrée en matière. A Frambois depuis le printemps
dernier, il s'est pendu aux barreaux de sa cellule. L'intervention des
surveillants a permis d'éviter la mort de ces deux personnes. Après une
brève hospitalisation en psychiatrie, ils ont été reconduits en prison.

La LSDH alerte régulièrement les autorités sur les carences en matière
de prise en charge médicale à Frambois. En vain. Dans son dernier
rapport sur l'établissement carcéral pour étrangers, les défenseurs des
droits de l'homme réclamaient notamment que «les soins médicaux soient
accessibles» et que «les mesures de contrainte ne soient pas utilisées
dans le cas des personnes souffrant de troubles mentaux ou dont l'état
de santé est particulièrement préoccupant». Selon la LSDH, les détenus
eux-mêmes se plaignent de cette situation.

«Ces deux cas illustrent parfaitement le problème, explique Orlane
Varesano, membre du comité de l'association. L'un a été incarcéré alors
qu'il était déjà dans une profonde détresse psychique et l'autre a vu
son état se détériorer au fil des mois, ne sachant pas où en était sa
procédure.» Pour elle, ces événements ont eu de lourdes conséquences sur
le moral de l'ensemble des détenus de Frambois, dont la plupart sont
fragilisés par l'incertitude pesant sur leur sort et par
l'incompréhension que suscite leur détention. «Nous sommes conscients
qu'il n'est pas possible d'avoir un médecin sur place vingt-quatre
heures sur vingt-quatre, mais nous demandons au moins une visite
quotidienne», précise la militante.

Secrétaire général du Département genevois des institutions, Bernard Gut
affirme de son côté qu'il est erroné de lier strictement les conditions
de détention et les tentatives de suicide. «Mais il est vrai, en
revanche, que de plus en plus de personnes arrivent à Frambois avec de
gros problèmes psychiques», reconnaît-il. Ces détenus font alors des
allers et retours entre la prison et des services médicaux extérieurs.
«C'est à ce niveau qu'on pourrait améliorer le système de prise en
charge. Des discussions sont prévues dans le cadre du concordat», ajoute
le haut fonctionnaire.

Enfin, un problème particulier se pose avec les détenus dépendant d'un
canton non concordataire, comme c'est le cas du jeune Nigérian, placé à
Frambois par les autorités tessinoises. «Le suivi de leur dossier est
plus compliqué. Ce sont un peu des laissés-pour-compte», admet Bernard
Gut. I

«Une forteresse pour tenir la misère à distance»

Dans son documentaire La Forteresse, Fernand Melgar explore la réalité complexe d'un centre de requérants d'asile. Le film, primé à Locarno, a rencontré un grand succès auprès des critiques et du public. Il sort ces jours dans les salles suisses.

Homme chaleureux et qui ne mâche pas ses mots, Fernand Melgar a accepté de parler de son film et du thème de l'immigration en Suisse ainsi que de ses souvenirs de fils d'exilés espagnols.
Dans le paysage cinématographique suisse, Fernand Melgar a une aura particulière. Ce réalisateur a fait sensation en 2005 avec Exit, le droit de mourir qui évoquait avec sensibilité le thème délicat de l'assistance au suicide. Un documentaire qui a reçu le Grand prix du cinéma suisse en 2006.
Aujourd'hui, Fernand Melgar revient à la Une grâce à La Forteresse , un documentaire récompensé par le Léopard d'or (section Cinéaste du présent) au cours de la dernière édition du Festival de Locarno. Cette nouvelle œuvre explore l'univers étouffant d'un centre de requérants d'asile. Pour la première fois, une caméra était autorisée à filmer dans ces murs et témoigne du quotidien d'hommes et de femmes venus du monde entier à la recherche d'une vie meilleure.

swissinfo: Comment le projet de La Forteresse est-il né?

Fernand Melgar: L'idée a surgi le 24 septembre 2006, quand le peuple suisse a approuvé à 68% le durcissement des lois sur l'asile et sur l'immigration extracommunautaire.

swissinfo: Pour tourner au Centre de Vallorbe (à la frontière franco-suisse), les permis de filmer ont-ils été difficiles à obtenir de la part des autorités de l'Office fédéral des migrations (ODM)?

F. M. : Oui et non, parce que ce pays fonctionne vraiment comme une démocratie. N'importe quel citoyen a accès à l'information. L'obtention des permis m'a pris six mois et l'ODM n'a pas demandé en contrepartie le droit de voir le matériel filmé. Ce qui est stupéfiant.

swissinfo: Avant le tournage, vous avez travaillé plusieurs mois à Vallorbe. Votre présence a-t-elle été bien acceptée?

F. M. : J'ai partagé le quotidien des requérants pendant six mois pour comprendre le fonctionnement du centre. Quand nous sommes arrivés avec les caméras, ils nous connaissaient déjà bien. Quand on a gagné la confiance d'un Togolais ou d'un Nigérien, on a celle de toute son ethnie ou nationalité. C'est un phénomène intéressant à constater.

swissinfo: Les cas de demande d'asile sans base légale sont-ils habituels?

F. M. : Il existe une réalité peu connue, qu'on pourrait appeler le tourisme sanitaire. Certaines personnes viennent en Suisse pour soigner des addictions ou des maladies graves. Dès qu'ils sont dans le système de demande d'asile, ils reçoivent un traitement médical et c'est la raison de nombreuses demandes d'asile.

swissinfo: Est-ce si difficile que cela d'entrer en Suisse?

F. M. : C'est tout simplement impossible. Il n'y a que deux manières de mettre le pied en Suisse légalement si on n'est pas citoyen d'un pays de l'Espace Schengen: le mariage, avec un ou une Suisse, et la demande d'asile.
Mais sur cent personne qui font la demande, une seule reçoit une réponse positive. Les autres entreprennent des recours administratifs et épuisent les voies légales avant de passer à la clandestinité. La Forteresse , ce n'est pas seulement Vallorbe, c'est une métaphore de la Suisse et de l'Europe. Nous avons construit un mur pour tenir la misère à distance.

swissinfo: Y a-t-il beaucoup de «fausses» demandes, comme le prétend la droite?

F. M. : Je n'emploierais pas ce terme bien qu'il existe des cas où les personnes font cette demande tout en sachant qu'elle n'a aucune chance d'aboutir. Mais pendant deux mois, ces personnes sont logés et nourris – ce qui leur donne le temps d'entrer en contact avec des réseaux de travail au noir et ils ont déjà un pied en Suisse.
A Lausanne et Genève, certains clandestins latino-américains vivent à 40 par pièce, avec ce qu'on appelle le système des «lits chauds». Une personne dort huit heures, se lève et cède sa place au suivant. Ces personnes travaillent en général comme employés de maison pour 500 francs par mois plus la nourriture.

swissinfo: Votre rapport aux problèmes d'immigration est très personnel. Pouvez-vous nous dire comment et quand vos parents sont arrivés en Suisse?

F. M. : Ma famille est andalouse. Mon père est arrivé comme saisonnier et a vécu dans des baraquements tout en travaillant pour un salaire de misère. Il a fait venir ma mère clandestinement et je devais vivre caché. Si quelqu'un frappait à la porte, on me cachait sous le lit. En 1996, après 27 années de travail en Suisse, mes parents ont décidé de rentrer en Espagne.

swissinfo: Quelle différence voyez-vous entre l'époque actuelle et celle de vos parents?

F. M. : Du temps de mes parents, il existait un permis «A» qui donnait le droit de travailler neuf mois mais sans pouvoir faire venir sa famille. Une situation idéale pour la Suisse qui disposait ainsi d'une main d'œuvre «jetable» et sous contrôle. Quelque 150'000 travailleurs vivaient dans ces conditions.
Depuis que la Suisse a signé les accords bilatéraux avec l'Union européenne, ce permis n'existe plus. Et vous savez ce qui se passe maintenant? Il y a 150'000 travailleurs clandestins.
Ceux qui, auparavant, auraient bénéficié d'un permis «A». A ceci près qu'aujourd'hui, travailler illégalement peut vous conduire en prison. Y compris dans le cas de mineurs ce qui, je crois, est une situation unique au monde.

swissinfo: Votre film montre parfois des personnages qui inspirent peu ou pas de sympathie au spectateur. Est-ce délibéré?

F. M. : J'essaie de sortir du discours manichéen qui oppose les moutons noirs et les moutons blancs. Je crois que nous devons être capables d'explorer les zones grises.

swissinfo: Que représente le Léopard d'or 2008 pour votre carrière?

F. M. : Locarno est un festival de premier plan et ce prix est une vrai consécration. Le film sera projeté à Buenos Aires, Florence et Téhéran. Je constate que le message du film est universel, même s'il traite d'un thème profondément local.

swissinfo: Avez-vous des projets?

F. M. : Je suis en train d'écrire une fiction sur la communauté équatorienne clandestine de Lausanne, un retour sur mes souvenirs d'enfance, dont le titre sera Loin par delà les montagnes.

swissinfo: Quels sont vos liens avec l'Espagne aujourd'hui?

F. M. : J'ai fait La Forteresse pour ne pas oublier d'où je viens, le film est une sorte d'hommage à mes origines. Je vous donne un scoop en passant: la première internationale aura lieu au Festival de Gijon, en Asturies, fin novembre. Je suis très heureux de montrer mon film en Espagne!

swissinfo: Quel message voulez-vous faire passer avec ce documentaire?

F. M. : La Forteresse parle de la famille, du père absent, du fils perdu et cet aspect n'a pas été vraiment compris. J'essaie de montrer que la vie recommence sans cesse même au milieu des pires drames. C'est une métaphore, la vie appelle toujours la vie dans un cycle sans cesse recommencé.

Interview swissinfo: Rodrigo Carrizo Couto, traduction de l'espagnol: Elisabeth Gilles