mardi 13 avril 2010

“L’aide sur place est la voie du futur”

Eduard Gnesa, ambassadeur extraordinaire pour les migrations, sort de son silence. Selon lui, l'heure n'est plus à l'accueil de contingents de réfugiés, mais à l'aide sur place. Un article de Christiane Imsand dans le Nouvelliste.

Eduard Gnesa, un travail d’ambassadeur essentiel à la politique migratoire de la Suisse.  KEYSTONE/A

Ancien directeur de l'Office fédéral des migrations, Eduard Gnesa a quitté le Département fédéral de justice et police (DFJP) pour celui des affaires étrangères (DFAE). Depuis le 1er septembre 2009, il est ambassadeur extraordinaire pour la collaboration internationale en matière de migrations. Le poste est délicat, à la charnière de plusieurs départements, et le Haut-Valaisan a longtemps préféré rester dans l'ombre (cf notre édition du 9 avril). Hier, il a accepté pour la première fois de s'exprimer sur ses nouvelles fonctions. Interview.

Pour quelle raison le Conseil fédéral a-t-il créé votre poste?

Il voulait d'une part optimiser et intensifier sa présence sur la scène internationale, d'autre part renforcer la collaboration entre les trois départements concernés par la politique des migrations, à savoir les départements des Affaires étrangères, de Justice et Police, et de l'Economie. Jusqu'alors, c'était le groupe de travail interdépartemental pour les migrations qui assurait la coordination. Le gouvernement a décidé de lui donner un prolongement mobile en nommant un ambassadeur.

Vous êtes le premier à occuper ce poste. Qui fixe votre cahier des charges?

C'est le groupe de travail que je viens de mentionner. Il comprend notamment le directeur de l'Office fédéral des migrations, le directeur de l'aide au développement, et le chef de la division politique IV des affaires étrangères, chargée des droits de l'homme et des migrations. L'objectif est de défendre les intérêts de la Suisse dans le cadre de partenariats migratoires comme ceux que nous avons avec la Serbie, la Bosnie et le Kosovo, de promouvoir des programmes de protection dans des régions où il y a de nombreux réfugiés, d'améliorer la collaboration avec l'Union européenne et de représenter la Suisse dans les organisations internationales.

Le DFJP et le DFAE n'ont pas forcément la même approche de la politique des migrations. Le premier est axé sur une politique d'asile toujours plus restrictive, le second sur les droits de l'homme. Un problème?

Non. La Suisse n'a pas à avoir honte de sa politique des réfugiés. Près de 20% des requérants obtiennent ce statut, sans compter les admissions provisoires. Nous développons en parallèle la notion de partenariat migratoire qui a été inscrite dans la nouvelle loi sur les étrangers. Les échanges doivent profiter aux deux parties. C'est pourquoi par exemple nous ouvrons le dialogue aussi bien sur les accords de réadmission que sur les problèmes de visa, de formation, de développement ou de documents d'identité.

D'où viennent les migrants actuellement?

C'est lié aux demandes d'asile. Il y a une dizaine d'années, les demandes venaient essentiellement de personnes fuyant la guerre des Balkans. Depuis quelques années, nous assistons à une vague de migrants en provenance d'Afrique du Nord et d'Afrique sub-saharienne. La politique du Conseil fédéral est de les aider en soutenant les gouvernements qui accueillent des réfugiés. Il y a par exemple près de deux millions de Somaliens au Kenya. Nous avons un projet commun avec le Danemark dans la région. Au Maroc, nous finançons un projet de retour volontaire des candidats à l'émigration.

Et les réfugiés climatiques?

C'est une perspective à long terme. On ne va pas assister du jour au lendemain à l'arrivée d'une vague de migrants fuyant la sécheresse, mais la Suisse se prépare à ce nouveau défi.

Selon le directeur de l'Office fédéral des migrations Alard du Bois-Reymond, la plupart des Nigérians viendraient en Suisse pour faire des affaires illégales. Vous partagez cette analyse?

Ce qui est sûr, c'est que seule une immigration contrôlée permet de limiter le développement de la criminalité. Je soutiens l'idée d'une task force pour analyser la situation. Par ailleurs, nous devons pouvoir continuer à discuter avec le Gouvernement nigérian pour qu'il continue d'accepter le retour de ses propres ressortissants. Dans ce contexte, nous devons veiller à développer notre partenariat migratoire avec ce pays.

Pour dissuader les Nigérians de venir en Suisse?

Pas seulement. Mais, entre autres, pour les informer. Il faut qu'ils sachent ce qui les attend s'ils viennent en Suisse. Nous avons déjà fait une campagne de ce type au Cameroun.

Vous évoquez des programmes de protection. Qu'entendez-vous par là?

Je vous citerai l'exemple de la Syrie où je me suis rendu récemment.

Ce pays abrite plus d'un million de réfugiés irakiens alors qu'il a déjà accueilli des centaines de milliers de Palestiniens et que la sécheresse pousse les Kurdes syriens vers Damas. La Suisse a tout intérêt à lui apporter son aide.

Celle-ci prend différentes formes. Nous soutenons aussi bien des programmes pour la protection des réfugiés que la construction d'écoles destinées aux enfants irakiens et syriens. Il y a aussi des programmes de formation et un projet pour lutter contre la traite des femmes. Je suis persuadé que cette aide sur place est la voie du futur. Actuellement, le Conseil fédéral ne souhaite plus accueillir d'importants contingents de réfugiés.

La forteresse Europe a-t-elle définitivement fermé ses portes?

Les problèmes démographiques que connaissent tous les pays européens pourraient modifier la donne. En fonction des besoins, la Suisse pourrait accueillir de nouvelles catégories de personnel qualifié. Pensez aux infirmières qui commencent à faire défaut.

L'aide sur place permet à la Suisse d'avoir une bonne image. Mais n'est-ce pas une goutte d'eau dans la mer par rapport aux besoins?

Ce n'est pas seulement le montant qui compte.

Un de mes interlocuteurs m'a déclaré que la Suisse n'était pas l'un des plus grands donateurs mais que c'était l'un des plus fiables. Elle tient ses promesses et cela lui attire le respect.

Les Nigérians viennent-ils en Suisse pour dealer ? Controverse

Le directeur de l’Office fédéral des migrations affirme qu’une majorité de requérants d’asile du Nigeria viennent en fait en Suisse pour s’y adonner à des activités criminelles. Les statistiques policières montrent qu’ils sont nombreux à être actifs dans le trafic de cocaïne. Un article de 24 Heures signé par Serge Gumy.

requérants nigérians polémique

«Avec 1800 demandes l’an dernier, les Nigérians constituent le plus fort effectif des requérants d’asile – 99,5% d’entre eux sans la moindre chance de pouvoir rester en Suisse. Ils ne viennent pas ici comme réfugiés, mais pour y faire des affaires illégales.» Alard du Bois-Reymond a lancé un pavé dans la mare dimanche. Pour le nouveau directeur de l’Office fédéral des migrations, en poste depuis le début de l’année, le Nigeria constitue même le problème numéro un de l’asile en Suisse. Et il promet de l’empoigner avec fermeté.

Présents dans la coke
Les requérants d’asile du Nigeria sont-ils tous des criminels? «Pour ce qui concerne le trafic de cocaïne de rue, les dealers proviennent à 99,5% d’Afrique de l’Ouest, explique Jean-Christophe Sauterel, porte-parole de la police cantonale vaudoise. Depuis deux ou trois ans, les Nigérians se sont ajoutés aux francophones du Burkina Faso, de Guinée-Bissau et de Guinée-Conakry. Clairement, ces gens viennent chez nous pour trafiquer. Ils arrivent en Suisse formés et sont opérationnels assez vite.»

Et les chiffres, que disent-ils? Selon l’Office fédéral de la statistique, 585 Nigérians ont été prévenus de trafic de stupéfiants en 2009 en Suisse (9% du total), dont 462 pour trafic de cocaïne (22% du total). Par ailleurs, dans le canton de Vaud, selon le juge d’instruction cantonal Jean Treccani, 17 des 97 dossiers de trafic de stupéfiants actuellement ouverts (toutes substances confondues) concernent des ressortissants de cet Etat.

Juges et policiers l’affirment: pour renvoyer ces trafiquants, le plus difficile consiste à établir leur identité. Quand ils y parviennent, le Nigeria ne rechigne pas à reprendre ses ressortissants. Les renvois forcés vers Lagos ont toutefois été suspendus depuis la mort à Zurich d’un requérant de 29 ans lors de son renvoi, le 17 mars dernier. «Ces propos provocateurs, inacceptables et racistes visent précisément à faire diversion de cette mort tragique», accuse Dozie Celeste Uguchukwu, président de la diaspora nigériane en Suisse.

«Un refrain connu»
«Je suis convaincu moi aussi que les Nigérians jouent un rôle important dans le trafic de cocaïne. Mais les déclarations d’Alard du Bois-Reymond sont extrêmes, déplore Beat Meiner, secrétaire général de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR). Pauvreté, violences ethniques: la situation au Nigeria est très difficile. Ces personnes viennent en Europe avant tout pour gagner leur vie. Quant à M. du Bois-Reymond, il entonne un refrain connu: «Tous dehors!» Mais nous sommes inquiets: ces propos généraux annoncent-ils que la Suisse n’examinera plus les demandes d’asile de Nigérians à l’avenir?»

«Cette manière de se focaliser sur le Nigeria m’a choqué.» Le propos, tout aussi outré, est signé… Yvan Perrin, vice-président de l’UDC Suisse. «L’ordre de grandeur de 99,5% cité par le directeur de l’ODM décrédibilise tout le reste du discours, qui est juste.» Pour le conseiller national, la sortie fracassante d’Alard du Bois-Reymond vise à montrer que sa cheffe, la conseillère fédérale Eveline Widmer-Schlumpf, tient une ligne dure sur l’asile. Une tentative de donner des gages alors que le peuple votera en 2011 sur une initiative de l’UDC pour l’expulsion des criminels étrangers.

Sur le même sujet, lire “Le Nigérian, nouvel ennemi public n°1 ?” dans le Matin

“Les clandestins sont là, ils sont utiles”

Jean-Jacques Gauer, directeur du Lausanne-Palace, soutient la Municipalité sur l’ouverture de l’apprentissage aux enfants de sans-papiers. Un article signé Alain Walther dans 24 Heures.

Jean-Jacques Gauer Lausanne Palace

Cet après-midi, la ville de Lausanne prendra le chemin du Château. La Municipalité viendra défendre devant une délégation du Conseil d’Etat son point de vue sur l’ouverture de l’apprentissage aux enfants de sans-papiers. Le soir, le débat continuera devant le Conseil communal. Dans une grande entreprise lausannoise, on est tout ouïe. «La Municipalité lausannoise a raison, il faut en finir avec cette mascarade. Ces enfants, ces jeunes ont été à l’école ici, vivent ici. Notre monde est le leur. Il faut tout faire pour les intégrer dans les entreprises, dans la vie.»

Ces propos, Jean-Jacques Gauer, directeur du Lausanne-Palace, les tient haut et fort, avec à ses côtés Rose Martinez, directrice des ressources humaines, et Jacques Staempfli, directeur adjoint. Le Lausanne-Palace compte en ce moment quelque 320 employés. Les membres de la direction du Lausanne-Palace ne redoutent pas de parler ouvertement de cette problématique, d’autant qu’il y a six ans elle a payé le prix fort pour avoir employé des sans-papiers.

Un héritage difficile
«Nous avions hérité en 1996, rappelle le directeur, d’une pratique qui à l’époque était courante, connue et tolérée par les autorités.» Trois autres grands établissements d’ailleurs avaient été pincés pour les mêmes raisons par les autorités cantonales. Page tournée avec la «conscience tranquille» pour le trio. Il n’y a plus de sans-papiers au Lausanne-Palace. Reste le problème qui embarrasse la société helvétique: le droit à l’apprentissage pour des enfants scolarisés. Devançant le pavé dans la mare de la Municipalité de la capitale vaudoise, le Lausanne-Palace est déjà passé des paroles aux actes en soutenant un jeune sans-papiers. Il a pu aller au bout d’une formation professionnelle équivalente à un apprentissage CFC. «Notre employé a même terminé, précise Jacques Staempfli, avec les félicitations du jury.»

D’abord employé au «gris» (charges sociales et impôts payés), le jeune Equatorien, né en 1981, a travaillé dans les cuisines de 2001 à 2009 – année où il fut expulsé après avoir vu sa demande de permis de séjour refusée par Berne – malgré le soutien favorable du canton de Vaud.

«C’était la moindre des choses que notre entreprise défende un employé comme lui», souligne le directeur de l’établissement, qui regrette que cette «perle» ne soit plus aux fourneaux. La direction ne s’est pas préoccupée de savoir si d’autres patrons vaudois faisaient le même choix éthique: «L’application de cette loi avec une telle fermeté, c’est de l’aveuglement inhumain, cela suffit pour réagir.» En passant, Jean-Jacques Gauer ne se fait pas d’illusions sur l’efficacité des galas de charité censés lutter contre la misère à l’étranger. «Avec les sans-papiers, le problème est devant notre porte. Voilà la priorité.»

«Ces gens sont utiles»
Quant à l’avenir, le Lausanne-Palace croit en la régularisation des sans-papiers qui payent comme leurs patrons impôts et charges sociales. «Il faut cesser de nous mentir à nous-mêmes. Ces gens-là sont là, sont utiles et leur régularisation n’ouvrira pas les vannes de l’immigration sauvage.»

Le taureau par les cornes
Découvrant le soutien du Lausanne-Palace, Oscar Tosato, municipal (enfance, jeunesse et éducation), applaudit des deux mains. «Nombre de restaurants et petites entreprises lausannoises nous ont déjà apporté leur soutien. Elles nous remercient d’avoir pris le taureau par les cornes en mettant le doigt sur les vrais problèmes.» Bémol en forme de regret, le municipal constate que le soutien vient du terrain – des membres des associations patronales – mais pas des secrétariats patronaux, qui sont d’un avis opposé.


Formé, indispensable mais expulsé

Il a tout pour plaire à un patron. Motivé, «une vraie éponge: Mauricio regarde, écoute et, tout de suite, comprend tout», disent ses employeurs. A 29 ans, Mauricio Catota a déjà une longue carrière derrière lui. Sous contrat (impôts et charges sociales payés) depuis 2001, le jeune homme a grimpé tous les échelons. En 2009, le voilà promu numéro deux de la brigade de la Brasserie du palace. Il dirige 12 personnes et doit avoir l’œil pendant le coup de feu. Le cuisinier a vu ses efforts couronnés par les félicitations du jury, en 2008, après avoir suivi des cours de formation professionnelle. Mais, l’année dernière, l’employé modèle a été expulsé. Avec son épouse, Adriana, et le petit Maurice, né en juillet 2008 au CHUV, il a dû quitter la Suisse.

Mauricio Catota n’a pas trouvé de travail dans son pays. Il suit actuellement un cours de perfectionnement professionnel à Buenos Aires, en Argentine. Ensuite, il déposera une demande de visa pour revenir en Suisse. A Lausanne, ses parents et ses deux frères l’attendent. Car Mauricio est le seul des Catota à ne pas avoir obtenu un permis. «Il y a cinq ans, précise Rose Martinez, directrice des ressources humaines du Lausanne-Palace, nous avons déposé une demande de permis.» La demande a été soutenue par le canton de Vaud, mais repoussée par Berne. Le Lausanne-Palace a pris un avocat pour défendre son employé.