samedi 6 août 2011

Le drame sans fin des migrants

Des clandestins asphyxiés, d’autres morts et jetés par-dessus bord. Depuis la mi-mars et le début de l’intervention de l’OTAN en Libye, quelque 24 000 personnes sont arrivées sur les côtes italiennes.

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Certains sont morts asphyxiés dans la cale d’un navire. D’autres ont agonisé sur le pont, déshydratés. Trop faibles pour atteindre les côtes européennes, ils sont décédés durant la traversée, leurs corps étant parfois jetés par-dessus bord par leurs compagnons de voyage qui débarquent ensuite, comme des survivants hagards, dans le port de la petite île de Lampedusa.

Depuis la mi-mars et le début de l’intervention militaire en Libye, le nombre d’immigrés, originaires principalement d’Afrique subsaharienne qui tentent de fuir les violences en montant sur des embarcations de fortune pour rejoindre les côtes italiennes s’est élevé à 24 000. Mais dans le même temps, «plus de 1500 migrants ont été portés disparus», dénonce Laura Boldrini, porte-parole du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR).

Parti de Libye vendredi dernier, un bateau chargé de 370 personnes a ainsi été pris en charge, jeudi soit au bout de six jours d’une odyssée tragique, par les gardes-côtes italiens. Les immigrés ont été débarqués à Lampedusa, au sud de la Sicile. Mais environ 100 migrants manqueraient à l’appel. «Au bout de vingt-quatre heures nous nous sommes perdus», a raconté une jeune femme qui a expliqué: «On a erré en mer sans eau ni nourriture. Quand les premières femmes ont commencé à ne plus résister, à mourir comme beaucoup de leurs enfants, les hommes en pleurs ont été contraints de jeter les corps à la mer. Nous étions 400 au départ. A la fin nous n’étions plus que 300.»

«Nombre de témoignages de rescapés confirment que les passagers du navire ont été contraints de jeter en mer plusieurs dizaines de cadavres, indique Andrea Ciocca, coordinateur de la mission de Médecins sans frontières (MSF) à Lampedusa. Selon nos informations, le moteur du bateau serait rapidement entré en avarie laissant les migrants sans vivres.» L’embarcation aurait ensuite été repérée à 27 miles des côtes libyennes par un remorqueur chypriote qui aurait lancé un SOS. Un bâtiment de la flotte de l’OTAN – vraisemblablement français – situé à proximité, n’aurait pas réagi provoquant l’indignation des autorités italiennes. Celles-ci ont alors envoyé des secours à partir de Lampedusa, située à 90 miles de là. Cet épisode intervient trois jours seulement après la découverte dans la soute d’un navire les cadavres de 25 personnes mortes asphyxiées dans la salle des machines. Elles avaient tenté en vain d’ouvrir la trappe pour remonter sur le pont déjà occupé par 271 immigrés.

«L’afflux de bateaux en provenance de Libye se produit par à-coups, remarque Andrea Ciocca. Fin juillet, il n’y a pas eu d’arrivées, mais les débarquements sont presque continus depuis quelques jours. Cela peut être dû à la détérioration de la situation sur le terrain, aux meilleures conditions météo ou bien encore à une manœuvre délibérée.»

Pendant des années, le colonel Kadhafi a notamment fait pression sur l’Italie en ouvrant, par intermittence, le robinet de l’immigration pour obtenir des concessions, notamment économiques, de Rome. Une chose est sûre, toutes les embarcations qui arrivent à Lampedusa partent de la zone encore contrôlée par le régime libyen. «La plupart sont des étrangers d’Afrique subsaharienne qui travaillent depuis des années en Libye et qui ne peuvent plus rester sur place, détaille Laura Boldrini. Puis il y a des réfugiés qui fuient leur pays, comme des Somaliens ou des Erythréens. Enfin, il y a des personnes qui, au début du conflit, ont fui vers la Tunisie mais ne voyant pas d’avenir dans le camp de Shusha, sont rentrées en Libye pour tenter de partir par la mer.»

Au total, sur le port de Tripoli, plusieurs milliers de personnes seraient encore aujourd’hui en attente d’un passage maritime pour l’Europe. En principe, depuis la Libye, la traversée devrait durer un jour et demi. Mais au moindre ­incident, c’est la tragédie. «Pour fuir les bombardements, les immigrés sont prêts à s’embarquer en masse sur des gros navires délabrés, note Laura Boldrini. En cas de problème, le nombre de victimes est beaucoup plus important qu’autrefois quand ils embarquaient sur des petits bateaux.»

Dans le sillage des autorités italiennes, les ONG demandent aux bâtiments de l’OTAN de prendre en charge les navires chargés de migrants partis de Libye sans attendre qu’ils subissent une avarie. Mis en cause pour la tragédie de jeudi, un porte-parole de l’Alliance atlantique a nié vendredi tout refus d’intervention, soulignant que «l’OTAN répond et intervient toujours dans les situations d’urgence en conformité avec les dispositions du droit international». En attendant, le gouvernement de Silvio Berlusconi a réclamé une «enquête formelle» de l’OTAN et l’ouverture d’une discussion officielle pour «élargir la mission au secours des bateaux de migrants».

Eric Jozsef dans le Temps

Fernand Melgar, un «Vol spécial» qui domine la compétition

Le réalisateur vaudois est en compétition officielle au festival de Locarno. Impression à la sortie de la première projection de presse de son nouveau documentaire «Vol spécial».

fernand melgar locarno

Fernand Melgar en terrain connu. Et conquis, a-t-on envie d’ajouter à la sortie de la première projection de presse de son film, «Vol spécial». C’est en 2008 que le cinéaste vaudois avait séduit Locarno avec «La Forteresse», étourdissant documentaire sur l’accueil des requérants d’asile en Suisse. Léopard d’or de la section «Cinéastes du présent». Mérité, indiscutable.

Avec «Vol spécial», il se retrouve cette fois en compétition officielle. Une marche supplémentaire, peut-être. Et, premier constat, l’effet Melgar se répète. Cette fois, c’est à Frambois, centre de détention administrative sis à Vernier, donc Genève, qu’il plante sa caméra. Une caméra qui va vite se faire oublier - et c’est bien le premier miracle d’un documentaire une fois de plus limpide dans sa capacité à capter la vérité des choses.

C’est à Frambois que le sort des requérants d’asile se joue, et que leur destin se noue. Fernand Melgar filme en somme la fin d’un processus qu’il dénonçait dans «La Forteresse». Sauf que dénoncer n’est pas tout à fait le mot, tant cette immersion à hauteur d’hommes privilégie le facteur humain, aussi bien au niveau des demandeurs d’asile qu’à celui des employés du centre, des gardiens. Chaque trajectoire est un drame, une tragédie, qu’il s’agit de raconter, d’établir, en présence d’une équipe technique invisible.

Presque en retrait - Melgar ne juge pas, ne plaque pas de voix off sur ses images -, le cinéaste transforme cette discrétion extrême en un processus d’écriture au sens propre. Si le travail du documentariste fait parfois penser à Depardon, par cette manière de s’implanter dans un monde sans le perturber, il parvient à son but supposé, celui de donner à voir un processus au fond dégueulasse et inhumain au terme duquel certains individus se trouvent broyés ou niés. L’émotion que dégage «Vol spécial» est ainsi palpable, réel. Melgar nous place avec lui à l’intérieur du centre de détention, en empathie avec tous ceux qu’il filme. Unique documentaire de la compétition 2011, il risque bien de se retrouver aussi au palmarès. Et en salles dès le 21 septembre.

Pascal Gavillet dans la Tribune de Genève

Les demandes d'asile en juillet

En juillet 2011, 1742 demandes d'asile ont été déposées en Suisse, soit une hausse de 4 % (67 demandes) par rapport au mois de juin (1675 demandes). Les principaux pays de provenance sont la Tunisie, le Nigéria et l'Erythrée.

Au mois de juillet, 253 ressortissants tunisiens ont déposé une demande d'asile, c'est-à-dire 31 de moins (- 10,9 %) qu'au cours du mois précédent. Quant aux Nigérians, ils étaient 180 (+ 46,3 %) et les Erythréens 169 (- 27,8 %). Vous trouverez de plus amples informations sur l'évolution des demandes d'asile en juillet 2011 ci-dessous.

Communiqué de presse de l’ODM

asile juillet 2011

Expulsions forcées: la révolte des policiers

Dans une lettre que s’est procurée «Le Temps», la Fédération suisse des fonctionnaires de police accuse l’Office fédéral de migrations de ne pas écouter ses doléances et de mentir. La FSFP affirme que les policiers ne sont pas assez en sécurité lors des vols spéciaux.

Les policiers se rebellent. Après les images choquantes de «10 vor 10», le 7 juillet dernier, montrant deux policiers frappant un requérant débouté sur le tarmac de l’aéroport de Zurich, ils montent aux barricades pour se défendre. Dans une lettre de trois pages que Le Temps s’est procurée, la Fédération suisse des fonctionnaires de police (23 000 membres) déplore les problèmes de sécurité que les policiers peuvent rencontrer lors des expulsions forcées. Et accuse l’Office fédéral des migrations (ODM) de mensonge.

La lettre est datée du 22 juillet 2011. Elle est adressée à l’ODM et envoyée en copie à Micheline Calmy-Rey, Simonetta Sommaruga et à différentes institutions policières. Le ton est vif. La FSFP rappelle être déjà intervenue, par missive, à propos du vol spécial du 17 novembre 2009 vers le Nigeria, «lequel avait abouti à un fiasco sur le plan de l’organisation et de la sécurité». «Seul le hasard a voulu que personne n’y soit sérieusement blessé», révèle la lettre, en parlant de policiers «qui ont dû mettre en jeu leur intégrité physique dans le cadre des instructions reçues». Elle n’évoque à aucun moment le sort des requérants et encore moins la mort, en mars 2010, d’un Nigérian sur le tarmac de Kloten. Suite à ce drame, l’ODM a suspendu provisoirement les vols spéciaux. Pour réfléchir aux moyens d’éviter de nouveaux incidents graves.

«Apparemment les leçons des erreurs commises n’ont pas su être tirées. Avec la reprise des rapatriements à destination du Nigeria le 7 juillet 2011, les problèmes, les chaos, les détériorations et la violence ont été à nouveau de la partie», déplore la FSFP. «Cette situation est inacceptable (le mot est en gras dans la lettre, ndlr). Il est intolérable d’exploiter la volonté inépuisable de nos membres d’intervenir pour la sécurité de notre pays et le maintien de l’ordre – ainsi que de mettre en danger les personnes et les biens – simplement parce que l’on n’ose pas prendre les décisions qui s’imposent», poursuit la lettre. «Nous considérons qu’il est scandaleux que certaines personnes, devant quitter notre pays, se permettent de commettre des destructions dans l’avion et prennent la liberté de cracher au visage des forces de l’ordre, de les insulter et de les agresser physiquement, en vue d’échapper à une expulsion exécutoire vers leur pays d’origine.»

La FSFP ne s’arrête pas là. Elle juge «encore pire» le fait que l’ODM ait annoncé que le vol du 7 juillet s’était déroulé de façon positive et sans le moindre incident. «Cela ne correspond pas à la vérité et vous le savez. Nous nous demandons qui peut se permettre de tirer un tel bilan et de débiter un tel mensonge aux médias et – en fin de compte – à la population. Nous sommes profondément déçus de voir, d’une part, que les mesures de sécurité que nous jugeons absolument indispensables n’ont pas été prises, et d’autre part que les comptes rendus sont apparemment intentionnellement erronés.»

En clair, la FSFP accuse l’ODM d’être responsable du dérapage intervenu lors du dernier vol vers le Nigeria. Mais n’exprime pas de regrets quant aux brutalités policières filmées – un agent a frappé un requérant avec son poing, l’autre avec sa matraque. En raison d’exigences posées par le Nigeria après des mois de palabres, les personnes à expulser étaient moins ligotées que d’habitude donc plus aptes à se débattre.

«Nous sommes convaincus que la décision de prendre des mesures coercitives appropriées à la situation doit exclusivement incomber à la police compétente – bien entendu toujours dans le cadre légal. Comme d’autres pays le pratiquent déjà, le recours à des médicaments pourrait également représenter une possibilité», conclut la FSFP. Contacté, son vice-président, Jean-Marc Widmer, précise: «Lors du vol de novembre 2009, les requérants avaient réussi, cinq minutes avant l’atterrissage à Lagos, à se libérer des liens en plastique, et sont devenus violents. Nous voulons notamment que des menottes métalliques soient utilisées et que les requérants soient remis menottés aux autorités locales.»

L’ODM doit faire face à des critiques grandissantes à propos des vols spéciaux. Si les policiers veulent neutraliser davantage les personnes renvoyées de force, des ONG dénoncent régulièrement le «caractère inhumain» de ces expulsions. Les requérants sont généralement ligotés, ficelés, avec un casque de boxeur sur la tête et sont affublés de langes. Des médecins sont aussi montés au créneau. Le cardiologue Michel Romanens, président de l’association VEMS (Ethique et Médecine), estime que les médecins doivent refuser de cautionner ces vols (LT du 25.03.2011). Notamment parce que les soins, en cas de problèmes, ne peuvent pas être administrés rapidement à quelqu’un d’entravé.

Comment réagit l’ODM à ces nouvelles critiques? Le porte-parole Michael Glauser, visiblement étonné que Le Temps en ait eu vent, se contente de dire que l’ODM fournira une réponse écrite à la FSFP «dans les jours qui viennent». Et ne juge pas utile d’en parler publiquement. Le recours à des médicaments évoqué par les policiers? Il renvoie à la loi sur l’usage de la contrainte qui dit clairement que les médicaments ne peuvent pas être utilisés «en lieu et place de moyens accessoires» et qu’ils ne peuvent être «prescrits, remis ou administrés que selon des indications médicales et par des personnes autorisées à le faire en vertu de la législation sur les médicaments».

L’ODM a-t-il tiré des leçons de l’incident du 7 juillet? Juge-t-il que le dérapage est dû au fait que les requérants étaient moins attachés? La réaction de Michael Glauser tombe, froidement: «La réponse à cette question ne relève pas de la compétence de l’ODM mais du Ministère public du canton de Zurich.»

Valérie de Graffenried dans le Temps

Renvois forcés: la police demande plus de moyens

La Fédération suisse des fonctionnaires de police (FSFP) tire à boulets rouges sur l'Office fédéral des migrations (ODM) suite au renvoi forcé, mouvementé, de requérants vers le Nigéria le 7 juillet. Les policiers s'inquiètent des risques pour leurs agents et fustigent la communication "mensongère" de l'ODM.

Lors de la montée dans l'avion le 7 juillet, un requérant s'était rebellé et les policiers l'avaient maîtrisé par la force. L'Office fédéral des migrations avait fait état "d'un vol sans incident" dans un communiqué de presse. "Cela ne correspond pas à la vérité et vous le savez", accuse la FSFP dans une lettre datée du 22 juillet, que l'ats s'est procurée, et adressée à l'ODM, comme le révèle "Le Temps" vendredi.

"Nous nous demandons qui peut se permettre de tirer un tel bilan et de débiter un tel mensonge aux médias et - en fin de compte - à la population", poursuit la missive. Celle-ci a été envoyée en copie notamment à la ministre de justice et police Simonetta Sommaruga et à sa collègue des affaires étrangères Micheline Calmy-Rey.

Menottes et médicaments

La FSFP s'émeut également des risques pour les policiers confrontés à des requérants récalcitrants. Elle exige un renforcement des moyens de contrainte pour y faire face. S'appuyant sur l'exemple d'autres pays, la FSFP évoque ainsi l'utilisation de médicaments comme une possible solution.

En mars 2010, un jeune Nigérian était décédé lors de son renvoi à Zurich. [Keystone] En mars 2010, un jeune Nigérian était décédé lors de son renvoi à Zurich. [Keystone] En outre, "nous souhaiterions la réintroduction des menottes métalliques ainsi que la remise des clés de celles-ci au personnel de police local", demandait déjà la FSFP en janvier 2010. Cette exigence avait été formulée dans un courrier adressé à la Conférence des directeurs cantonaux de justice et police (CCDJP) et envoyé en copie à l'ODM. Toutefois, "aucune attention n'a été accordée à ces propositions", dénoncent les policiers dans leur lettre du 22 juillet dernier.

Un danger "sous-estimé"

Contacté par l'ats, l'ODM indique préparer une réponse écrite à la FSFP, qui sera envoyée ces prochains jours. Le porte-parole Michael Glauser ne souhaite pas faire d'autres commentaires. "Le danger potentiel [...] lors de vols de rapatriement a été manifestement sous-estimé", soulignait la FSFP dans son courrier de janvier 2010 au CCDJP.

La lettre évoquait un autre vol mouvementé de novembre 2009 pour illustrer les risques encourus par les policiers. Certains requérants s'étaient libérés de leurs entraves peu avant l'atterrissage au Nigéria. "La violence avait alors éclaté sous forme d'agressions physiques et verbales, associées à de graves dommages matériels à l'avion utilisé". La FSFP estime que "seul le hasard a voulu que personne ne soit sérieusement blessé".

ATS et TSR

Fernand Melgar donne un visage aux sans-papiers de Frambois

Le cinéaste lausannois avait filmé les réfugiés du centre de Vallorbe dans «La Forteresse», Léopard d’or à Locarno en 2008. Son nouveau documentaire, présenté au festival, et les photographies de son chef-opérateur Denis Jutzeler dénoncent aujourd’hui le sort des requérants emprisonnés à Genève dans l’attente insoutenable d’un renvoi.

vol spécial photo

Au centre de détention administrative de Frambois, dans la banlieue genevoise, Ragib apprend que son renvoi au Kosovo est prévu pour le lendemain sur un vol de ligne. Cet ancien saisonnier, qui depuis vingt ans travaille, paie ses impôts et cotise aux assurances sociales en Suisse, où vivent aussi sa femme et ses trois enfants, est accompagné par la police à l’aéroport. Ayant refusé de monter dans l’avion, le voilà
reconduit au centre. La prochaine fois, il sera embarqué – menotté et ligoté – pour un «vol spécial».
C’est ainsi que débute le nouveau documentaire de Fernand Melgar, projeté cet après-midi en compétition au Festival de Locarno et sur les écrans romands dès le 21 septembre. D’emblée, on est frappé par l’absurdité de ce «faux départ», par cet inexorable drame en deux actes qu’auront à endurer la grande majorité des sans-papiers et des requérants d’asile déboutés incarcérés dans la perspective d’un retour imposé dans leur pays d’origine, contraints de partir – de gré ou de force.
Comme La Forteresse, tourné dans le centre pour réfugiés de Vallorbe et salué par un Léopard d’or en 2008 à Locarno, Vol spécial prend la forme d’un huis clos carcéral, d’une immersion (sans interviews ni commentaires) derrière les murs d’une drôle de prison, dont les détenus n’ont commis aucun crime. Les jours s’écoulent «tranquillement» à Frambois, où les détenus sont libres de sortir de leur cellule de 8 h à 21 h, où les relations entre eux et avec les gardiens sont empreintes de compréhension et de respect mutuels.

Rires et larmes
Evitant tout manichéisme, Fernand Melgar filme les uns et les autres avec la même attention, et décrit le quotidien du lieu avec un réel souci d’objectivité – qui ne signifie pas «neutralité»: son documentaire fait souvent sourire, mais il est aussi rythmé par le passage des avions, rappel glaçant d’un destin funeste. Et si le pire reste hors champ, puisque le cinéaste n’a pas obtenu le droit de filmer les embarquements forcés (lire l’interview parue dans notre édition du 23 juillet dernier), la menace diffuse d’un renvoi – qui peut se concrétiser à tout moment – est toujours présente à l’esprit. L’intrusion des images du téléjournal relatant la mort d’un Nigérian à l’aéroport de Zurich en mars 2010 n’en est que plus brutale et rend au drame sa dimension humaine.
Fernand Melgar ne cherche pas pour autant à tirer sur la corde sensible, il saisit les moments d’émotion quand ils surviennent sans en rajouter. Il a raison, car c’est moins le sort – évidemment révoltant – réservé aux sans-papiers que la posture ambiguë du personnel de Frambois qui éclaire le mieux les conséquences dramatiques des incessants durcissements des lois sur l’asile et les étrangers.
Nouant au fil des mois des rapports d’amitié avec ceux qu’ils devront un jour envoyer vers un avenir incertain, ces employés au profil plus social que policier sont dans une situation intenable, obligés d’appliquer une législation dont ils ne peuvent que constater le caractère profondément inique. Le malaise se résume parfois à un mot, lorsque l’un d’entre eux souligne qu’il préfère parler de «pensionnaires» plutôt que de «détenus», ou chaque fois que ces derniers sont invités à quitter la Suisse «en homme libre» (!) plutôt que dans les conditions humiliantes d’un vol spécial.
S’en aller dans la dignité, voilà en effet – à moins d’une improbable régularisation in extremis – le seul réconfort auquel peuvent prétendre ces «indésirables». Si dans La Forteresse l’espoir était encore permis, Vol spécial est ainsi dominé par un intolérable sentiment de fatalité, mais aussi d’injustice et d’indignation.

Mathieu Loewer dans le Courrier

 

«Je leur ai demandé de se confier librement à l’image»

En février 2010, Fernand Melgar me confie l’image du film documentaire Vol spécial. Avec l’équipe de tournage, je me suis immergé durant deux mois dans un univers carcéral singulier: Frambois. C’est un centre de détention administrative situé depuis 2004 dans la banlieue industrielle de Genève, à proximité de l’aéroport, à l’abri des regards et dans une relative indifférence. Parmi les vingt-huit pénitenciers cantonaux qui pratiquent, en plus du pénal, la détention administrative, Frambois est un cas à part. Les détenus sont tous des réfugiés demandeurs d’asile déboutés, en attente d’un retour forcé dans leur pays d’origine par «vol spécial».

Frambois est le premier établissement en Suisse entièrement dévolu aux mesures de contrainte. Se fondant sur le principe de non-cohabitation entre détenus pénaux et administratifs décrété par le Tribunal fédéral, les trois cantons concordataires (Vaud, Genève, Neuchâtel) ont essayé de créer un régime de détention plus souple, en favorisant une circulation à l’intérieur des murs.

Le lieu, pourtant, ne trompe pas. Ceint de grillages, de fils barbelés et truffé de caméras, il est sous haute surveillance. Cellules, portes fermées à clé, fenêtre barrées, lieux de fouille. Voilà à quoi ressemble l’univers de Frambois. A l’intérieur, dans les vingt-deux cellules individuelles et les espaces communs, les détenus, invisibles pour la société civile, attendent leur renvoi. Les personnes qui y sont incarcérées ont un statut étrange. Elles sont en prison, mais leur détention n’a aucun motif pénal. Elle est uniquement administrative. La loi fédérale sur les mesures de contrainte permet d’emprisonner une étrangère ou un étranger en situation irrégulière dès l’âge de 15 ans, pour une durée allant jusqu’à vingt-quatre mois, dans l’attente de son renvoi de Suisse. En vertu de cette loi, n’importe quel étranger sans statut légal, soit environ deux cent mille personnes, peut être incarcéré à tout moment sans avoir commis d’autre infraction. La détention administrative n’a jamais pour but de punir, mais uniquement de garantir un renvoi. Si elle a un statut de détention pénale, elle est par certains aspects plus dure.

Lors d’une condamnation pénale, chaque jour est un pas vers la liberté. Ce n’est pas le cas ici. Les détenus n’ont aucune perspective, ni remise de peine, ni libération conditionnelle. Dans bien des cas, l’incarcération a de graves conséquences: dépression, automutilation, grève de la faim, tentative de suicide. Ici, il n’y a pas de «libération». Les deux uniques possibilités de sortir sont, selon la curieuse terminologie en vigueur, soit l’expulsion par «vol spécial», soit la «mise au trottoir». Au moment de l’expulsion par vol spécial, le stress, la peur et le désespoir du détenu engendrent parfois des mesures violentes: bâillonnement, piqûre, immobilisation forcée. Des violences policières avec coups et blessures ont été constatées. Deux hommes sont déjà morts en Suisse.

Exceptionnellement, au terme de longs mois d’incarcération, certains détenus ne peuvent être expulsés, faute d’accord de réadmission avec leur pays d’origine. Ils sont «mis au trottoir», terme administratif pour désigner une sorte d’abandon. Avec comme unique consigne de quitter la Suisse dans les quarante-huit heures. Une fois dehors, ne sachant pas où aller, sans argent, bien peu partiront de Suisse. Sans statut légal, ils n’ont aucune chance de s’en sortir. Alors que certains tenteront de survivre tant bien que mal, d’autres tomberont inévitablement dans la délinquance. A chaque instant, ils peuvent à nouveau être arrêtés et, comble de l’absurde, remis en mesure de contrainte.

Au cours de ces deux mois passés à filmer le quotidien des détenus, j’ai noué des liens avec eux. Ils me confient leur peur du retour. Leur biographie est unique. Ils ont ici en Suisse des amis, une famille, des projets de vie. Mais ils appréhendent aussi tous ce moment sans date, sans aucun avertissement ni signe précurseur, où ils se verront signifier que le vol spécial est là, maintenant, tout de suite. Alors, sans se dire au revoir, ils disparaîtront. J’ai ressenti tout au long du tournage une profonde injustice, une honte à l’égard du traitement que ces hommes subissent dans un silence terrible et dans une indifférence générale. Une honte mais aussi la conscience d’une tâche: donner à voir ce lieu et ces visages, comprendre ce qu’implique un enfermement alors qu’aucun délit n’a été commis; et cela sans la possibilité pour la personne incarcérée de connaître la durée de sa détention.

En fin de tournage, je propose à ceux qui me l’autorisent de les photographier. Il m’était revenu en mémoire, pour avoir filmé dans les prisons de pays en conflit, au Caucase, en ex-Yougoslavie, au Rwanda, que les détenus nous remerciaient de leur accorder, en filmant, notre attention, de leur donner une identité et presque une garantie de vie: ils ont un corps, des visages, ils existent. Je voulais prendre le temps de leur dire au revoir et leur témoigner un regard personnel, silencieux, au-delà des mots. Garder une trace de leur peur, de leur colère, de leur dignité et de leur espoir, malgré tout. Sans artifice, dans l’éclairage naturel, je leur ai demandé de se confier librement à l’image. Une fois de retour chez eux, ils garderont en mémoire leur incarcération, la honte qu’elle représente. Ils se souviendront de leur séjour en détention comme une injustice ineffaçable.

Ces visages nous fixent, non pas pour nous juger, mais pour exprimer ce qui se vit silencieusement, dans les vingt-huit prisons administratives en Suisse.

Denis Jutzeler, chef-opérateur sur Vol Spécial, dans le Courrier

Grèce: des barbelés contre l'immigration

Le ministère de la Protection du citoyen a annoncé cet après-midi le lancement de la procédure pour la construction d'une clôture en fil barbelé sur la frontière gréco-turque pour réduire le flux migratoire, un projet sous discussion depuis plusieurs mois. 

"Co-financé par le fonds européen protection des frontières de l'Union européenne (UE)", l'ouvrage coûtera 5,498 millions d'euros et un appel sera lancé d'ici fin septembre, a indiqué à l'AFP Efstathia Latifi, une ingénieur du département technique du ministère.

La clôture, "comprendra deux barrières parallèles en fil barbelé longues de 10,3 km chacune et d'une hauteur de 2,5 à 3 mètres et sera construite sur la ligne frontalière près de Kastanies", le passage le plus fréquenté par les migrants pour traverser le fleuve Evros, qui sépare la Grèce et la Turquie, a indiqué le communiqué ministériel. La frontière terrestre gréco-turque, qui court sur quelque 150 km, est devenue le principal point de passage des sans-papiers dans l'UE avec près de la moitié des entrées illégales détectées.

La Turquie ne s'est pas opposée au projet mais la Commission européenne avait initialement émis des réserves, quand Athènes début janvier avait annoncé la construction d'un mur pour empêcher le flux des sans papiers. "Les murs ou les grillages sont des mesures à court terme qui ne permettent pas de s'attaquer de manière structurelle à la question de l'immigration clandestine", avait alors déclaré Michele Cercone, porte-parole de la commissaire en charge de la sécurité Cecilia Malmström.

Le quotidien grec Ta Néa a révélé il y a une semaine que la Grèce était en train de construire une tranchée de 120 km près d'Evros pour protéger la région des crues récurrentes et empêcher l'immigration clandestine. Cette tranchée, décidée après une étude de l'Université de Salonique, est un ouvrage "d'irrigation et d'assèchement" à l'intérieur du pays, qui pourrait complémentairement servir de dissuasion aux sans-papiers, a indiqué une source ayant requis l'anonymat du ministère de la Défense, chargé du projet.

AFP