ASILE - Philippe Leuba vante la politique «humaine et responsable» du canton de Vaud en la matière. Mais on n'en serait pas là, si tous avaient été aussi intransigeants que lui.
«C'est autant de gens qui retrouvent le sourire, le goût à la vie, et qui ne vivent plus dans la peur.» Le ministre vaudois de l'Asile Philippe Leuba est ravi de l'octroi de permis B par l'administration fédérale à 469 requérants déboutés vivant dans le canton. Il l'a dit hier au moment de faire, comme chaque six mois, le point sur ce dossier. C'est à Vallorbe, aux côtés du syndic de la localité Laurent Francfort, que le conseiller d'Etat libéral tenait conférence de presse. Car il s'agissait aussi d'annoncer les mesures prises pour améliorer la cohabitation entre la population vallorbière et les requérants hébergés au centre d'enregistrement. La population du centre sera plafonnée à 180 personnes et elle se verra offrir de nouvelles possibilités d'occupation.
Vaud en tête
Il ressort des chiffres présentés hier que le canton de Vaud est celui qui a le plus utilisé la marge de manoeuvre ménagée par la nouvelle loi sur l'asile. A lui seul, il est à l'origine de près de 43% des demandes de régularisation humanitaire déposées dans tout le pays. Et les résultats sont concluants: sur 598 dossiers présentés à l'Office fédéral des migrations, seuls 15 ont été rejetés à ce jour, alors que 114 sont encore en cours d'instruction. Le Service vaudois de la population a toutefois refusé de transmettre à Berne 155 demandes, l'intégration des candidats étant jugée insuffisante.
Philippe Leuba s'est félicité hier de la «politique humaine» menée par le Conseil d'Etat. Mais cette politique est aussi «responsable», car désormais «le canton de Vaud applique les décisions fédérales», a souligné le ministre. Bref, «il n'y a plus d'exception vaudoise».
Esprit de résistance
C'est un peu vite dit. Car si le conseiller d'Etat libéral peut se targuer aujourd'hui de l'aspect «humain» de la politique d'asile vaudoise, c'est d'abord grâce au formidable mouvement de résistance né dans le canton à partir de la seconde moitié des années 1990. Donc bien malgré lui, si l'on se souvient de la ligne légaliste qu'il prônait en tant que député au Grand Conseil. Sans les actes de désobéissance civile accomplis avec l'ouverture de refuges pour les requérants menacés de renvoi, sans le refus des autorités vaudoises – sous l'ère du du popiste Josef Zisyadis et du libéral Claude Ruey – d'appliquer aveuglément les diktats fédéraux, sans la vaste mobilisation en faveur des «523» requérants déboutés, nul doute que la possibilité pour les cantons d'obtenir des régularisations humanitaires n'existerait tout simplement pas.
La brèche ouverte par la nouvelle loi sur l'asile ne sort en effet pas de nulle part. Cette disposition, qui se trouve au milieu d'un arsenal de mesures de durcissement, est quasiment un copier-coller de feu la «circulaire Metzler». Un document sans véritable statut juridique que l'ancienne ministre démocrate-chrétienne avait édicté en décembre 2001. Il s'agissait alors de régler le sort de requérants originaires d'ex-Yougoslavie qui n'avaient pas obtenu le statut de réfugiés, mais séjournaient en Suisse de longue date. Certains cantons – Vaud le plus frontalement – rechignaient à les renvoyer.
L'«exception» perdure
«L'exception vaudoise» n'est donc pas reléguée aux oubliettes; elle s'est plutôt institutionnalisée, avec l'inscription dans la loi fédérale d'une marge de manoeuvre cantonale, aussi modeste soit-elle. La même politique que Philippe Leuba défend aujourd'hui fièrement aurait été, il y a à peine une décennie, illégale à ses yeux.
Lors des débats parlementaires sur la crise des «523», le libéral s'était en effet illustré par sa conception étroite de l'application des lois et du fédéralisme. Pour Philippe Leuba, il n'y avait plus rien à tenter pour les requérants déboutés, car le canton n'avait aucune marge de manoeuvre. Et pourtant, la plupart des «523» ont finalement pu être régularisés à l'issue de nouvelles négociations avec les autorités fédérales – une démarche à laquelle Philippe Leuba s'était rallié in extremis.
Le droit n'est pas une matière inerte qu'il suffit d'appliquer machinalement pour avoir le sentiment du devoir accompli. On le voit avec le dossier de l'asile dans le canton de Vaud. C'est parfois en mettant à l'épreuve les limites de la légalité que l'on parvient à faire avancer le droit vers plus d'humanité.