jeudi 5 février 2009

Racisme: la conférence de Genève minée en son coeur

Le siège vide d'Israël, en 2001 déjà.

Le siège vide d'Israël, en 2001 déjà. (Keystone)

Prévue le 20 avril prochain à Genève, le suivi de la Conférence sur le racisme de Durban se heurte à de nombreux blocages. La moitié des pays européens menacent de se retirer si les pays islamiques imposent le concept de diffamation de religions.

Genève va-t-elle connaître les mêmes dérapages que la ville sud-africaine de Durban en 2001? Cette année là, des ONG chauffées à blanc avaient hurlé des slogans racistes et antisémites, en marge du Sommet de l'ONU sur le racisme. Des bouffées de haine qui avaient poussé les Etats-Unis et Israël à quitter la table des négociations.

Dans moins de trois mois, du 20 au 24 avril, doit se tenir à Genève la conférence de suivi du sommet de Durban. Une rencontre précédée par une série de réunions préparatoires comme celle qui s'est tenue mi-janvier, sous la présidence du diplomate russe Yuri Boychenko.

Points de désaccords

L'objectif est de se mettre d'accord sur le projet de déclaration qui doit être adopté lors de la conférence de suivi en avril. Réduit de 130 à 38 pages lors des précédentes réunions préparatoires, le document comporte encore de nombreux points de désaccords, dont le nouveau concept de diffamation des religions et la question du Moyen Orient.

Raison pour laquelle le Canada et Israël ont déjà annoncé qu'ils boycotteraient le sommet de Genève. Les États-Unis et l'Australie ne se sont pas encore prononcés, mais ils ne participent pas officiellement aux débats, bien que deux diplomates américains suivent assidument les travaux préparatoires.

La moitié des pays européens menacent, eux, de quitter les négociations si les pays islamiques persistent à vouloir imposer le concept de diffamation des religions ou à focaliser une partie importante du document final sur le Proche-Orient avec une vision «déséquilibrée qui condamne exclusivement Israël».

Diffamation des religions contre liberté d'expression

Quant à la diffamation des religions, les points de discorde restent nombreux. Pour de nombreux pays musulmans, l'islamophobie est en train de prendre le relais de l'antisémitisme. Mais, sous couvert d'anonymat, un diplomate européen avertit: «La diffamation des religions doit être effacée du document, c'est une ligne rouge à ne pas franchir, car cette notion n'est pas compatible avec un discours sur les droits de l'homme».

Pour l'Union européenne (UE), la liberté d'expression doit en effet sortir renforcée de la réunion de Genève, car «elle est un instrument pour lutter contre le racisme».

En septembre dernier, les pays occidentaux avaient d'ailleurs obtenu, lors d'une séance du Conseil des droits de l'homme, que soit refusée la création d'une nouvelle norme sur la diffamation des religions, cela au nom de la liberté d'expression.

Mais la bataille n'est pas encore gagnée. Pour preuve, Doudou Diène - l'ancien rapporteur spécial de l'ONU sur le racisme - affirmait l'année dernière qu'«il faudrait aussi s'attaquer aux nouvelles formes de discriminations, dont l'islamophobie, qui en est une manifestation particulièrement grave, comme la montée de l'antisémitisme ou la christianophobie», à l'occasion de la conférence de suivi.

Conflit plus politique que racial

Concernant le Proche-Orient, l'UE est très réservée sur le fait de se «focaliser sur une région du monde», relevant que le conflit est plus d'ordre politique que racial.

Pour Muriel Berset, diplomate suisse en charge des droits de l'homme, la déclaration de Durban n'aurait pas dû mentionner cette région particulière. Mais à présent que ce point y figure, il s'agit de voir comment le formuler. Et de rappeler que le but de la conférence de Genève est d'examiner la mise en œuvre de la déclaration finale et du plan d'action adoptés le 9 septembre 2001, non d'en modifier les paramètres.

«Il ne faut pas réduire les débats à ces deux seuls points, prévient aussi Muriel Berset. Il y a d'autres problèmes essentiels, comme l'esclavage, la question des réparations, les discriminations multiples – malades ou porteurs du sida, femmes, handicapés.»

Autre point de litige: la question de la liberté sexuelle. Doit-elle figurer dans le texte? Les pays occidentaux et latino-américains y sont favorables, mais les Etats musulmans s'y opposent: «Pour vous, être homosexuel est un droit, pour nous c'est un délit», a résumé un diplomate musulman en s'adressant à un collègue occidental lors de la réunion préparatoire de janvier.

Manifestations anti-israéliennes à Genève?

La question des migrants, très souvent victimes de discrimination raciale, constitue un autre sujet de désaccord. L'UE est très réticente à condamner la «criminalisation» de l'immigration illégale, alors que l'enjeu est capital pour l'Amérique latine et les Caraïbes. Pour être en harmonie avec les dispositions de plus en plus restrictives sur la présence d'étrangers sur son territoire, l'UE voudrait réduire la totalité de ces paragraphes à une formulation générale de quelques lignes non contraignantes.

Et ça n'est pas tout. L'UE ne veut pas entendre parler de réparations financières pour son passé colonial ou esclavagiste, ni du profilage jugé raciste induit par la lutte contre le terrorisme. Pour l'UE, les victimes de racisme doivent toutes être traitées sur un pied d'égalité: «Aucune hiérarchisation des victimes n'est acceptable pour nous», indique un diplomate européen, en faisant allusion à la volonté d'introduire une référence à l'islamophobie dans le document final.

Reste à savoir si Genève sera le théâtre de manifestations anti-israéliennes, comme à Durban. Pour Muriel Berset, une place importante doit être accordée à la société civile. «A Genève, les ONG sont associées au processus, contrairement à Durban où elles ont tenu leur propre conférence en marge du sommet officiel», relève la diplomate helvétique.

«La Suisse travaille avec Genève pour accueillir au mieux les ONG, en leur facilitant les visas, l'hébergement et la nourriture à des prix accessibles. Il y aura aussi un important dispositif de sécurité, car nous ne voulons pas assister à des débordements racistes ou antisémites tels qu'on a pu le voir à Durban», conclut Muriel Berset

Polémique en ville de Lugano sur l'hébergement des réfugiés

LE Temps

Tessin jeudi 5 février 2009

Asile: Lugano fait plier le canton

Par Barbara Knopf

Le maire de Lugano a obtenu le départ d’un groupe de requérants érythréens hébergés au centre-ville. Polémique

«Si les requérants logés à l’hôtel garni San Carlo sur la Via Nassa ne quittent pas les lieux dans les 24 heures, nous les ferons partir nous-mêmes!» C’était l’ultimatum, lancé à la fin de la semaine dernière, par le maire de Lugano, Giorgio Giudici (PRD), au gouvernement tessinois, plus précisément à la conseillère d’Etat socialiste Patrizia Pesenti, responsable des Affaires sociales.

Le Tsar, ou le Roi comme on surnomme Giorgio Giudici, n’a pas eu besoin de passer aux actes. Samedi matin, les sept réfugiés concernés, six femmes et un homme venus d’Erythrée, refaisaient leurs valises pour se rendre dans une pension de Bellinzone. Du coup, le calme habituel revenait à la Via Nassa, la «Bahnhofstrasse» de Lugano, où s’alignent boutiques de luxe et bijouteries et où les prostituées russes de luxe font leurs emplettes.

Le torchon brûle

Sur la scène politique, en revanche, le tempête ne faisait que commencer. La Lega et l’UDC rivalisent de critiques contre la politique d’asile du canton, tandis que le Parti socialiste stigmatise l’égoïsme de la Ville de Lugano. Depuis, les déclarations de guerre ont fait place aux tractations, dont l’issue est encore incertaine. La municipalité réclame le droit de donner son avis sur les lieux d’hébergement des requérants et refuse tout placement au centre-ville. Les autorités cantonales estiment qu’elles sont seules compétentes pour décider et font valoir l’état d’urgence qui prévaut au Tessin également. Le bras de fer qui a opposé le canton du Tessin au «demi-canton de Lugano» – selon l’expression chère à Giuliano Bignasca, le chef de la Lega – a au moins eu le mérite de percer l’abcès et de pousser les parties à la table des négociations.

Le problème du manque de places d’accueil pour les requérants est certes récent, mais le torchon brûle depuis longtemps en matière d’asile entre Ville et canton. Le ballet des trafiquants de drogue dans le quartier résidentiel de Besso, sur les hauts de Lugano, à l’entrée nord de la ville, a attisé le feu. La population est exaspérée. L’association «Besso pulita» (Besso propre), qui a soufflé sa première bougie ces derniers jours, en a profité pour réclamer un nouveau tour de vis. Les vendeurs sont pour la plupart des Africains, les acheteurs souvent des riches Italiens du Nord, dont les voitures de luxe ne passent pas inaperçues dans le quartier.

«Des méthodes fascistes»

Or justement, le canton loge à Besso plusieurs requérants dans des appartements et un petit hôtel. Les trafiquants de drogue viennent d’autres communes ou d’autres cantons, affirme le gouvernement. Faux, rétorque la Lega, les dernières razzias de police ont montré que certains habitaient Lugano. Plus circonspecte, la municipalité explique que les vendeurs de drogue sont hébergés par les demandeurs d’asile logés dans le quartier.

Quoi qu’il en soit, les sept Erythréens de la Via Nassa n’ont rien à voir avec le trafic de drogue du quartier Besso. Ils n’ont pas donné non plus lieu à des réclamations. Le gérant a loué au contraire leur comportement discret. Si discret qu’ils sont passés inaperçus pendant deux mois, ironise le Parti socialiste, en dénonçant le «diktat grotesque et les méthodes fascistes» du maire de Lugano.

Giorgio Giudici, réputé pour «tonner» plus que parler, semble avoir voulu donner un grand coup sur la table pour rassurer la population et démontrer son omnipotence. En attendant, le canton planche sur l’aménagement d’abris de la protection civile pour accueillir les requérants que la Confédération lui assigne. Gare à lui si leur emplacement ne plaît pas au Roi de Lugano.