jeudi 27 mai 2010

Amnesty épingle la Suisse raciste

L’ONG britannique s’inquiète de la montée d’un discours xénophobe dans la Confédération. Et juge que la législation antidiscrimination n’est pas assez forte.Dans son dernier rapport annuel, publié aujourd’hui, Amnesty International s’inquiète de la montée du racisme et de la xénophobie dans le discours public en Suisse. Lors de la campagne pour les votations du 29 novembre, «la minorité musulmane a été stigmatisée par la propagande politique» des opposants aux minarets, écrit l’ONG.

L’ONG britannique s’inquiète de la montée d’un discours xénophobe dans la Confédération. Et juge que la législation antidiscrimination n’est pas assez forte.
Dans son dernier rapport annuel, publié aujourd’hui, Amnesty International s’inquiète de la montée du racisme et de la xénophobie dans le discours public en Suisse. Lors de la campagne pour les votations du 29 novembre, «la minorité musulmane a été stigmatisée par la propagande politique» des opposants aux minarets, écrit l’ONG.

Elle rappelle que la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) du Conseil de l’Europe avait dénoncé une initiative «violant les droits de l’homme». Plus généralement, ajoute Amnesty, l’ECRI mettait en évidence une «montée en puissance du discours raciste et xénophobe», en particulier de la part de l’UDC.

Le rapport souligne également que des brutalités policières ont été signalées, en particulier contre des requérants d’asile et des migrants. Le comité des droits de l’homme de l’ONU a réclamé en octobre la création de mécanismes indépendants pour enquêter sur les plaintes déposées contre la police. Dans ce contexte, Amnesty estime que l’article du Code pénal interdisant la discrimination raciale n’a qu’une «efficacité limitée». Elle demande un renforcement de l’arsenal juridique avec l’adoption d’une véritable loi contre les discriminations.

Vie difficile de requérants d’asile déboutés
L’organisation cite également les conclusions de plusieurs comités d’experts européens ou de l’ONU qui s’inquiètent des conditions de vie difficiles des requérants d’asile déboutés ou de l’insuffisance de services d’aide pour les victimes de la traite des êtres humains. La Suisse a cependant pris «toute une gamme de mesures» visant à lutter contre la violence à l’égard des femmes et la traite des êtres humains. Mais les services d’aide aux victimes n’existent que dans certains cantons et la loi sur la protection des victimes n’est pas appliquée de manière systématique.

De même, la Confédération a ratifié le protocole facultatif à la Convention de l’ONU contre la torture et instauré une commission de prévention. L’organisation de défense des droits humains se réjouit aussi de la décision du Conseil fédéral d’accorder une protection humanitaire à des détenus de Guantánamo.

ATS / 24 Heures

“La Suisse cherche à se rendre indésirable au détriment des personnes persécutées”

Amnesty International fait part de son indignation suite à la révision de la Loi sur l’asile telle que présentée le 26 mai 2010 par la conseillère fédérale Eveline Widmer-Schlumpf. Des durcissements inacceptables sont proposés, comme le refus de l’asile aux déserteurs (hommes et femmes), la suppression de la demande d’asile dans les ambassades suisses ou la réduction du délai de recours à 15 jours. Par contre, Amnesty International se réjouit de la suppression de la procédure de non-entrée en matière, qu’elle avait toujours dénoncée comme contraire à la Convention sur les réfugiés.

Amnesty International s’indigne de la suppression de la procédure dans les ambassades, une suppression qui avait pourtant récolté une très large opposition lors de la procédure de consultation. «Il est incompréhensible que le Conseil fédéral maintienne la suppression de la procédure d’ambassade. Cela aurait pour conséquence qu’à l’avenir, des personnes persécutées devraient entreprendre un long et souvent périlleux voyage, sans pouvoir déposer une demande d’asile auprès d’une ambassade suisse dans la région en crise», relève Denise Graf, coordinatrice asile auprès de la Section suisse d’Amnesty International. «Amnesty International s’est impliquée à plusieurs reprises en faveur de personnes menacées en Turquie et en Colombie qui ont pu fuir le pays grâce à l’aide de l’ambassade suisse.»
La modification de la notion de réfugié à l’égard des déserteurs est particulièrement problématique car elle porte atteinte à la condition juridique des requérants d’asile. La réduction du délai de recours de 30 à 15 jours empêcherait les personnes persécutées de se procurer des preuves. Quant au conseil en matière de procédure et d’évaluation des chances, tel que proposé par le Conseil fédéral, il est insuffisant. Amnesty International exige une véritable aide juridique financée par l’Etat, telle qu’elle existe dans d’autres pays européens. «Les nombreux durcissements prévus dans la révision de la loi portent atteinte à la tradition humanitaire de la Suisse. Le Conseil fédéral cherche à rendre la Suisse indésirable, au détriment des personnes persécutées», ajoute Denise Graf.

Communiqué de presse d’Amnesty International publié le 26 mai 2010, Berne / Lausanne.

Les femmes s’affrontent sur la burqa

A l’invitation du «Tages-Anzeiger», six femmes ont débattu mardi soir à Zurich de l’interdiction de la burqa, ou du niqab, pour employer le terme correct. Même parmi celles qui s’opposent à une interdiction, la réprobation, voire l’agressivité envers la seule femme à porter le voile intégral lors de la discussion étaient palpables. Un article de Catherine Cossy dans le Temps.

débat burqa TA

La réprobation voire l’agressivité étaient palpables. Sur le podium, six femmes alémaniques s’engageant pour les droits des femmes avaient été invitées mardi soir à Zurich, par le Tages-Anzeiger, à débattre d’une interdiction de la burqa, ou niqab, selon le terme exact. Nora Illi, la déléguée aux questions féminines du Conseil central islamique suisse, drapée dans un voile intégral noir qui ne laissait voir que la fente de ses yeux, polarisait par sa seule présence. S’engageant à ses côtés contre une interdiction, Jacqueline Fehr, conseillère nationale et vice-présidente du Parti socialiste suisse, a commencé par l’attaquer de front: «Cette question est un faux débat qui nous coûte de l’énergie que nous ferions mieux d’investir pour améliorer l’intégration, notamment à l’école. Cela ne concerne pas Mme Illi, qui peut même se permettre de travailler depuis la maison. Avec le zèle de convertie qu’elle démontre, et sa manière de se couper des autres, je la considère plutôt comme membre d’une secte.»

«Vous avez déjà fait des progrès, je vois vos mains, contrairement au débat télévisé auquel vous avez participé la semaine dernière», a lancé à Nora Illi Rosmarie Zapfl, ancienne conseillère nationale PDC et actuelle présidente d’Alliance F, regroupant les associations féminines de Suisse. Elle argumente en faveur d’une interdiction: «Dans toutes les religions, les femmes subissent des discriminations. Le port de la burqa est un retour en arrière. Rien dans le Coran ne prescrit le voile. Mme Illi ne peut pas dire qu’elle vit le seul vrai islam.»

Saïda Keller-Messahli, présidente du Forum pour un islam progressiste, renchérit: «Cela me fait mal quand je vois ce que Mme Illi fait avec ma religion. Il faut interdire le niqab avant que nous ayons une situation comme en France. Derrière cette façon de cacher, et donc de nier, son corps, je vois un refus de s’exposer au monde extérieur, c’est une attitude régressive.»

Troisième partisane de l’interdiction, la psychologue thurgovienne et auteure de livres à succès sur les rapports entre femmes et hommes Julia Onken, qui s’était déjà engagée pour l’interdiction des minarets, s’est sentie obligée de prendre la défense des hommes: «Ces femmes emballées d’un voile noir suggèrent que les hommes ne sont que des bêtes dominées par la testostérone. Je dis pourtant que si l’on peut apprendre à un berger allemand à ne pas mordre dans la saucisse qui est devant son nez, on peut aussi apprendre aux hommes à se maîtriser.»

Une salve d’attaques que Nora Illi ne pouvait laisser passer: «L’islam n’est pas une secte. Je n’ai pas la prétention de représenter tout l’islam, mais une facette de cette religion. Je trouve que le niqab est mieux pour moi, mais je n’ai jamais dit que toutes les musulmanes doivent le porter. Une interdiction aurait pour conséquence que les femmes portant le niqab resteraient cloîtrées chez elles.» Seule à ne pas se sentir agressée par la présence de Nora Illi en monolithe noir, Stella Jegher, membre de la direction d’Amnesty International Suisse, a rappelé que la liberté des femmes ne pouvait pas être garantie par des interdictions. «On instrumentalise les droits des femmes pour discriminer une religion. Il est tragique que l’on voie dans l’interdiction du niqab un signe contre l’oppression, alors que c’en est un contre l’islam.»

Les inquiétudes face à l’islam n’en demeurent pas moins fortes. Les circonvolutions de Jacqueline Fehr en témoignent: «Je suis contre le port de la burqa, un visage caché dans l’espace public me gêne. Il est pour moi hors de question qu’une femme portant un voile intégral travaille dans un hôpital, une banque ou au supermarché. Mais je suis opposée à ce que l’on légifère pour le moment. Une interdiction ne ferait qu’aggraver le problème.» Une argumentation qui, pour Rosmarie Zapfl, ne tient pas: «Les parents qui demandent des dispenses de cours de natation pour leurs filles sont toujours plus nombreux, nous ne pouvons pas être tolérants. Il faut donner un signe fort. On a dit la même chose pour les mariages forcés, et maintenant, il y a un projet de loi en consultation.»

La discussion a bien montré que les positions, à part celles de Nora Illi, ne sont pas si éloignées. La centaine de femmes qui portent le niqab en Suisse mettent les intervenantes devant un casse-tête. Pour les tenantes de l’interdiction, il faut enrayer le mouvement le plus vite possible. Les autres pensent que les priorités sont ailleurs. Elles se retrouvent sur un point: si la question était soumise au verdict populaire, l’interdiction l’emporterait en tous les cas.

Islam et démocratie, le débat qui n’a pas eu lieu

Le conseiller national Andreas Gross publie une série d’études sur le vote anti-minarets. Un article d’Yves Petignat dans le Temps.

Six mois après l’acceptation de l’initiative anti-minarets, le débat autour de l’islam radical, de la burqa ou voile intégral, ou de la compatibilité du Coran avec la démocratie est encore bien plus intense qu’avant la votation. Mais il reste envahi par les émotions et les clichés; surmédiatisé, le Conseil central islamique de Nicolas Blancho fait déraper tous les raisonnements.

Dès lors, le petit ouvrage sorti des Editions Le Doubs, Von der Provokation zum Irrtum, sous la direction du conseiller national Andreas Gross, est une première contribution au rétablissement d’un débat basé sur les faits et la raison. L’ouvrage sera d’ailleurs traduit en français sous le titre Entre confusion et provocation. Il paraîtra dans quelques semaines avec les actes du colloque qui setiendra samedi 29 mai à Soleure, autour du résultat de l’initiative anti-minarets, du respect de la liberté religieuse et des droits de l’homme.

Comment est-on arrivé à un résultat où la démocratie directe s’oppose à un autre droit fondamental, celui des droits de l’homme et de la liberté religieuse, s’interrogent les auteurs de la quarantaine de contributions. Il y a la défaillance des politiques et des médias, incapables de prendre conscience du caractère particulier de cette initiative – sur fond de grave crise économique et identitaire en Suisse –, et de mener un vrai débat sur nos valeurs démocratiques. Les éditeurs notent d’ailleurs que ce fut la première initiative, sans doute, à susciter bien plus d’échanges et de controverses après qu’avant la votation.

On lira aussi avec beaucoup d’intérêt le texte d’un étudiant en pédagogie, Simon Landwehr, qui a décortiqué 183 lettres de lecteurs avant le vote. Les inquiétudes diffuses face à l’islam et à ses valeurs se traduisent par des expressions violentes, à la hauteur des émotions ressenties: «Guerre, combat, avancée de l’islam, échec de notre culture politique, démonstration de force.»

Mais on peut aussi apprendre d’une telle expérience douloureuse et passer d’une culture de la confrontation à celle de l’intégration, conclut ce petit ouvrage.

* Von der Provokation zum Irrtum, Editions Le Doubs, 170 pages. A paraître prochainement en français sous le titre «Débats sur les minarets, entre provocation et confusion».

Coup d’accélérateur dans le domaine de l’asile

Réduction des délais de recours ou suppression des demandes dans les ambassades: Eveline Widmer-Schlumpf veut des décisions plus rapides et lutter contre les abus. Ses propositions ne soulèvent pas l’enthousiasme. Un article de Valérie de Graffenried dans le Temps.

Accélérer les procédures et renvoyer plus rapidement les requérants d’asile qui ne méritent pas la protection de la Suisse: voilà ce que vise Eveline Widmer-Schlumpf en proposant de nouvelles modifications des lois sur l’asile et sur les étrangers. Ses propositions, mises en consultation jusqu’à la mi-mars, avaient reçu un accueil plutôt froid (LT du 23.03.2010). Mais, malgré les critiques de la gauche et de la droite, la ministre maintient le cap et le Conseil fédéral les transmet telles quelles au parlement. Ce qui promet de vives empoignades.

Pourquoi de nouveaux changements alors que les lois sont entrées en vigueur en janvier 2008? Il y a urgence, insiste la ministre. Le nombre des demandes d’asile est passé de 10 844 en 2007 à 16 005 en 2009, une hausse qui est principalement due aux Nigérians, Erythréens, Somaliens, Irakiens et Sri Lankais. Voici les principaux changements prônés:

Non-entrées en matière et délais raccourcis

Eveline Widmer-Schlumpf veut faire en sorte que la plupart des décisions soient prises dans les cinq centres d’enregistrement, avant que les requérants soient répartis dans les cantons. Mais elle admet que le système des «NEM» ne s’avère pas dissuasif et fonctionne mal. Car certains requérants ne peuvent pas être renvoyés dans leur pays. Privés d’aide sociale et inexpulsables, ils sont livrés à eux-mêmes et risquent de succomber aux tentations de la criminalité pour survivre. Par souci d’efficacité, le Conseil fédéral propose de ne débouter d’office que les requérants qui ont déjà déposé une demande dans un Etat de l’espace Schengen et ceux sans motifs d’asile pertinents, qui viennent d’un pays jugé «sûr» où ils peuvent être renvoyés sans difficulté.

Les autres auront droit à une procédure d’asile complète, mais raccourcie. Le délai de recours pour tous les requérants déboutés passera de 30 à 15 jours – la Belgique l’a fixé à 15, le Royaume-Uni à 10 –, selon le projet du Conseil fédéral. Une décision qui heurte les socialistes et les Verts. Ils craignent que le délai raccourci n’aboutisse à des décisions arbitraires. Car, souvent, des preuves doivent être récoltées à l’étranger, ce qui prend du temps. Pour l’UDC, Eveline Widmer-Schlumpf est au contraire encore trop généreuse. Mercredi, le parti a d’ailleurs sévèrement égratigné la ministre dans un communiqué. Il qualifie la réforme d’«inutile contre l’afflux des requérants d’asile nigérians qu’il faudrait enfin pouvoir renvoyer dans leur pays».

 

Si le PLR est sur le fond favorable à l’esprit de la réforme, il avertit: seule une hausse du personnel des administrations concernées et de profonds changements organisationnels peuvent apporter l’accélération souhaitée.

Œuvres d’entraide écartées des auditions

La ministre propose de supprimer la présence des représentants d’œuvres d’entraide lors des auditions des requérants. Pour les remplacer par un «conseil en matière de procédure et d’évaluation des chances», aux contours encore flous. Son financement serait assuré par la Confédération. L’UDC ne veut pas en entendre parler. Selon le parti, cela ne ferait que «saboter» l’efficacité de la réduction du délai de recours. «L’Etat encourage ainsi la prolongation des procédures, si bien que les prétendus efforts visant à accélérer le traitement des cas en justice sont de purs exercices alibis pour la galerie», dénonce le parti.

Motivations par écrit

Autre mesure proposée: l’introduction d’une procédure rapide, par écrit, pour les auteurs de demandes multiples, «qui retardent la procédure de manière abusive». Eveline Widmer-Schlumpf vise les personnes ayant déjà essuyé un ­refus qui tentent une nouvelle fois leur chance, avec les mêmes ­motifs.

Supprimer les demandes dans les ambassades

La conseillère fédérale y tient: la Suisse ne doit plus être le seul pays européen à autoriser le dépôt de demandes d’asile dans les ambassades. Voilà qui risque de pousser des personnes persécutées à la migration illégale et à entreprendre un long et périlleux voyage parfois au péril de leur vie, dénonce Amnesty. La ministre répond que celles qui ont des motifs valables pourront obtenir un visa pour déposer leur demande en Suisse.

Le casse-tête des déserteurs érythréens

L’affaire remonte à décembre 2005, lorsque le Tribunal administratif fédéral avait en substance déclaré que les persécutions politiques qui découlent d’un refus de servir dans l’armée érythréenne donnaient droit au statut de réfugié. Depuis, les demandes d’asile des Erythréens ont pris l’ascenseur. Pour la ministre de Justice et police, c’en est trop: les déserteurs et objecteurs de conscience érythréens ne doivent plus recevoir le statut de réfugié. Mais elle assure que tout requérant qui risque de subir des traitements inhumains dans son pays continuera à bénéficier d’une admission provisoire. Elle revient également avec son projet de sanctionner pénalement les requérants qui mènent des activités politiques en Suisse dans le seul but de se mettre en danger par rapport à leur gouvernement et se constituer des motifs d’asile.

Asile: le Conseil fédéral veut des procédures accélérées

Malgré le scepticisme à gauche et à droite, le Conseil fédéral continue de miser sur son projet visant à accélerer le traitement des demandes d'asile.

Il a remis mercredi son message au Parlement, y intégrant différentes mesures annoncées de longue date.

Le projet prévoit que la procédure dite de non-entrée en matière (NEM) ne sera plus appliquée que si le requérant peut être renvoyé sans problème (régime de Dublin, renvoi vers une pays tiers jugé sûr, absence de motif d'asile). Dans les autres cas, une procédure complète mais raccourcie est prévue. Le délai de recours serait réduit de 30 à 15 jours.

Parallèlement, la ministre de justice et police Eveline Widmer-Schlumpf veut supprimer la présence de représentants d'oeuvres d'entraide lors des auditions sur les motifs de la demande d'asile. En lieu et place, les requérants se verraient offrir un "conseil en matière de procédure et d'évaluation des chances".

En sus de cette réforme, le Parlement devra se prononcer sur d'autres mesures. Parmi elles, la suppression de la possibilité de déposer une demande d'asile dans une ambassade à l'étranger et la non-reconnaissance de l'objection de conscience et de la désertion comme motif pour obtenir l'asile.

Un article du Matin

Pourquoi la France est épinglée par Amnesty International

Cette année encore, la France fait partie des 159 pays épinglés par le rapport annuel d'Amnesty International. Un moyen de rappeler qu'en démocratie aussi il faut rester vigilant. Un article signé Isabelle Crahay dans l’Express.

La campagne d'Amnesty International en faveur de la compétence universelle en matière de crime contre l'Humanité.

DR La campagne d'Amnesty International en faveur de la compétence universelle en matière de crime contre l'Humanité.

Première citée par le chapitre que le rapport 2010 d'Amnesty International consacre à la France: la police. Elle aurait recouru à la force et à des mauvais traitements de manière excessive. Ali Ziri en serait même mort. Cet Algérien de 69 ans interpellé en juin dernier à Argenteuil serait décédé des suites de coups infligés par les forces de l'ordre. Quant aux enquêtes diligentées sur ces bavures, elles seraient trop lentes et manqueraient d'indépendance et d'impartialité selon l'ONG.

Des violations des droits des migrants, des réfugiés et des demandeurs d'asile sont également montrées du doigt. En mai 2009, le ministre de l'Immigration et de l'Identité nationale a restreint le rôle de la Cimade dans les centres de rétention. Depuis, elle "partage le travail" avec cinq autres ONG jugées moins critiques à l'égard du gouvernement. La Cimade a engagé une série de recours en justice contre cette mesure. Mais en novembre, le Conseil d'Etat s'est prononcé en faveur de la réforme. En septembre dernier, un campement de 300 migrants et demandeurs d'asile près de Calais avait été investi par la police puis détruit par des bulldozers. Certains sont revenus sur place par la suite, d'autres se sont retrouvés sans abri, quelques-uns ont obtenu le droit d'asile mais trois Afghans ont été expulsés vers leur pays en octobre, et bien d'autres en situation irrégulière pourraient les suivre.

La Cour pénale internationale ne suffit pas

Enfin, ce sur quoi insiste particulièrement Amnesty cette année, c'est la Cour Pénale Internationale. Le Statut de Rome de 1998, qui lui garantit des actions permanentes et non limitées à des conflits particuliers, n'est pas encore ratifié par tous les Etats-membres de l'ONU; 111 sur 192 l'ont signé à ce jour. La France l'a signé et ratifié, mais la loi d'adaptation du droit français à la CPI n'est toujours pas adoptée. "La CPI seule ne suffit pas", a rappelé Geneviève Garrigos, présidente d'Amnesty International France. Et le projet de loi de juin 2008 ne risque pas d'arranger les choses: un amendement l'a soumis à quatre "verrous" extrêmement restrictifs qui rendraient pratiquement impossible la répression en France de crimes internationaux. Le suspect doit en effet avoir sa "résidence habituelle" en France, son crime doit être puni à la fois par la loi française et par celle du pays où il a été commis, les victimes ne peuvent pas se porter partie civile et les poursuites ne peuvent avoir lieu en France que si la CPI décline d'exercer sa compétence -une disposition contraire au Statut de Rome, qui prévoit à l'inverse que la CPI ne peut agir qu'en cas de défaillance des juridictions nationales. Le vice-président d'Amnesty, Francis Perrin, a jugé pour sa part que "si ce projet de loi est voté, cela fera de la France une terre d'impunité. Ces verrous empêchent la collaboration avec la CPI, et c'est très grave. Si le gouvernement persiste, cela prouvera que ces belles phrases ne signifiaient rien. Il y a une prétention des autorités françaises en matière de droits humains, alors que dans les faits c'est le vide sidéral."

La réunion de Kampala (Ouganda) du 31 mai prochain doit dresser le bilan des premières années de fonctionnement de la justice pénale internationale. A charge pour la France de s'engager autrement qu'à "reculons".

Fin des demandes depuis les ambassades

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Coup de frein à l’explosion des demandes d’asile

De 2007 à 2009, le nombre annuel de demandes d’asile est passé d’environ 11 000 à plus de 16 000. En cause, l’arrivée de nombreux requérants d’Afrique subsaharienne (Nigeria, Erythrée et Somalie), du Proche-Orient (Irak) et du Sri Lanka. Un article signé Romain Clivaz, Berne, pour 24 Heures.

Cette évolution inquiète la conseillère fédérale Eveline Widmer-Schlumpf (Parti bourgeois-démocratique). Hier, le Conseil fédéral a confirmé les grandes lignes de son projet de loi censé réduire l’attractivité de la Suisse. Ce tour de vis intervient deux ans à peine après l’entrée en vigueur du dernier durcissement, approuvé par plus de 67% des votants, en automne 2006.

Leitmotiv du paquet de mesures: accélérer les procédures. L’application aujourd’hui très large de la procédure de non- entrée en matière (NEM) sera restreinte. Resteront sur le seuil d’une part les personnes ayant déjà déposé une demande d’asile dans un pays européen signataire, comme la Suisse, de la Convention de Dublin; d’autre part, les requérants qui peuvent être renvoyés dans un pays tiers sûr. Enfin, ceux qui invoquent des raisons exclusivement économiques ou médicales subiront le même sort.

Quid des personnes qui passeront ce premier obstacle? Une procédure matérielle plus rapide qu’aujourd’hui est prévue. Le délai de recours sera ramené de 30 à 15 jours. Outre des pratiques plus restrictives concernant les demandes d’asile à l’étranger et les déserteurs (lire ci-dessous), les œuvres d’entraide ne pourront plus assister aux auditions. En compensation, un conseil en matière de procédure sera offert aux demandeurs d’asile. Financièrement, cette réforme ne devrait pas coûter plus cher à la Confédération, selon le directeur de l’Office fédéral des migrations, Alard du Bois-Reymond.

Eveline Widmer-Schlumpf a convaincu ses collègues du gouvernement. Pour le reste, la Grisonne paraît bien seule. «En réduisant le délai de recours à 15 jours, on dépossède les candidats de leurs droits élémentaires. Un véritable soutien juridique devrait être garanti en contrepartie» déplore Denise Graf.

La représentante d’Amnesty International ajoute: «C’est problématique pour les personnes qui doivent faire venir des preuves depuis l’étranger. De plus, des individus traumatisés ont besoin de temps pour exprimer leurs motivations. Certains ne parviennent à raconter ce qu’elles ont vécu que des années après les faits.» L’organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR), le PS et les Verts ont également condamné ce «durcissement».

«Pour la galerie»

«Politique d’asile pour la galerie» assène au contraire l’UDC. L’ancien parti d’Eveline Widmer-Schlumpf estime que le projet «est complètement dépourvu d’éléments dissuasifs», notamment contre l’afflux de requérants d’asile nigérians et de déserteurs. Au centre-droite, le PLR est aussi sceptique: «Ces propositions vont compliquer les procédures au lieu de les simplifier, commente le porte-parole Philippe Miauton. Nous ne voyons donc pas comment elles pourraient permettre une accélération des procédures…» La balle est désormais dans le camp du parlement.