mercredi 16 août 2006

L'asile ou le voyage vers nulle part

Un article de Didier Estoppey dans le Courrier
PORTRAIT (III) - Mamadou Daffé ne doit la vie qu'au fait d'avoir sauté par la fenêtre au bon moment, puis fui la Guinée. Pour s'exiler dans un pays dont il ignorait tout, et qui n'a aucun avenir à lui proposer. «Le mot asile, c'est en arrivant ici que je l'ai entendu pour la première fois. Je ne savais pas ce que cela voulait dire.» Mamadou Daffé séjourne en Suisse depuis un peu plus de trois ans. Assez longtemps pour apprendre quantité de choses. Dont la signification d'un autre terme que ce jeune Guinéen de 22 ans n'avait jamais entendu non plus avant de quitter l'Afrique: «débouté». Car tel est son statut depuis le rejet de sa demande d'asile. Un statut qui l'expose, à tout moment, à un possible renvoi forcé vers son pays, et contre lequel il a bien tenté de recourir. «Mais on m'a demandé une avance de 600 francs pour les frais. Comme je ne savais où les trouver, la commission de recours a refusé de statuer.»
Le jeune homme présente pourtant le profil type du «vrai réfugié». Il raconte pudiquement que son père, un riche homme d'affaires, a rencontré des «problèmes» pour avoir voulu se mêler de politique au pays du lieutenant-colonel Lansana Conté, qui continue à se cramponner à un pouvoir dont il s'est emparé il y a plus de vingt ans, après la mort d'un autre dictateur, Sékou Touré. «Je rentrais d'un anniversaire. Mon père m'a expliqué qu'on l'accusait d'avoir diffamé le président durant la campagne électorale. Peu après, des hommes armés sont arrivés devant notre maison.»
Il faut du temps pour que Mamadou, de la voix calme de celui qui égrène une fatalité, finisse par dire l'indicible. Il n'a jamais revu son père, retrouvé mort dans sa maison. Lui a réussi à prendre la fuite par une fenêtre. Puis, après s'être planqué chez un ami, à gagner le port de Conakry, d'où il a pu embarquer clandestinement pour l'Italie.


Débouté dès Vallorbe

De là, des amis l'ont remis à un passeur qui l'a emmené à Neuchâtel. «On m'a dit qu'on allait me conduire là où l'on demande l'asile. Je n'avais jamais quitté mon pays, et je ne savais même pas qu'il y avait une frontière entre l'Italie et la Suisse», raconte le jeune homme, qui était alors âgé d'à peine dix-huit ans. A Neuchâtel, il est recueilli par des policiers qui le conduisent au Centre d'enregistrement de Vallorbe. Le fait de ne pas avoir de papiers d'identité –«en Guinée, il ne viendrait à personne l'idée d'en demander si l'on ne voyage pas à l'étranger»– ne lui vaut pas les ennuis promis par la nouvelle loi soumise à votation le 24 septembre. Personne ne prend même la peine de mettre en doute son récit. «On m'a simplement dit que c'était mon père qui était une victime du régime, pas moi...»
Mamadou a beau avoir perdu aussi sa mère, puis sa soeur aînée, tuée par une balle perdue lors d'un voyage chez sa tante en Côte d'Ivoire, il est débouté dès ses premières auditions à Vallorbe. Il n'en est pas moins attribué au canton de Genève, le temps d'un éventuel recours, et trouve rapidement du travail comme garçon d'office dans un grand hôtel. Puis le perd après un an, lors d'une vague de licenciements. Au chômage, le jeune homme entreprend une formation. Pour découvrir l'univers kafkaïen de la législation sur l'asile: «Comme j'avais épuisé mes délais de recours, le canton a levé l'autorisation de travail. Je n'avais plus droit aux indemnités chômage. Ni celui de compléter la formation que j'avais entreprise...»


Tordre le cou aux préjugés

Aujourd'hui, Mamadou travaille sur la plaine de Plainpalais. Il met des vélos à disposition du public pour «Genève roule». Parallèlement, il assure la trésorerie d'une petite association fondée il y a un an pour favoriser les échanges entre les requérants et le voisinage. Et pour lutter contre les préjugés: «Quand les gens découvrent qui nous sommes, quel est notre parcours, ils changent de regard sur les demandeurs d'asile.» Le jeune requérant ne ressent d'ailleurs pas le racisme au quotidien dont se plaignent parfois les Noirs à Genève. «Je n'ai jamais subi un seul contrôle policier.»
En revanche, il est choqué par l'image de sa communauté que véhiculent les médias. Avec son modeste pécule de 426francs par mois (auxquels s'ajoutent trois francs par heure de travail), il n'a pas l'impression d'abuser. «En Guinée, j'avais une vie matérielle mille fois meilleure qu'ici. Et même un chauffeur pour me conduire au lycée. Nous, requérants, profitons peut-être ici de la liberté. Mais en tout cas pas de l'argent.» Mamadou peine d'ailleurs à comprendre pourquoi la question des requérants d'asile, qui forment un très faible pourcentage de la population étrangère en Suisse, est perçue comme un problème aussi important. «En Guinée, l'un des pays les plus pauvres d'Afrique, nous avons plus de 5millions de réfugiés à cause des guerres chez nos voisins. Jamais on n'a débattu de cette situation, il ne viendrait à l'idée de personne de refuser de les accueillir.»


Cauchemars

La votation du 24septembre? Le jeune homme est parfaitement informé de son enjeu. Il sait notamment qu'en cas d'acceptation de la nouvelle loi sur l'asile, l'aide sociale lui sera coupée et il sera chassé de son logement en foyer pour être mis au même régime que les requérants frappés de non entrée en matière (NEM). Il n'ose pas imaginer comment il s'en sortira. «Nous n'avons pas le choix. Ce n'est pas nous qui décidons...» Une chose est sûre: jamais Mamadou ne se résoudra à vivre de la vente de drogue. «Mais je comprends les dealers. Certains n'ont vraiment pas d'autres choix. J'ai beaucoup d'amis NEM, ça fait vraiment pitié. C'est triste de voir un pays réputé comme la Suisse abandonner les gens dans une telle m...»
L'avenir? Le jeune homme, qui, il y a moins de quatre ans, pensait partir étudier aux Etats-Unis pour revenir au pays comme médecin, peine à formuler des projets. «Rentrer en Guinée est exclu pour l'instant. Je fais des cauchemars toutes les nuits à l'idée d'y être renvoyé. La situation qui y règne est pire que la guerre. Des quartiers entiers sont saccagés à la moindre critique contre le président. Et si une personne est sur liste noire, c'est toute sa famille qui trinque avec lui.» Mamadou n'en espère pas moins un changement. Ou une solution qui l'aiderait à gagner un autre pays africain. «Ici, ma situation n'est pas vivable. Je ne peux ni travailler, ni étudier. Tout ce que tu demandes, on te le refuse.»

Par amour pour la Suisse

"Par amour pour la Suisse, une maman nigériane a écrit un livre": cet article relate l'histoire de Elisabeth Alli, une mère de famille nigériane arrivée en Suisse il y a 36 ans et qui a décidé de dire son amour pour son pays d'accueil au travers d'un livre pour enfant.

Elisabeth Alli s’adresse dans son livre aux enfants de6à11ans
leur expliquant entre autres pourquoi notre pays compte quatre langues nationales
(Adriana Borra)

Un article de Céline Fontannaz pour 24 Heures

PORTRAIT
Elisabeth Alli a sorti un ouvrage pour enfants sur le pays qui l’a accueillie voici trente-six ans. Rencontre avec une patriote au long cours.
«Maman, pour­quoi on parle français au Macdo de Sierre et allemand à Brigue? Maman, explique!» Maman? C’est Elisabeth Alli. Les enfants? Ce sont les siens. Deux petits bout’choux pour lesquels cette jeune femme au teint d’ébène a écrit La Suisse dans un livre, Langues et can­tons
paru au début de l’été ( lire ci-contre). Afin de leur raconter l’histoire du pays qui lui a ouvert ses frontières il y a trente-six ans et pour lequel cette Vaudoise nourrit, de­puis, un amour sans faille. «La Suisse était tout ce qu’il me restait», analyse aujourd’hui Elisabeth Alli dans un français impeccable, surmonté d’un zeste d’ac­cent… italien. Car c’est dans un petit village du Sotto Ce­neri qu’a grandi la jeune femme qui vit aujourd’hui en­tre Lausanne et le Tessin. Comme le 90% des Suisses italiens, elle a vu le jour à la clinique Sant’Anna à Lugano, peu après l’arrivée de ses pa­rents qui fuyaient la guerre au Nigeria. «Ils sont ensuite re­partis et moi je suis restée dans une famille d’accueil», résume-t-elle sans s’étendre sur les circonstances de la sé­paration. Quoi qu’il en soit, c’est en Suisse que la petite Elisabeth va faire sa vie. Elle tient sur des skisà2anset demi, passe ses vacances au Grison et en Valais. Plus tard, elle partira dans le Jura pour apprendre le fran­çais, en Appenzell pour l’alle­mand. Aujourd’hui, en plus du patois tessinois, de l’anglais et de l’espagnol, la trentenaire, qui est journaliste et réalisa­trice de télévision, maîtrise les trois langues nationales. «Se sentir chez soi, c’est être à l’aise pour communiquer», ex­plique la polyglotte, qui s’est rendue pour la première fois au Nigeria il y neuf ans.
Enfant, Elisabeth Alli se pas­sionne pour l’histoire de la Suisse. La petite Africaine en­registre les histoires de mon­tagnes et de paysans que lui conte sa famille d’accueil. «J’aime la diversité de ce pays et j’admire l’ingéniosité de ses habitants qui, sans mer ni ma­tière première, sont parvenus à se construire grâce au tra­vail », sourit la sociologue qui est aussi l’auteur d’une thèse sur les enfants et le marketing. Et la jeune maman de mettre en lien l’histoire helvétique avec sa propre trajectoire.
Riche de son expérience, la Suissesse a écrit son livre afin que les petits Helvètes appren­nent à aimer leur pays. Dans un esprit d’ouverture. Et si l’auteur l’a pensé pour les 6­ 11 ans, c’est en hommage à une période parfois douloureuse, qu’elle-même «n’a pas vu pas­ser ».
CÉLINE FONTANNAZ

L’Helvétie pour les 6-11 ans

Pourquoi les Suisses s’appel­lent- ils aussi les Helvètes? Pourquoi parle-t-on quatre langues en Suisse? Combien de cantons y a-t-il? Telles sont les trois questions auxquelles répond le livre d’Elisabeth Alli, à l’aide de mots simples et d’illustrations mêlant dessins et photos. Réunissant les con­tributions d’un graphiste ber­nois, d’une illustratrice tessi­noise et de son auteure établie à Lausanne, les 28 pages du bouquin font également la part belle à internet: toutes les adresses électroniques des cantons figurent à la fin de l’ouvrage et un site – – fait la pro­motion du livre. La Toile pro­posera bientôt une palette de jeux pour les petits internautes désireux d’approfondir leurs connaissances sur la Suisse.Paru en juin dernier dans les trois langues nationales, La Suisse dans un livre: Langues et cantons rencontre un beau succès en librairie. Plus de 1000 volumes ont déjà été vendus. Une traduction en romanche, financée par une banque genevoise, devrait voir le jour prochainement; et le projet de sortir une version en anglais est en discussion. En­fin, trois autres titres portant sur les montagnes, les lacs et les transports sont en prépara­tion. Le premier pourrait pa­raître cet automne déjà. C. FO.

"La Suisse dans un livre, Langues et cantons", Elisabeth Alli sur Sbook.ch

Un film trie les étrangers sur le volet



Un DVD, «Les voies du travail», donne la parole à six étrangers intégrés en Suisse. Les associations en contact avec les migrants ont des avis divergents sur le message proposé par le film. «Vous êtes un instituteur syrien, devenez apprenti helvète», résume Olivier Strasser, médecin psychiatre de l'association Appartenance à Genève. Avec cette formule percutante, il entend faire part de sa stupéfaction après avoir visionné Les voies du travail, un film de Nino Jacusso édité sous forme de DVD en juin dernier par l'Association suisse pour l'orientation scolaire et professionnelle (ASOSP). Le documentaire, qui aborde le thème de l'intégration professionnelle des migrants en Suisse, suscite de vives réactions. Accompagné de fiches de compétences sur CD-rom, il s'adresse prioritairement aux adolescents et adultes issus de l'immigration ainsi qu'aux enseignants et conseillers professionnels.

Lire l'intégralité de cet article de Marc Trezzini dans le Courrier