vendredi 7 octobre 2011

Renvoi d’étranger: le destin absurde d’une famille déchirée au Grand-Saconnex

Un père de famille kosovar doit quitter demain la Suisse, laissant derrière lui son épouse et ses deux enfants mineurs. En cause, le non-renouvellement d'un permis B suite à des infractions. L'absurde, c'est qu'il pourra revenir dans quelques mois si sa femme obtient un permis B.bashkim m

Le renvoi d’un père de famille suscite l’émotion au Grand-Saconnex. «Je dois quitter samedi la Suisse où j’habite depuis 20 ans et laisser ma femme et mes deux enfants derrière moi», annonce Bashkim M., les épaules voutées. En 2005, son permis B n’est pas renouvelé suite à des ennuis judiciaires. A son actif, une bagarre avec un automobiliste, puis quelques mois plus tard, un délit de fuite, il est à ce moment en possession d’une arme sans permis, qui se solde par trois semaines de prison. Depuis, il a payé ses dettes et son casier est à nouveau vierge. Pas suffisant pour l’Office fédéral des migrations (ODM), qui applique la loi fédérale sur les étrangers (LETr), en raison des infractions passées.

«Je regrette ce que j’ai fait, mais j’ai payé mes erreurs», assène Bashkim M., les poings crispés. En 2009, l’homme sollicite le Tribunal administratif fédéral pour régulariser sa situation. Son dossier passe deux années dans les arcanes de l’administration à Berne. Durant cette période, les époux, au bénéfice d'un statut transitoire, travaillent tout en accompagnant leurs enfants. Lui passe ses permis poids lourds et livre des colis pour le compte de la poste. Elle enchaîne les heures de ménage dans des hôtels, avant de se dédier au service, une fois la langue maîtrisée.

Famille broyée par l'administration
«Qui va garder nos enfants la semaine prochaine?» s’inquiète son épouse, A., Patrouilleuse scolaire le jour, elle enchaîne les services le soir dans un restaurant du Grand-Saconnex. «Notre famille est broyée par le rouleau compresseur de l’administration», lâche le mari. Bashkim M. n’a toujours pas trouvé les mots pour annoncer à ses enfants la nouvelle. «Ils ressentent notre angoisse. Mon cadet fait des cauchemars avant de me demander au déjeuner ce qui me perturbe tant. C’est au dessus de mes forces», confie-t-il.

La famille ne manque pas de soutien. La dizaine de lettres de voisins, amis, collègues et supérieurs, très touchantes et engagées qui accompagnent le dossier ne feront toutefois pas fléchir l’administration. En mars dernier, il essuie un refus définitif par le Tribunal, qui ne prend pas en considération la présence en Suisse de son épouse et de leurs deux enfants mineurs. Après plusieurs ajournements de la date du renvoi, c’est un siège d’avion sur le vol Genève-Pristina qui attend Bashkim M. samedi 8 octobre.

Parfaitement intégrés
A quelques heures du départ, A. est assaillie par les doutes. «Quand on a peur, on imagine plein de choses. Une fois mon mari parti, ne vont-ils pas nous demander de quitter la Suisse, nous aussi?» Impensable pour la maire de la commune Elisabeth Böhler, qui connaît personnellement A. et ses enfants. L’élue PLR, sans maîtriser tous les détails du dossier de Bashkim M., «trouve malheureux qu’on sépare cette famille, parfaitement intégrée, pour bien peu de chose.»

«La situation administrative de cette famille est absurde», déclarent leurs avocats Mes Romain Jordan et Raphaëlle Nicolet. Enregistrés sous le permis B de Bashkim M., sa femme et ses enfants ont perdu leur titre de séjour quand ce dernier n’a pas été renouvelé. Les conseils de la famille tentent désormais d’inverser la situation : «Son épouse, en attente d’un permis, pourra alors faire revenir son mari, regroupement familial oblige. Mais le renvoi de mon client va briser l’équilibre du foyer pour une question de quelques mois seulement. Nous allons nous battre et mobiliser des soutiens.» L’embarquement du vol Swiss LX 8470 à destination de Pristina est prévu demain à 13 h 30.

Julien de Weck dans la Tribune de Genève

Requérants d’asile au Tessin : groupe de travail conjoint du canton et du DFJP

La conseillère fédérale Simonetta Sommaruga, cheffe du Département fédéral de justice et police (DFJP), et le Conseil d’État tessinois ont mis sur pied un groupe de travail conjoint chargé d’examiner la question de l’hébergement des requérants d’asile dans le canton du Tessin. Le groupe de travail présentera des propositions concrètes d’ici à la fin d’avril 2012.

Composé de trois représentants de l’Office fédéral des migrations (ODM) et de quatre représentants des autorités cantonales tessinoises, deux du Département des institutions et deux du Département de la santé et des affaires sociales, le groupe de travail sera présidé conjointement par Paolo Beltraminelli, conseiller d’État tessinois, et par Eveline Gugger Bruckdorfer, sous-directrice de l’ODM.

Les membres du groupe de travail ont pour mission d’améliorer les capacités d’accueil de la Confédération au Tessin. Il s’agit de réduire le nombre de requérants d’asile qui sont attribués aux cantons et d’encourager l’exécution des renvois et des expulsions directement à partir du centre d’enregistrement et de procédure (CEP). Une autre tâche du groupe de travail est d’évaluer la nécessité d’aménager des hébergements collectifs supplémentaires et, à ce titre, d’identifier des bâtiments ou des sites appropriés et d’étudier la faisabilité d’éventuels projets.

Le groupe de travail examinera par ailleurs les mesures prises par l’ODM, les autorités cantonales tessinoises et la commune de Chiasso pour garantir la sécurité et l’ordre publics. Il est également chargé de concevoir des projets à court et à long terme, notamment pour la mise en œuvre de programmes d’occupation.

Le groupe de travail a jusqu’au 30 avril 2012 pour soumettre à la cheffe du DFJP et au Conseil d’État tessinois un rapport présentant des propositions concrètes.

Communiqué du DFJP

«Vol spécial», le grand malentendu

Il y a malentendu quand l’auteur présente son film comme un documentaire et qu’il se défend d’avoir produit un film militant. Ce serait plus honnête de sa part de reconnaître que «Vol spécial» porte une charge délibérée contre un système à ses yeux insupportable.

Vol spécial, le film de Fernand Melgar sur la détention administrative, suscite l’émotion en salles, mais il déchaîne aussi les passions et devient un enjeu politique. Le cinéaste, au nom d’un choix artistique qui lui appartient et qui n’est pas contestable en soi, livre une vision univoque de ces mesures coercitives.

Le procédé consistant à restituer la parole brute des migrants assujettis aux mesures de contrainte en vue de leur refoulement, à l’exclusion d’autres points de vue, est d’une efficacité redoutable. Mais il y a malentendu quand l’auteur présente son film comme un documentaire et qu’il se défend d’avoir produit un film militant. Ce serait plus honnête de sa part de reconnaître que Vol spécial porte une charge délibérée contre un système à ses yeux insupportable. D’ailleurs, les artistes qui viennent de lancer une pétition demandant la fermeture des centres de détention et la fin des vols spéciaux au nom de valeurs humanistes valident, a posteriori, le message militant de Melgar.

Aussi pénible que puisse être le recours à la détention administrative, aussi désagréable est le sentiment d’être sournoisement manipulé. Par petites touches, Vol spécial brosse un tableau impressionniste qui arrache des larmes aux plus sensibles ou ébranle les durs à cuire. Mais, à se focaliser sur des destins individuels restitués de façon sélective, et à ignorer le contexte et les questions de fond, Vol spécial sert-il vraiment la cause de ceux qu’il prétend défendre?

Les Suisses qui ont, en majorité, donné leur accord aux mesures de contrainte n’ont pas tous cédé à un réflexe de xénophobie. Ils n’ont pas donné un chèque en blanc pour une application arbitraire de la détention administrative. Et ils sont fondés à redouter que la non-exécution des renvois, si elle devient la règle, nourrira la xénophobie.

Il faut en revanche reconnaître un mérite à Vol spécial: la détresse et la détermination de certains protagonistes à tout supporter pour éviter leur expulsion renvoient l’Etat à son impuissance. Le degré insupportable de violence requise pour que soit respecté un acte de souveraineté rend celui-ci dérisoire et en affaiblit la légitimité. Surtout quand l’histoire se déroule dans un pays prospère. Depuis deux décennies, la Suisse a créé une machine d’une lourdeur et d’une complexité écrasantes – la détention administrative en est un rouage – pour se protéger de quelques milliers de migrants indésirables alors qu’il existe 20 millions de réfugiés en Afrique. N’est-il pas temps de dédramatiser la migration?

Editorial de François Modoux dans le Temps

Des mesures controversées

Les mesures de contrainte ont fait l’objet de débats féroces. Arguments sécuritaires et légalistes se sont ajoutés pour forger une majorité.

Christin Achermann, professeure assistante en études des migrations au Centre de droit des migrations de l’Université de Neuchâtel, consacre un cours aux mesures de contrainte. Ses étudiants y apprennent que des mesures coercitives de type administratif firent leur entrée dans la législation suisse en 1931. A l’époque, la disposition visait à écarter des personnes dont le renvoi souhaité n’était pas possible. La durée maximale de détention était de 2 ans.

La discussion reprend au milieu des années 80, dans le contexte d’une hausse marquée des demandes d’asile. Le besoin de pouvoir expulser les requérants déboutés se fait pressant. On introduit dans la loi (1986) la détention en vue du renvoi pour une durée de 30 jours maximum.

La drogue croise l’asile

Au début de la décennie 90, les thématiques de la drogue et de l’asile se recoupent. Les scènes ouvertes de la drogue à Zurich (le Platzspitz puis le Letten) et à Berne choquent. Les petits dealers, arrêtés avec de trop faibles quantités de drogue sur eux pour être condamnés, sont souvent des requérants déboutés que l’on n’arrive pas à renvoyer dans leur pays. L’idée de les neutraliser en les plaçant en détention administrative le temps de préparer leur renvoi s’impose à l’issue d’un difficile débat. Aux arguments sécuritaires (éloigner des criminels préventivement) s’ajoute la volonté de renforcer la crédibilité de la procédure d’asile et d’affirmer la souveraineté de l’Etat. Pour pouvoir accepter les «vrais» réfugiés, il faut que les requérants déboutés soient renvoyés et que les requérants connus pour «abuser» de la procédure d’asile en s’adonnant au trafic de drogue soient neutralisés et écartés.

On crée alors un dispositif coercitif ambigu, inspiré de la détention pénale et visant en priorité des petits délinquants, mais pouvant s’appliquer à des étrangers sans statut quand ils ne collaborent pas à leur renvoi après l’échec de leur demande d’asile ou le rejet de leur demande de régularisation.

La durée n’est pas dissuasive

Ce dispositif a été renforcé en 2008, avec ajout d’un nouveau motif justifiant la détention administrative et prolongation de la durée maximale de la détention à 24 mois – ramenée à 18 mois en 2011 pour respecter une directive européenne. La longue durée de la détention est justifiée par sa prétendue vertu dissuasive. Mais les recherches de Christin Achermann montrent l’inverse. Dans la pratique, plus le séjour dure, plus le renvoi est difficile. En 2008, 86% des détentions en vue d’un renvoi se sont soldées par le refoulement. La durée moyenne des séjours avant l’exécution du renvoi était de 19 jours. S’il arrive que le séjour se prolonge plusieurs mois (un maximum de 309 jours en 2008), les cantons ont intérêt à réaliser le renvoi vite car une journée de détention leur coûte 400 francs.

François Modoux dans le Temps

A la racine du malaise autour de «Vol spécial»

Pétitions, interpellations: le film de Fernand Melgar ne laisse pas indifférent. Peut-être parce qu’il ne donne pas toutes les clés nécessaires à la compréhension du dossier. Explications.

Quel revirement spectaculaire! Accusé à Locarno d’être un film «fasciste», comme s’il était complice de la violence exercée par l’Etat refouleur de migrants indésirables, Vol spécial est aujour­d’hui critiqué comme un film de propagande contre la détention administrative. Son réalisateur, Fernand Melgar, est même traité de «docu-menteur» dans un encart publicitaire de l’UDC, et ce parti demande d’interdire la diffusion du film dans les écoles vaudoises. Dans la tourmente, des partisans du cinéaste ont lancé une pétition sur Internet qui demande rien moins que la fermeture des centres de détention administrative et la suppression des vols spéciaux. C’est peu dire que le film ne laisse personne indifférent.

Les esprits s’échauffent spécialement dans le canton de Vaud, où il existe une longue tradition de confrontation sur les enjeux d’asile et d’immigration. Où le conseiller d’Etat Philippe Leuba, lui aussi visé par une interpellation pour avoir critiqué le film, se profile comme un magistrat intraitable dès lors qu’il s’agit de refouler des étrangers ayant commis des délits pénaux. Un canton où le climat politique est exacerbé par le cumul des rendez-vous électoraux: les fédérales du 23 octobre, une partielle pour compléter le gouvernement avant Noël, et les cantonales en mars prochain.

Un article jette le doute

Un article du Matin Dimanche a secoué le cocotier. Il y a dix jours, le journal dévoilait des détails du passé criminel d’un détenu de Frambois, le centre de détention où le film a été tourné. C’est là que trois cantons – Vaud, Neuchâtel et Genève – placent les migrants déboutés en vue de l’exécution de leur renvoi quand ceux-ci ont systématiquement refusé l’aide au retour et plusieurs appels officiels à quitter la Suisse librement. Au moment où, dans les salles, Vol spécial présente les détenus de Frambois comme des innocents venus chercher un avenir meilleur en Suisse, voila que le public découvre qu’une majorité des détenus de Frambois a un passé pénal, parfois lourd, comme le Camerounais dont le parcours a été évoqué dans Le Matin Dimanche.

A titre indicatif, durant le tournage du film, six détenus sur 10 avaient subi une condamnation pénale avant d’être enfermés à Frambois. Au total, 53,9% des 76 personnes placées en détention administrative par le canton de Vaud en 2011 ont préalablement été condamnées pénalement en Suisse, dans une majorité de cas pour du trafic de stupéfiants. Ce n’est pas étonnant: les migrants déboutés qui ont subi une condamnation sont les premiers visés par les mesures d’expulsion.

Mensonge par omission?

Un mensonge par omission du réalisateur, qui ne s’embarrasse pas de ces détails dans son documentaire? Fernand Melgar s’en défend. Il fait remarquer que les détenus ont payé leur dette vis-à-vis de la société après avoir purgé leur peine. «Le spectateur est libre de penser ce qu’il veut, je me réjouis du débat initié par mon film», répète l’auteur. Encore faudrait-il qu’on lui donne les clefs pour arbitrer entre les enjeux contradictoires et complexes qui se nouent autour des refoulements sous la contrainte. Force est de constater que ce n’est pas le cas.

La détention administrative est filmée dans Vol spécial dans la seule perspective de ceux qui la subissent, et c’est pour eux un drame. Le mérite du cinéaste est d’ouvrir les yeux du spectateur sur cette détresse profonde et sur l’incompréhension de ces hommes qui voudraient tellement rester en Suisse, pour s’y construire un avenir meilleur, mais n’y sont pas autorisés.

Le contexte évaporé

Bien, mais comment et pourquoi en arrive-t-on à les priver de liberté? Dans quel contexte et pour quelles raisons des requérants d’asile déboutés – la forte majorité des détenus – se retrouvent à Frambois? La Suisse, comme tant d’autres pays d’Europe, est-elle dans son droit? Et que sait-on des décisions conduisant à la détention administrative? L’arbitraire, comme le film le suggère lourdement, règne-t-il? Et que sait-on de l’efficacité de la détention administrative? Autant de questions que Vol spécial n’évoque pas. «C’est tout le problème de ce film, explique Etienne Piguet, professeur de géographie et spécialiste des migrations à l’Université de Neuchâtel. En éludant le contexte de la politique d’asile et des étrangers, Vol spécial n’offre qu’un seul point de vue.»

Chef du Service vaudois de la population, Henri Rothen fait partie des personnes remerciées à la fin du film. Aujourd’hui, il est déçu: «Monsieur Melgar insiste sur le caractère documentaire de son film, mais à mon sens c’est abusif. C’est un film militant. Il a évidemment le droit de le faire, mais il devrait l’assumer pleinement.» Ni Henri Rothen, ni ses collègues neuchâtelois et genevois chargés de requérir la détention administrative et de faire valider la mesure par la Justice de paix, n’ont droit à la parole dans le film. «Dès qu’il est question de l’exécution des renvois, regrette Henri Rothen, les autorités sont toujours défavorisées dans le domaine de la communication, quand elles ne sont pas caricaturées ou ridiculisées. En effet, elles ne peuvent pas jouer sur le registre de l’émotion, comme le fait en l’occurrence le réalisateur, et elles ne peuvent souvent même pas informer.»

Le «cinéma de l’intranquillité»

Ces griefs n’ébranlent pas Fernand Melgar. Il fait remarquer que le film a été présenté en avril aux autorités des trois cantons liés par l’exploitation de Frambois sans déclencher de réactions négatives. Il ajoute qu’il n’est pas journaliste et n’a pas tourné un Temps Présent. Se définissant comme un «auteur engagé», il se réclame d’un «cinéma de l’intranquillité», qui provoque la discussion à partir d’émotions fortes.

Une fraction des renvois

Jusqu’où s’exerce la responsabilité du cinéaste vis-à-vis de son sujet? Le film évoque que «des milliers» de personnes sont expulsées sous la contrainte, par vols spéciaux, c’est-à-dire dans les conditions les plus humiliantes qu’on puisse imaginer. La réalité est tout autre. En 2010, 8059 renvois du territoire suisse ont pu être réalisés, 4500 départs ayant nécessité les mesures de contrainte – encadrement policier minimal, détention administrative. Seulement 140 personnes ont dû être refoulées par vol spécial; 140 autres l’ont été avec un recours à des entraves physiques (menottes) et un accompagnement policier sur un vol de ligne.

Ce que le film ne dit pas, c’est que les personnes en détention administrative se sont vu offrir plusieurs possibilités de partir volontairement, qui plus est avec une aide financière au retour. En 2010, un gros tiers des renvois (3500) a pu être négocié ainsi. Que faire face aux plus récalcitrants? Serait-il équitable que ceux-ci finissent par échapper à leur renvoi alors que d’autres migrants dans la même situation ont accepté les décisions des autorités suisses statuant sur leur sort, en application des lois existantes en Suisse? Fernand Melgar se réjouit que ces questions soient posées. Mais, pour lui, l’enjeu est ailleurs: un seul renvoi par vol spécial est un renvoi de trop. «Qu’une société en arrive à user de la privation de liberté et des mesures de contrainte physique les plus extrêmes pour expulser un être humain est intolérable.»

La souveraineté en question

Ce message que donne le film feint d’ignorer l’autre enjeu: l’acte de souveraineté qu’exerce tout Etat en décidant librement quelle personne a le droit de s’établir sur son territoire. La Convention européenne des droits de l’homme consacre d’ailleurs ce principe. Elle le fait en imposant des restrictions qui sont autant de droits garantis aux personnes détenues, et qui se traduisent par des conditions de détention différentes de la détention pénale. Dans un contexte où l’arrivée de migrants a augmenté vers les pays d’Europe, plusieurs Etats, comme la Suisse, ont d’ailleurs adopté des dispositifs tout à fait comparables. La détention administrative n’est donc pas une spécialité helvétique.

François Modoux dans le Temps

Le sans-papiers a droit au mariage en Suisse

Le Tribunal cantonal juge que la Convention européenne des droits de l’homme doit l’emporter sur les restrictions du Code civil suisse.

La révision du Code civil, entrée en vigueur le 1er janvier 2011, impose aux fiancés qui veulent se marier en Suisse d’établir qu’ils séjournent légalement dans le pays avant d’entamer une procédure préparatoire au mariage. C’est en application de cette disposition que l’Office de l’état civil de Lausanne, appuyé par le Service cantonal de la population, avait refusé l’ouverture d’une telle procédure entre une Suissesse et un Péruvien sans autorisation de séjour, délinquant récidiviste actuellement emprisonné.

Le Centre social protestant (CSP) a porté l’affaire devant le Tribunal cantonal. La Cour de droit administratif et public vient de lui donner raison. Les juges cantonaux se réfèrent à la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), dont l’article 12 stipule: «A partir de l’âge nubile, l’homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l’exercice de ce droit.»

Ce droit n’est donc pas absolu, mais le Tribunal cantonal estime que la restriction imposée par le Code civil est «propre à constituer un obstacle prohibitif à la conclusion d’un mariage». Et de citer par ailleurs une jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qui a donné tort au Royaume-Uni, lequel empêche la célébration du mariage de personnes ne disposant pas d’une autorisation d’entrée sur son territoire. Les magistrats vaudois rappellent que, la Suisse ayant ratifié la CEDH, «on voit mal qu’elle puisse ne pas garantir le droit au mariage au motif que d’autres pays permettraient la mise en œuvre de ce droit».

Directrice du CSP, où plusieurs démarches de ce type sont en cours, Hélène Küng se réjouit de cette décision: «Au-delà du cas présent, l’autorité s’est prononcée sur une question de principe. Le droit au mariage est un droit fondamental, et cette décision rappelle que les droits fondamentaux ne sont pas des droits au mérite.» Il n’est pas exclu que l’affaire soit portée en dernier recours devant le Tribunal fédéral.

24 Heures

«Les requérants pourraient ne plus avoir ni lit attribué ni armoire»

Pour que le foyer lausannois n’abrite plus de délinquants, l’Etat et l’EVAM songent à en faire un sleep-in.

Mardi à l’aube, la police lausannoise effectuait une descente dans le foyer de Vennes, à Lausanne, tenu par l’Etablissement vaudois d’accueil des migrants (EVAM). Et la récolte a été remarquable: drogue, argent, quantité de téléphones portables et divers objets apparemment volés. Mais ce qui surprend, c’est la proportion de requérants d’asile déférés au procureur pour recel ou trafic de drogue. Sur 91 résidents, 44 sont fortement soupçonnés. Presque la moitié.

Comment est-ce possible? Et surtout, comment éviter que le foyer financé par des autorités publiques ne se transforme en lieu de recel et en base arrière pour des voleurs ou des trafiquants?

Le directeur de l’EVAM, Pierre Imhof, planche avec d’autres sur une piste: «On pourrait transformer le foyer de Vennes en une sorte de sleep-in, où les résidents n’auraient ni lit attribué ni armoire. Ils devraient aussi quitter les lieux la journée en emportant tous leurs biens. Mais nous devons étudier si de telles mesures ne se heurtent pas au droit constitutionnel. En outre, nous serions contraints de traiter tout le monde de cette façon, pas seulement les personnes soupçonnées.» Le chef du département en charge de l’Asile, Philippe Leuba, confirme: «Nous travaillons sur cette hypothèse depuis le début de l’été, mais elle pourrait se heurter à des dispositions de la Constitution suisse et vaudoise. Il va de soi que nous abandonnerons cette idée si nous arrivons à la conclusion qu’elle contrevient à ces textes.»

Un centre «à risques»

Pierre Imhof précise que le foyer de Vennes est un cas particulier: «Il constitue un centre à risques, car il n’abrite que des hommes seuls qui sont à l’aide d’urgence. C’est le seul de cette catégorie dans le canton de Vaud. Sur le point d’être expulsés, ces requérants ne touchent que de l’aide matérielle, mais pas d’argent. Ils n’ont d’autre perspective que d’être renvoyés. Ils n’ont pas le droit de travailler. Ils n’ont donc rien à perdre.» Le directeur note également que la proximité du cœur de Lausanne renforce la tentation de se livrer au trafic de drogue. Il relève que les familles de migrants à l’aide d’urgence ou les requérants qui gardent un espoir d’être régularisés ne se comportent pas de la même façon.

Philippe Leuba souligne aussi la singularité de Vennes: «80% des résidents viennent de pays avec lesquels la Suisse n’a pas d’accord de réadmission. Ils restent donc là des mois, voire des années. Voilà pourquoi je demande aux autorités suisses depuis mars 2010 de mettre sur pied une stratégie gouvernementale visant à faciliter le retour.»

Selon Pierre Imhof, le produit du vol et du trafic est surtout destiné à envoyer de l’argent dans les familles restées au pays. Preuve en est que les requérants restent dans ce foyer, où les conditions sont spartiates: ils dorment jusqu’à cinq dans la même chambre. «L’ennui, c’est qu’une centaine de délinquants jettent le discrédit sur les 900 personnes à l’aide d’urgence, et plus généralement sur les 4500 personnes assistées par l’EVAM.» Ce dernier a prévenu la police de cas de trafic à Vennes. Or, parallèlement, la police lausannoise soupçonnait d’autres résidents. D’où la décision d’une grosse intervention, qui a mobilisé 148 policiers. «C’est la politique que j’ai définie pour l’EVAM, explique Philippe Leuba. nous devons pratiquer la tolérance zéro. A la moindre suspicion de trafic, nous prévenons la police. Nous savons que la délinquance de quelques- uns nuit à la politique d’asile en favorisant les amalgames que font certains.» Et le conseiller d’Etat de poursuivre: «Une arrestation peut provoquer deux réactions: certains diront que cela démontre la délinquance, mais cela démontre surtout que l’Etat lutte fermement contre cette délinquance.»

Justin Favrod dans 24 Heures

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descente du siècle

Dans le monde politique, les réactions sont diverses. «C’est terrible, c’est le système qui pousse ces personnes au trafic de drogue. C’est la manière de traiter les NEM (non-entrée en matière) qui pose problème», estime Sandrine Bavaud, députée Verte. Même topo chez la présidente des socialistes, Cesla Amarelle: «Il faut des programmes d’occupation.» A Amnesty International, Denis Graf martèle: «En les mettant toute la journée dehors, on ne fait qu’accroître le problème. Il faut former les NEM pour qu’ils puissent vivre dans leur pays une fois renvoyés.»

Jacques-André Haury, président des Vert’libéraux, sourit jaune: «Ma première réflexion a été: «Tiens, tiens, comme par hasard, cela arrive juste avant les élections!» Mais je suis surtout attristé qu’une fois de plus, notre politique d’asile est salie par des affaires de délinquance.»

Fabrice Moscheni, président de l’UDC Vaud, lui, approuve: «Cela fait partie d’une reprise en main qu’il faut saluer. La loi doit être respectée. Elle est faite pour protéger les plus faibles et il faut donner les moyens à la police.»

Pour Gérald Cretegny, syndic de Gland, «la police a fait son travail, et c’est tant mieux. Mais il ne faut pas extrapoler la situation de Vennes à tous les centres de l’EVAM. Cela dit, certains migrants jouent avec le feu.» Municipale de Police à Nyon, la PLR Elisabeth Ruey-Ray juge que «l’EVAM n’est pas laxiste, mais soumis à des règles. A Nyon, il collabore avec la police, mais, derrière tout ce trafic, il y a des gens bien organisés, et les requérants sont des cibles faciles.»

24 Heures

L’usage de la force lors du renvoi était justifié

L’intervention musclée de la police en juillet lors d’un renvoi forcé vers le Nigeria était «proportionnée», a estimé le gouvernement zurichois.

L’intervention musclée de la police en juillet lors du renvoi d’un requérant débouté vers le Nigeria était justifiée, a estimé hier le gouvernement zurichois, qui réagissait à une réponse d’une intervention parlementaire. Le requérant concerné avait fait preuve d’une résistance violente, a souligné l’exécutif.

Par ailleurs, une enquête révèle que les policiers zurichois ne sont pas en cause. Ce sont leurs collègues de Bâle-Campagne, présents pour les aider, qui sont intervenus. En effet, les policiers zurichois ne sont pas armés et ne portent pas de matraques lors de renvois forcés de requérants déboutés. Le rapport d’enquête sera transmis aux autorités bâloises, a précisé le Conseil d’Etat zurichois. C’est à elles que reviendra de décider d’éventuelles mesures. Les autorités bâloises partagent l’avis du gouvernement zurichois et ne prévoient pour l’heure pas de mesures à l’encontre des deux agents.

Les faits remontent au 7 juillet, lors du premier vol spécial affrété par la Confédération vers le Nigeria après la mort d’un requérant de ce pays en mars 2010, victime d’un malaise. Des images télévisées ont montré comment un Nigérian avait été traîné sur les marches de l’avion avant d’être frappé de coups de poing et de coups de matraques.

L’intervention pourrait tout de même avoir des conséquences. Le ministère public zurichois a ouvert une enquête préliminaire pour blessures corporelles, abus d’autorité et voies de fait, a indiqué la procureure en charge du dossier .

Requérants: groupe de travail instauré au Tessin

La conseillère fédérale Simonetta Sommaruga a créé un groupe de travail pour trouver des solutions aux problèmes liés à l'arrivée de requérants au Tessin.

Des solutions concrètes devront être présentées d’ici avril pour régler les problèmes liés à l’arrivée de requérants d’asile au Tessin. D’entente avec le gouvernement cantonal, Simonetta Sommaruga a instauré un groupe de travail commun. Présidée par le conseiller d’Etat Paolo Beltraminelli et la sous- directice de l’Office fédéral des migrations (ODM) Eveline Gugger Bruckdorfer, cette instance est composée de trois représentants de l’ODM et quatre délégués des autorités tessinoises, a indiqué vendredi le Département fédéral de justice et police (DFJP).

Améliorer les capacités d'accueil

Elle a pour mission d’améliorer les capacités d’accueil de la Confédération au Tessin. Le nombre de requérants transférés aux autres cantons devra être réduit. Pour ce faire, les renvois effectués directement à partir du centre d’enregistrement et de procédure devront être encouragés. Autre tâche: évaluer l’aménagement d’hébergements collectifs supplémentaires et trouver les sites appropriés. Le groupe de travail examinera aussi les mesures prises par l’ODM, les autorités cantonales tessinoises et la commune de Chiasso pour garantir la sécurité et l’ordre publics. Enfin, il devra concevoir des projets de programmes d’occupation.

Le Matin

“Vol Spécial”: réactions

Réactions au dernier film de Fernand Melgar dans le courrier des lecteurs de 24 Heures.

Honte à Fernand Melgar!

On nous apprend que le documentaire Vol spécial est en réalité une fiction glauque. Fernand Melgar présente des internés et des expulsés de notre pays comme les victimes d’un système dégradant, alors que la réalité est bien différente. Certains acteurs sont en fait des criminels qui ont leur place non pas dans une salle de cinéma, mais en prison, et le cinéaste prétend ignorer leur parcours délictuel.

Soit Fernand Melgar présente un documentaire, et dans ce cas il se renseigne et fait un travail en profondeur, soit il se borne à faire de la fiction. Il prétend que c’est un film d’auteur, qui ne dit pas ce qu’il faut penser. Pouvons-nous en déduire qu’il réalise un film militant juste pour susciter l’émotion, alors qu’il sait pertinemment que ses «acteurs» n’en sont pas dignes?

La catharsis grecque de Fernand Melgar nous permet en effet de vivre une expérience commune, celle de considérer son film comme un «vol très spécial». Il travestit la vérité pour caricaturer notre système judiciaire et pour jouer sur le registre de l’émotion. Plus grave encore, il s’adresse dans les écoles à des enfants qui ont la naïveté de le croire. Non, M. Melgar ne cherche pas le débat comme il l’affirme, mais bien à désavouer une Suisse qui ne lui convient pas. Une Suisse qui a des lois et qui entend les faire respecter.

Dany Schaer, Saint-Cierges

Un film très poudre aux yeux

Si les renvois s’apparentent aux méthodes du Dr Eichmann, le film de propagande d’un humanitariste à sens unique professionnel, M. Melgar, n’a rien à envier à celles de la Propagandastaffe l du Dr Goebbels.

Les familles sinistrées des jeunes malades drogués apprécieront sa complaisance larmoyante à l’égard d’un requérant dealer, bien habile en manipulation de ceux que Lénine qualifiait d’«idiots utiles» à sa cause, en l’occurrence faire s’apitoyer les bonnes âmes et consciences du bon peuple sur le sort d’un marchand de mort, issu des gros bataillons venus exercer leur sale et funeste commerce en un pays laxiste à souhait. Un os dans le casting!

A trop défourailler sans discernement, on finit par se tirer une balle dans le pied! Un retour de boomerang! Ce film tombe à pic pour être le meilleur vecteur de communication de la nouvelle initiative immédiatement applicable de l’UDC sur le renvoi des criminels étrangers. A voir au second degré! Merci du coup de main!

Ne changez rien à un film très poudre aux yeux, sans héroïne, qui se pique d’un casting stupéfiant, j’en ai vite eu ma dose. A trop patienter dans l’antichambre des bons sentiments, on finit par sentir l’encaustique.

Jean-Claude Marchand, Saint-Saphorin-sur-Morges

Le cinéaste sait où sont les limites

A propos de l’éditorial de Thierry Meyer intitulé «Fernand Melgar, un militant en mission» ( 24 heures du 3 octobre 2011).

Revenant sur l’affaire de Vol spécial , M. Meyer écrit que Fernand Melgar s’affiche avec un vendeur de drogue et un menteur. Pense-t-il vraiment que ce soit en toute connaissance de cause?

Cette affirmation m’a littéralement écœuré. Nous connaissons assez le cinéaste pour savoir qu’il sait très bien où sont les limites. Il est un témoin engagé et assume les critiques de tous bords, mais ce faux procès est indigne de votre journal!

Benjamin Bourgeois, Ballaigues

Pourquoi discréditer une démarche courageuse?

L’ignorance engendre la haine, et l’insuffisance empêche d’adopter une vision différente de la sienne. Pourquoi discréditer le travail de M. Fernand Melgar, qui a le courage de dénoncer la «réalité politique» perverse des lois que nous votons et dont nous ne connaissons pas la portée?

Personne ne mérite de subir des mois d’incertitude et de se faire ligoter, bâillonner, entraver pour partir en «vol spécial» retrouver un pays où sa vie est en danger. C’est contraire aux droits de l’homme dont la Suisse est si fière.

L’attitude de certains journalistes est préjudiciable. S’acharner à trouver, à inventer un passé «trouble» chez des personnes courageuses relève de la méconnaissance du sujet qu’est l’asile, avec toute sa problématique.

Un parti politique en manque d’inspiration s’empresse de récupérer ce documentaire pour afficher des obscénités… Où allons-nous? Il semblerait que la Suisse ne connaisse pas les souffrances infligées par la guerre, que sa neutralité lui ait fait oublier les notions du sens de l’humain et du devoir. Disons stop à cette violence aveugle et gratuite!

Christine Nehring, Lausanne