jeudi 26 juillet 2007

«Adem n’a pas trahi»

A quelques exceptions près, les révélations de Philippe Leuba sur le passé de l’ex-employé communal n’ont pas entamé sa popularité. Dans le village, ce sont les méthodes du conseiller d’Etat qui sont critiquées.



SOLIDAIRES Comme un village résistant à l’envahisseur,
Bassins fait bloc derrière son ex-employé communal Adem Salihi.
Et peu importe l’aide au retour touchée il y a sept ans.
BASSINS, LE 25 JUILLET 2007


Mercredi, 12h30, place de la Couronne à Bassins. Le soleil de midi inonde la place vide. Pas un chat dans la rue principale de la bourgade (1047 habitants en 2006) qui domine La Côte. Seul le glouglou de la fontaine communale résonne. A croire que les révélations faites la veille par Philippe Leuba sur le passé d’Adem Salihi ont plombé l’ambiance.

Une impression qui se dissipe sitôt franchie la porte de la boulangerie. Derrière son comptoir, Pierrette Ballif fulmine et n’a qu’une chose à dire: «Ici, tout le monde est très fâché.» Ah bon, contre Adem? «Non, contre les journaux qui ont dit qu’il avait menti.» L’aide au retour de 2400 Deutsche Mark (1600 francs), touchée il y a sept ans par l’employé kosovar pour refaire sa vie dans son pays, ne change rien. Adem doit rester ici, point barre. «C’est scandaleux, poursuit l’employée de la boulangerie qui compte le sans-papiers parmi ses clients. Je peux vous dire que je n’ai pas affiché la manchette du Matin aujourd’hui (n.d.l.r.: elle titrait Le Kosovar Adem avait menti) et qu’ici, tout le monde le soutient à fond.»

Comme un complot
Quelques mètres plus loin, les chaises en aluminium de l’Auberge de la Couronne étincellent sur la terrasse déserte. A l’intérieur, on déguste le plat du jour à cinq tables. Ce mercredi, c’est rôti de porc, pommes sautées et brocoli. Au menu des conversations, Paléo et retour de vacances. Adem Salihi, vous connaissez? Les visages se ferment. Oui, certains le connaissent mais ne veulent pas parler. «Ça suffit», nous intime-t-on sèchement.

Overdose de médias ou malaise face aux nouveaux éléments amenés la veille par Philippe Leuba? Rien ne filtre, mais quelques-uns admettent avoir mal vécu ces révélations: «Il a triché et doit être puni», nous lance-t-on. Attablé en retrait, Gilbert Rodriguez vient tout juste de terminer l’article consacré à l’ex-employé communal. Il est loin de partager l’avis selon lequel Adem Salihi doit être puni. Non, il ne se sent pas trahi. Il continuera à soutenir celui qui lui a rendu de nombreux services, même si «certains changeront sans doute leur fusil d’épaule». D’ailleurs, il connaît bien Adem. Masseur médical, il lui a remis l’appartement où il tenait son cabinet il y a cinq ans. «Je trouve toute cette histoire d’aide au retour bizarre et je ne comprends pas pourquoi elle sort maintenant. C’est comme s’il y avait complot.»

On n'aurait pas fait tant d'histoires pour un riche
Complot, excuse bidon, moyen de justifier une décision absurde: les qualificatifs fusent pour expliquer la décision de Philippe Leuba de ne pas transmettre le dossier du Kosovar à Berne. Et peu importe si le document exhibé par le nouveau chef du Département de l’intérieur condamne leur protégé: «On n’aurait pas fait tant d’histoires pour un riche arabe désireux de venir vivre en Suisse», lâchent devant leur maison Claude et Suzanne Soupart.

Installé dans la bourgade depuis dix ans, le couple soutient lui aussi Adem. Claude Soupart a même écrit personnellement à Jean-Claude Mermoud, alors en charge du dossier, pour plaider le cas. Sans succès. «M. Mermoud n’a rien voulu savoir.»

Un article de 24 Heures

Pinaillage juridique

Sens politique, «pinaillage» juridique. Parce que les deux traits sont au carquois personnel de Philippe Leuba, l’aide au retour touchée par Adem Salihi (24 heures d’hier) a finalement été exhumée. Explications.

Il s’y était engagé. Dès sa prise de fonction, le nouveau chef du Département de l’intérieur a demandé au Service de la population (SPOP) des vérifications. Notamment sur le fameux article 13?f de l’Ordonnance d’application de la loi sur le séjour des étrangers. Question: que sont exactement ces «cas de rigueur», qui permettent des demandes de régularisation exceptionnelles? C’est le seul trou de souris encore ouvert au Kosovar de Bassins.

Première réponse du SPOP. Dans les documents, il y a la demande de réexamen du cas Salihi, notamment en regard de la requête de divorce de sa femme. «J’ai voulu savoir s’il existait un arrêt de l’Office des migrations (ODM) ou du Tribunal administratif fédéral sur un cas semblable», explique Philippe Leuba. Remontée des questions à Berne, où leur précision oblige à un déficelage complet du dossier Salihi. C’est là qu’on découvre les 2400 DM versés en 2000. Dans la grande vague de leur retour après la guerre, plusieurs milliers de réfugiés en Suisse en avaient à l’époque bénéficié.

Mais pourquoi a-t-on su si tard? «Ce dossier est le mien depuis juillet, je ne m’exprime pas sur ce qui s’est passé avant», dit Philippe Leuba. Son prédécesseur Jean-Claude Mermoud est autour du Mont-Blanc, endroit où, même relayées par un SMS de sa femme, nos questions ne passent apparemment pas. Site de la demande initiale d’asile, Glaris avait peu de raison de se manifester. L’aide au retour était versée directement par la Confédération, le plus souvent sur place, à Pristina. Et l’ODM? «Dans les cas de réexamen, on ne regarde généralement pas tout le dossier, on se focalise sur les critères invoqués», répond le porte-parole Dominique Boillat.

Le plus vraisemblable, c’est que Vaud n’a pas su parce qu’il n’a pas assez demandé. A sa décharge, il avait peu de raison de le faire, Adem étant – déjà – hors des critères bernois. Mais il a fallu un changement de titulaire du dossier pour en être absolument certain.

LAURENT BUSSLINGER
COLLABORATION ANTOINE GROSJEAN