lundi 18 janvier 2010

Lausanne trie les sans-abri selon leur origine

Lausanne abandonne une partie de ses SDF sur le pas de porte


Paru le Samedi 16 Janvier 2010 - LE COURRIER - MICHAËL RODRIGUEZ

HÉBERGEMENT - Débordées, les structures d'accueil doivent refuser régulièrement des immigrés sans abri. La ville ne veut pas en faire plus.

A Lausanne, tous les SDF ne sont pas logés à la même enseigne. Roms et immigrés d'Afrique de l'Ouest ou du Maghreb trouvent régulièrement porte close à l'entrée des trois structures d'accueil de la ville. Débordées, ces dernières donnent la priorité aux sans-abri de la région lausannoise. Les autres sont acceptés au compte-gouttes. Et cela ne risque pas de changer: la ville refuse d'étoffer son dispositif, qui compte actuellement 80 lits.

La crainte de l'appel d'air

«Nous n'allons pas augmenter la capacité d'accueil, parce qu'elle répond aux besoins des gens de la région, confirme Jean-Christophe Bourquin, municipal en charge de la Sécurité sociale. Nous n'avons pas à nous occuper des gens de tout le canton.»

Pour l'élu socialiste, l'ouverture d'un nouveau lieu provoquerait un appel d'air. «Si je crée 50 places supplémentaires, elles seront pleines. Lorsque l'on propose une offre, la demande suit immédiatement.» Un phénomène qui serait particulièrement problématique dans le cas des sans-papiers. «S'agissant de personnes qui n'ont pas de situation légale, c'est délicat de dire que tout le monde peut venir ici», juge Jean-Christophe Bourquin.

Pourtant, la possibilité d'avoir un toit n'est-elle pas une question de dignité humaine plutôt que d'origine et de statut? «A ma connaissance, personne ne dort dans la rue à Lausanne, rétorque le magistrat socialiste. En tout cas, la police n'en voit pas.»

Ce que font les sans-abri recalés, Jean-Christophe Bourquin ne le sait pas. «Je constate qu'ils se débrouillent. Ce n'est pas mon rôle de me renseigner sur ce qui advient d'un Rom qui a choisi de venir à Lausanne, tant que cela ne provoque pas de catastrophe humanitaire.» Le municipal ne craint pas non plus un drame, et les critiques que ne manqueraient pas d'essuyer les autorités. «Même avec cent places de plus, si quelqu'un meurt, on me le reprocherait!»

Un hôtel zéro étoile?

Selon Michel Cornut, chef du Service social de Lausanne, certains Roms passent la nuit dans leur voiture. «Ce sont souvent les mêmes qui reviennent chaque année, ils sont relativement bien organisés et je peux imaginer qu'ils ont une solution alternative.» Pour Michel Cornut, il serait peut-être judicieux d'ouvrir un «hôtel zéro étoile, très bon marché, où les voyageurs pourraient réserver leur place puisque leurs séjours sont planifiés».

Le chef du Service social reconnaît que la situation n'est pas facile à gérer pour les veilleurs des structures d'accueil. «Il y a quelques mois, j'ai adressé une note aux autorités pour les informer de ce problème», précise-t-il.

«A l'entrée, au moment de sélectionner les personnes, ce n'est pas facile, surtout s'il fait froid, s'il pleut ou s'il neige», relate Eliane Blanc, adjointe de direction à l'Armée du salut, qui gère le Foyer de la Marmotte. «Cela nous arrive d'accepter des personnes surnuméraires, pour qu'elles ne finissent pas dans la rue.»

A Genève, outre les lieux d'accueil privés, un abri PC d'une centaine de places est ouvert chaque hiver par la ville. Cette année, un deuxième lieu a été créé pour héberger des enfants Roms avec leurs mères. Ces deux structures sont entièrement gratuites, et ne refusent personne dans les périodes de grand froid. Commentaire de Jean-Christophe Bourquin: «Les gens qui ne trouvent pas de place à Lausanne n'ont qu'à aller à Genève!»

Dans les structures d'accueil lausannoises, les sans-abri doivent s'acquitter d'une contribution de cinq francs. «Mais dans les situations d'extrême urgence, on ne va pas laisser quelqu'un dehors parce qu'il ne peut pas payer», précise Michel Cornut.

Le canton pas au courant

En tant que cofinanceur des lieux d'hébergement, que dit le canton de la situation des sans-abri à Lausanne? «En cas de surcharge ponctuelle, il revient aux communes de trouver des solutions de secours, par exemple en mettant à disposition un abri PC, affirme le ministre de l'Action sociale, Pierre-Yves Maillard. Si le problème est chronique, le canton peut intervenir en soutenant financièrement une structure permanente.»

Mais après l'ouverture récente de lieux d'accueil à Yverdon et Vevey, le canton ne prévoit rien de tel à Lausanne. Et ce pour une raison simple: selon Pierre-Yves Maillard, l'Etat n'a pas connaissance d'une situation de pénurie dans les structures d'accueil. En revanche, les autorités vaudoises cherchent des solutions d'hébergement pour d'autres types de populations, comme les personnes touchant l'aide sociale et qui ont été expulsées de leur appartement. I


Des sans-abri de seconde zone

Commentaire - MICHAËL RODRIGUEZ

On connaissait l'imagination débordante des autorités suisses pour restreindre l'accès des requérants d'asile déboutés à l'aide sociale. Et pourtant, même ces derniers – du moins en théorie – ont droit à un hébergement d'urgence.

A Lausanne, ville gouvernée par une écrasante majorité de gauche, le sort des sans-abri dépend de leur origine. Comme si, face à un besoin aussi élémentaire que celui d'avoir un toit et d'être à l'abri du froid, il existait plusieurs degrés d'êtres humains. Le tarif indigène pour les Lausannois, le tarif étranger pour tous les autres. On se demande d'ailleurs comment cette distinction peut être appliquée, dès lors qu'à Lausanne les sans-abri n'ont – heureusement – pas à fournir de pièce d'identité à l'entrée. Mais peut-être ont-ils emporté leur acte d'origine?

Plutôt que d'admettre que la capacité des structures d'accueil lausannoises est insuffisante, le municipal socialiste en charge du dossier, Jean-Christophe Bourquin, emprunte à la droite dure la thèse nauséabonde de «l'appel d'air». Comme si les abris PC de la région lausannoise risquaient de devenir une destination touristique de premier plan.
A Genève, Manuel Tornare – lui aussi socialiste – vient à l'inverse d'ouvrir un nouveau lieu d'accueil, s'attirant les foudres de la droite qui craint un... appel d'air. Peut-être les deux «camarades» auraient-ils deux ou trois choses à se dire. Au risque que cela crée quelques courants d'air.

Les immigrés, dernier rempart contre la mafia?

Migrations et démographie

Italie - Les immigrés, dernier rempart contre la mafia

Publié le 11 janvier 2010 | La Stampa

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La révolte des saisonniers africains, en Calabre (Sud), lève une fois encore le voile sur leurs conditions de vie. Malgré leur situation déplorable, ils sont les seuls à oser s'insurger contre les mafias qui sévissent en Italie, remarque l'éditorialiste Barbara Spinelli.

L’avenir dans lequel nous sommes d’ores et déjà plongés commence dans la Plaine de Gioia Tauro : à Rosarno, dans la province de Reggio de Calabre où une authentique guérilla urbaine a eu lieu entre le 7 et le 10 janvier. C’est ici que se concentrent les principaux problèmes de notre civilisation : des populations entières qui fuient la pauvreté et la guerre ; les craintes qui polluent la vie des immigrés et des habitants ; les chasses à l'homme contre ceux qui sont "différents" et une mafia mondialisée. A ceci s’ajoute l’impossibilité de stopper des flux migratoires, car depuis longtemps on ne trouve plus d’Italiens ni de citoyens des pays riches disposés à faire, au même salaire, le travail de ces Africains. Et enfin, l’hypocrisie de ceux qui croient que la réponse réside dans une identité monoculturelle qu’il s’agirait de retrouver. A Rosarno, les noirs se battent contre les rondes privées organisées par les habitants, infiltrées par la ’Ndrangheta [la mafia calabraise] et armées de fusils. Pour le ministère de l'Intérieur, les révoltes sont associées non pas à la mafia, mais à l’immigration clandestine qu’il veut éradiquer, résolvant ainsi tous les maux. C’est un leurre.

Depuis des années, l'Italie a une sombre réputation et instille la peur chez ses immigrés. Le comble de l’impudeur est atteint lorsque nos ministres citent les révoltes des immigrés en Espagne ou en France, comme si les erreurs des autres pouvaient ennoblir les nôtres. Comme s’il n’existait pas, en Italie, ce mal supplémentaire qu’est la mafia. Les révoltes de ces jours derniers sont en fait la conséquence et le révélateur de l’échec de l’État. Les révoltes d’aujourd’hui ont en effet une longue histoire. Les immigrés qui, à Rosarno, ont réagi avec une rage destructrice sont les mêmes qui, en décembre 2008, s’étaient rebellés contre la ’Ndrangheta. Quatre d'entre eux avaient été blessés et les Africains avaient fait alors quelque chose que depuis des années les Italiens ne font plus : ils étaient descendus dans les rues pour demander à l’Etat plus de justice, plus de légalité. Ils avaient courageusement contribué aux enquêtes des magistrats, brisant l’omertà et prenant des risques. Alors qu’ils n’avaient pas de permis de séjour, ils avaient dénoncé leurs agresseurs à visage découvert.

Les raisons de la colère

Il est donc vrai, comme l’a écrit aussi l'auteur de Gomorra, Roberto Saviano, que les Africains sauveront Rosarno et peut-être l’Italie. Il y a un peu plus d'un an, les Africains de Castel Volturno s’étaient révoltés, après qu'un groupe de membres de la Camorra, la mafia napolitaine, avaient tué six d'entre eux de sang froid. Ce qui s’est passé ensuite ne fut qu'un désastre prévisible, et pour s’en rendre compte, il suffit de voir les conditions de vie de ces Africains, dénoncées par les organisations antimafia. La vidéo réalisée par Médecins sans Frontières en 2008, parle de crise humanitaire dans la plaine de Gioia Tauro. Difficile de décrire autrement ces Africains qui vivent dans des bâtiments industriels abandonnés, entourés de feux et surtout de montagnes d’ordures, dans des abris de carton ou des tentes sans sanitaires. Des paysages qui rappellent Gaza, les bidonvilles du Pakistan. Il est faux de prétendre que cette obscénité est le résultat d’une tolérance excessive envers les immigrés clandestins. C’est nous qui avons appelé ces Africains pour qu’ils viennent ramasser les oranges, sachant que personne ne le ferait à ce prix (25 euros pour une journée de 16 à 18 heures ; dont 5 euros vont dans la poche des contremaîtres mafieux et des chauffeurs de bus).

Après avoir toléré tout cela, et déversé dans la région des millions d’euros qui sont tombés dans les mains des mafieux ou des politiques véreux, la stupeur n’est plus de mise. Le tumulte de ces derniers jours n’a rien de surprenant : si ces Africains ne sont pas considérés comme des hommes, il est impossible que, comme dans les Raisins de la colère de John Steinbeck, n’éclate pas, tôt ou tard, la révolte. On dit que, à force de renoncer à nos racines et de vivre entourés de gens qui ne sont pas comme nous et nous condamnent au métissage, nous sommes en train de perdre notre identité. C'est un mensonge aussi. En réalité, nous avons déjà changé : non pas parce que le métissage est d’ores et déjà une réalité, mais parce que notre identité n’est plus celle - curieuse, accueillante, poreuse - qui fut la nôtre lorsque nous émigrions en masse et étions confrontés à la violence. L’identité que nous avons perdue, nous ne la retrouverons que si nous ne la trahissons pas, en nous inventant une fausse identité. Seulement si nous découvrons que le problème que nous avons à résoudre n’est pas celui de l’identité italienne, mais de l’identité humaine.

Barbara Spinelli

Nouveaux immigrés

Un Africain part, un Roumain le remplace

"Celui qui veut voir où et comment se met en place la prochaine bombe sociale qui - d'un moment à l'autre - éclatera à Gioia Tauro n'a qu'à aller faire un tour là-bas", écrit La Stampa. Avant même que les saisonniers africains n'aient quitté la région, une autre communauté de travailleurs immigrés saisonniers s'y est déjà enracinée : celle des Roumains et des Bulgares, "qui n'ont pas besoin de permis de séjour, pour lesquels les employeurs italiens n'encourent qu'une amende pour travail au noir et ne risquent pas d'être dénoncés pour immigration clandestine." "Ils s'insèrent mieux et ont déjà commencé à les remplacer", confie au journal un exploitant agricole de la région. Malgré la guerre déclenchée par la 'Ndrangheta, les immigrés et leur salaires ridicules sont indispensables à la fragile économie des oranges, dont les profits diminuent chaque année. Au point que beaucoup d'agriculteurs "préfèrent même ne pas organiser la cueillette, se contentant de toucher les subventions de l'Union européenne (de 800 à 1 200 euros par hectare) et d'économiser le salaire des immigrés africains".

Immigrés : quelques raisons de se révolter

OPINION • La stupeur n’est plus de mise

14.01.2010 | Barbara Spinelli | La Stampa


© AFP Rosarno (Italie), 9 janvier 2010. Un immigré africain devant le tag "Ne tirez pas sur les noirs", au lendemain des heurts qui ont secoué cette ville de Calabre.

L’avenir dans lequel nous sommes d’ores et déjà plongés commence dans la plaine de Gioia Tauro, à Rosarno, dans la province de Reggio di Calabria, où une authentique guérilla urbaine a eu lieu entre le 7 et le 10 janvier. C’est là que se concentrent les principaux problèmes de notre ­civilisation : des populations entières qui fuient la pauvreté et la guerre, les chasses à l’homme contre ceux qui sont “différents” et une mafia mondialisée. Pour le ministère de l’Intérieur, les révoltes sont associées non pas à la Mafia, mais à l’immigration clandestine qu’il veut éradiquer, résolvant ainsi tous les maux. C’est un leurre. Les révoltes de ces derniers jours sont révélatrices de l’échec de l’Etat. Les immigrés qui, à Rosarno, ont réagi avec une rage destructrice sont les mêmes qui, en décembre 2008, s’étaient rebellés contre la ’Ndrangheta [la mafia calabraise]. Quatre d’entre eux avaient été blessés, et les Africains avaient alors fait quelque chose que les Italiens ne font plus depuis des années : ils étaient descendus dans les rues pour demander à l’Etat plus de justice. Ils avaient courageusement contribué aux enquêtes des magistrats, brisant l’omertà et prenant des risques. Alors qu’ils n’avaient pas de permis de séjour, ils avaient dénoncé leurs agresseurs à visage découvert. Il est donc vrai, comme l’a écrit également l’auteur de Gomorra, Roberto Saviano [dans La Repubblica du 9 janvier], que les Africains sauveront Rosarno et peut-être l’Italie. Il y a un peu plus d’un an, les Africains de Castel Volturno s’étaient révoltés, après qu’un groupe de membres de la Camorra, la mafia napolitaine, avait tué six d’entre eux de sang-froid. Nous avons toléré tout cela et déversé dans la région des millions d’euros qui sont tombés dans les poches des mafieux ou des politiques véreux. Mais, désormais, la stupeur n’est plus de mise. Le tumulte de ces derniers jours n’a rien de surprenant : si ces Africains ne sont pas considérés comme des hommes, il est impossible que, comme dans Les Raisins de la colère de John Steinbeck, n’éclate pas tôt ou tard la révolte.



ITALIEImmigrés : quelques raisons de se révolter

L’explosion de colère des travailleurs clandestins à Rosarno, en Calabre, a mis en lumière leurs conditions de vie inhumaines. Mais, note La Stampa, du nord au sud du pays, le sort des saisonniers diffère grandement.

14.01.2010 | Jenner Meletti | La Repubblica

Le soir, Cheikle le Sénégalais et Jaroslaw le Polonais s’écroulent, morts de fa­tigue. Cheikle a ramassé les oranges dans la plaine de Gioia Tauro [en Calabre] ; Jaroslaw a cueilli les pommes dans le Val di Non [dans le Trentin, dans le nord du pays]. Leur seul point commun : les gestes et la fatigue. Cheikle travaille pour 1 euro de l’heure. Huit à dix euros par jour, c’est tout ce que le contremaître lui laisse dans la main. Quand la nuit interrompt la récolte, il doit revenir à pied vers un entrepôt à l’abandon où, entre des cloisons de carton, il retrouve un matelas et une marmite de riz à partager avec d’autres malheureux. Jaroslaw gagne 7 euros net de l’heure, soit 56 euros par jour ; au déjeuner comme au dîner, il s’assied à la même table que les patrons qui produisent les pommes Melinda. Il dort dans une chambre avec des toilettes et un réchaud pour le premier café de la journée.

Elle n’est pas partout la même, cette Italie qui “offre” du travail à ceux qui viennent de loin. Heureusement, ce n’est pas partout l’enfer. “C’est ici, chez nous, qu’a lieu l’exploitation de la pire espèce”, reconnaît Pietro Molinaro, président de Coldiretti Calabria [syndicat des exploitants agricoles de Calabre]. Les ‘caporaux’ touchent, pour chaque travailleur étranger amené dans les champs, de 20 à 30 euros par jour. L’ouvrier agricole, lui, perçoit tout au plus 10 euros. Rosarno n’est que la partie émergée de l’iceberg. L’exploitation des immigrés met aussi en péril les nombreuses entreprises honnêtes, qui subissent une concurrence déloyale. En Calabre, il n’y a pas seulement les ‘maisons en carton’ des travailleurs étrangers. Il y a aussi l’‘huile en carton’ et les ‘oranges en carton’, c’est-à-dire des entreprises qui n’existent que sur le papier et qui arrivent à se faire attribuer des subventions par l’Union européenne et des primes avec de fausses factures et de fausses inscriptions au registre du commerce. Au port de Gioia Tauro arrivent des citernes de jus d’oranges du Brésil et des cargos d’oranges d’Espagne que l’on fait ensuite passer pour des produits italiens. Même sans la concurrence déloyale, le marché est déjà difficile. Les oranges de table sont payées 27 centimes le kilo et sont vendues 1,55, soit une marge de 474 %. Pour les oranges à jus, on offre au producteur 6 centimes par kilo.” Dans tout le pays, on trouve des “enclaves” de nouveaux esclaves. Dans le Trentin, à la saison des pommes, les Africains arrivent du sud de la péninsule, où ils ont ramassé les tomates. Dans la région de Mantoue, on fait la queue pour se faire embaucher dans les champs de fraises et de melons… “Ici, dans le Val di Non, l’an passé”, se souvient Danilo Merz, directeur de Coldiretti, dans le Trentin, “des volontaires ont monté de grandes tentes pour accueillir les ramasseurs étrangers. Ils ont besoin de nous et nous, nous avons besoin d’eux. Ça n’a pas toujours été facile. Quand la loi Bossi-Fini [qui conditionne la présence sur le sol italien au permis de travail] a été promulguée, la police est venue relever les empreintes des travailleurs étrangers. Les étrangers – ils sont entre 6 000 et 7 000 – ont des contrats qui leur assurent un salaire de 7 euros de l’heure pour la récolte des pommes Melinda, ainsi que des repas et des logements : 3 à 4 euros pour un lit, 5 pour un repas. En hiver, des gens du Trentin vont en Roumanie ou en Pologne chercher les ramasseurs, qui, au fil du temps, se sont ‘fidélisés’. Pour nous aussi, le problème, c’est le marché. On vend nos pommes Melinda 50 centimes le kilo. Voyez vous-même les prix chez votre marchand.”

Il y a des travaux que les Italiens ne savent plus faire. “Dans les élevages”, dit Mauro Donda, qui représente les cultivateurs de la région de Brescia, “il y a 2 000 employés étrangers. Presque 1 000 étrangers d’origine indienne travaillent dans les étables avec les bovins, pour des salaires de 1 200 à 1 600 euros par mois, pour six heures et demie de travail quotidien. Six jours par semaine. Mais il faut se lever avant 4 heures et retourner à l’étable l’après-midi.” Rauscedo, dans le Frioul, est le seul endroit du nord de l’Italie où l’on trouve en ce mois de janvier des ouvriers agricoles étrangers, 700 hommes et femmes, qui travaillent dans une grande coopérative qui fait pousser des provins, les nouveaux pieds de vigne. Certains arrivent de Biélorussie, pour sélectionner les 60 millions de marcottes [partie d’une plante qu’on sépare du pied quand elle a pris racine] qui seront envoyées dans le monde entier. Un ouvrier de base gagne 63 euros net par jour, soit le salaire d’une semaine pour Cheikle le Sénégalais, de Gioia Tauro. Et encore, si le caporal tient parole.