samedi 11 novembre 2006

A Bex, la tentation du repli

Lire l'article du Temps
L'opération de police menée jeudi contre les trafiquants de drogue africains intervient dans un contexte politique tendu: une initiative UDC demande la réaffectation du centre de requérants.

Dans les coulisses de l'opération de Bex

Lire l'article de Philippe Maspoli dans 24heures en ligne
Il a fallu trois semaines de préparation et 180 policiers pour arrêter jeudi soir 24 personnes. Une action coup-de-poing, menée avec l’aide de la Sûreté valaisanne, destinée à «déstabiliser les dealers».

Trois semaines. Il n'a fallu que trois semaines pour monter l'action qui a frappé, dans la nuit de jeudi à vendredi, les dealers et les toxicomanes de la «scène de la coke» à Bex. Une imposante machine de guerre impliquant 180 policiers a été mise sur pied. «Il fallait agir vite, parce que ça change vite», explique Jean-Christophe Sauterel, porte-parole de la police cantonale.

100 kilomètres pour une boulette

Les spécialistes de la brigade des stups valaisanne observaient les va-et-vient des consommateurs de leur canton. L'un d'eux n'a pas hésité à parcourir 100 kilomètres pour se procurer une boulette contenant de 0,1 à 0,2 gramme de cocaïne. Interpellations, interrogatoires: tout converge vers Bex.

Dans la petite ville chablaisienne, le travail de reconnaissance des inspecteurs vaudois est difficile. Les dealers sont méfiants et organisés. «Il y avait des guetteurs. Chaque fois qu'un véhicule inconnu se montrait, ou que des policiers apparaissaient, l'alerte était donnée. Des dealers sont partis à Nyon pour deux boulettes», affirme Jean-Christophe Sauterel.

Cette enquête policière de proximité et 54 interpellations ont abouti à une petite prise de marchandise: 50 grammes de cocaïne, 160 grammes de marijuana, un gramme d'héroïne. près de 15 000 francs en liquide. C'est peu, si l'on songe aux 4,5 kilos de coke saisis en 2005 et aux 3,8 découverts pendant les seuls trois premiers mois de 2006. La police visait les dealers et les consommateurs. Pas les trafiquants, ces grossistes qui brassent la drogue par kilos. Sur les 24 personnes gardées en cellule, il n'y aurait pas plus de deux «gros poissons».

Alors, importante opération, vraiment? «Oui, en termes de visibilité», répond le commandant de la police cantonale, Eric Lehmann. «Non en termes de planification d'actions répétitives destinées à éradiquer des phénomènes criminels identifiés. Voire à les prévenir, par un harcèlement systématique».

L'autre objectif était de faire un exemple auprès des patrons de bistrot. Les dealers quittent la rue pour les appartements et les établissements publics. Or les tenanciers «connaissent leur clientèle, ils voient ce qui se passe», estime la police. Les responsables des deux bistrots fermés à Bex risquent une dénonciation pénale en plus de la perte de leur licence.

Proche du Valais, Bex apparaît comme une plaque tournante pour les dealers de coke. Cette drogue, qui a détrôné l'héroïne, vient d'Amérique du Sud et transite par l'Espagne et les Pays-Bas. Son marché est contrôlé par des Africains de l'Ouest. Parmi les 24 personnes incarcérées, on trouve deux Suisses et un Italien. Mais aussi 15 requérants d'asile, 3 personnes frappées de non entrée en matière (NEM), 3 étrangers en situation irrégulière; des Africains pour la plupart. On touche à un point hypersensible, le centre de requérants de la Fareas. Jean-Christophe Sauterel résume prudemment: «Les dealers ne sont qu'une minorité des requérants. Mais parmi les dealers, la majorité sont des requérants».
Entre indignation et fatalisme, la population bellerine accuse un nouveau coup dur

RÉACTIONS Les patrons des deux établissements publics fermés par la police du commerce ne décolèrent pas et annoncent un recours. Leurs voisins font preuve de fatalisme.

«Nous allons opposer un recours à cette décision auprès du Tribunal administratif et intenter un procès en dommages et intérêts à la Fareas, qui est directement en lien avec l'événement. Il est inadmissible de pousser ainsi toute une famille à la faillite!» Fiduciaire de l'établissement Le Central Pub – fermé par la police du commerce –, le Vouvryen Charles Sudan (Sud Finance SA) était hier matin déjà à son clavier ou presque. «Je consulterai mon conseiller juridique au plus vite!», confiait hier soir pour sa part Serge Cottier, tenancier du bar Le City, autre établissement fermé. En larmes, la patronne du Central ne décolère pas contre les forces de l'ordre et les règlements en vigueur. A l'entendre, les toilettes de l'établissement, situées dans un couloir accessible de l'extérieur, servaient de «planque» aux dealers. La direction décidait en août dernier de les fermer, confiant la clé au service. «La police de Bex nous a obligés à les rouvrir, sous prétexte que nous sommes un établissement public», sanglote la patronne.

Victime de la justice en juin dernier, après l'expulsion trop «musclée» d'un dealer africain, le patron du Grotto du Chablais, Békim Syla, jette sur les faits un œil averti: «Je connais personnellement les deux tenanciers. Ils n'étaient certainement pas liés au trafic de drogue, mais n'avaient peut-être pas le courage de s'y opposer».

Un mal récurrent?

Malmené «par erreur» lors de l'opération musclée de la veille, le jeune Pedro Portillo fustige ce coup d'éclat policier, après de longues heures d'insomnie passées dans les locaux inconfortables de Rennaz. «On n'arrête pas les trafiquants avec un tel système. Les gros bonnets sont libres dans Bex à cette heure!»

La fleuriste Catherine Dreier, spectatrice du théâtre quotidien de la drogue sur la place du Marché, commente l'événement avec le même fatalisme: «Pour une journée au moins, il y a aura moins de crachats et de cannettes de bière par terre». Satisfaction toutefois: «La Fareas ne pourra plus prétendre qu'elle n'abrite pas de dealers.» Partisan de la fermeture du centre d'accueil, André Corboz (UDC) avoue vivre «un grand jour», à deux semaines d'une votation historique. Sans croire non plus à l'excellence de la formule: «Faire place nette pour dire que tout va bien, c'est s'exposer à revivre la même situation dans quelques mois!»

«Le jeu de l’UDC»

CLAUDE BÉDA


«Cette action policière, que je salue, apporte de l'eau au moulin de l'UDC. J'espère au moins qu'elle servira à faire comprendre notre point de vue: Bex ne peut pas accueillir davantage que trente requérants d'asile, bien encadrés de surcroît.» Michel Flückiger, syndic (socialiste) de Bex estime que l'opération de jeudi soir pèsera de tout son poids sur le scrutin communal du 26 novembre. Ce jour-là, les Bellerins s'exprimeront sur l'initiative de l'UDC «Pour que Bex retrouve sa sérénité», visant la fermeture du centre de la Fareas et sa réaffectation. Jusqu'ici, elle était combattue par tous les partis communaux, exceptés l'UDC et Ouverture, qui n'a pas donné de mot d'ordre à ses électeurs. «Le principal argument des opposants est d'ordre financier (n.d.l.r.: la commune pourrait être amenée à racheter le bâtiment, s'il devait être réaffecté ), commente Charles-Henri Grept, chef de file du comité d'initiative. Pour ma part, j'applaudis l'action de la police et souhaite que le centre soit fermé. Mais peut-être d'aucuns pensent-ils désormais que la situation s'est suffisamment assainie.»

«S'il faut nous organiser sans cette structure, c'est possible», confie Pierre Imhof, directeur de la Fareas. Quant à la police, elle se défend d'avoir choisi un moment crucial pour intervenir, à entendre Jean-Christophe Sauterel: «Nous ne faisons pas de politique et nous agissons à la demande du juge.»