lundi 19 décembre 2005

Famille Isakovics. De la Bosnie à Yverdon



Dans l’appartement des Isako­vic, les rires de trois enfants résonnent. Exhibant la mé­daille de son fils, Jasmina parle avec fierté de la dernière vic­toire de Mehmed en taekwondo. On pourrait croire à une famille comme les autres, mais l’avenir des Isakovic s’an­nonce sombre. Un mois après la mère, le père vient de rece­voir une interdiction de travail. «Quand mon mari a reçu la lettre, il n’a pas mangé pendant deux jours. Il n’y croyait pas», confie Jasmina. L’inquiétude est compréhensible. Avec deux salaires, la famille vivait confor­tablement. Elle a même rem­boursé près de 40 000 francs à la Fareas. Comment vivront-ils à partir de janvier? «On n’a même pas envie de fêter Noël», soupire la mère. Le retour, la famille l’a déjà tenté sans suc­cès en 1998, elle ne peut le concevoir une nouvelle fois. «La situation était trop difficile, mon père ne trouvait pas de travail», se rappelle encore Belma, l’aînée des trois enfants.

Texte de CAROLE PANTET, photo de Odile Meylan
Lien vers la description du projet de 24heures

Tout bascule et l'on a rien à dire



Dans 24heures, Gabrielle Desarzens nous raconte l'histoire de deux adolescentes brésiliennes qui risquent une prochaine expulsion.
Marié à une Suissesse, leur père, arrivé clandestinement en Suisse il y a cinq ans, avait obtenu un titre de séjour. Après sa sépara­tion, toute la famille est mena­cée d’expulsion.

Lizi a 16 ans, sa soeur, Laiz, 14. Elles se font face, ce soir de décembre, de part et d’autre de la table familiale. L’émotion les gagne: «Je suis Brésilienne, mais je veux vivre ici en Suisse. Notre vie est là, c’est ici que nous avons nos amis», indique Lizi d’une voix qu’elle essaie de po­ser malgré les larmes qui la gagnent.
Elles sont arrivées du Brésil en Suisse avec leur père en 2000. Elles ont suivi la filière des clas­ses d’accueil avec succès, se sont bien intégrées. Aujourd’hui, l’aînée est en neuvième année prégymnasiale au collège des Bergières à Lausanne, section maths-physique. Elle souhaite enchaîner par un gymnase puis des études universitaires: elle caresse le rêve de faire méde­cine. Sa petite soeur, moins sco­laire, veut devenir esthéticienne. Leur père Marcos Rodrigues, au bénéfice d’un permis B jusqu’en juillet 2004, a demandé le réexamen de la terrible déci­sion pour la famille: c’est en mars dernier qu’il a reçu un avis d’expulsion. Bien qu’il ait dé­posé un mémoire argumentaire étoffé au Service de la popula­tion (lire encadré), ce dernier vient de maintenir son renvoi, et donc celui de sa famille. Au Tribunal administratif mainte­nant de rendre une décision dé­finitive. Une veille de Fêtes ca­tastrophique pour deux adoles­centes parfaitement intégrées.
«Nous renvoyer, comme ça, par lettre, cela ne se fait pas. Papa ne nous a pas tout de suite dit ce qu’il en était, il a essayé de nous protéger. Quand j’ai su que nous étions menacés d’être renvoyés, j’ai été choquée. C’est la première fois que je vis ça, vous savez, ce n’est pas possible. Et puis c’est notre avenir qui est en jeu», exprime Lizi. «Qu’est­ce qu’ils diraient, ceux qui pren­nent cette décision, s’ils étaient à ma place? A ma place, c’est-à­dire s’ils avaient fait les efforts que j’ai faits pour l’école, parce que je veux devenir quelqu’un, et s’ils voyaient tous leurs rêves s’effondrer d’un coup?» «Je trouve que c’est injuste, on ne fait rien de mal», poursuit sa jeune soeur. «Au début, je me réveillais la nuit, je faisais des cauchemars. Maintenant, mes notes ont baissé, j’ai parfois le moral à zéro.» Le Brésil? «Je ne pourrai ja­mais faire esthéticienne là-bas. Il faudrait que je récupère le por­tugais alors que j’ai gagné le français», indique encore Laiz. «Ce serait comme si j’avais perdu cinq années, et puis l’école publique ne donne aucune chance», souligne Lizi. «On ferait quoi? On joue là avec notre vie. La décision qui doit tomber peut tout faire bas­culer et nous, on n’a rien à dire.» A l’âge où l’on construit son avenir, les deux filles ont le sentiment que tout ce qu’elles ont réussi à poser dans leur vie est en train de s’écrouler. «Et c’est angoissant l’attente, vous savez. Il faut essayer de ne pas y penser, mais c’est dur.»

Premiers états généraux pour repenser la politique de la migration et de l’asile

Dans 24heures, Aline Andrey rédige un compte rendu de cette rencontre entre une quarantaine d’organisations alémaniques et romandes active dans la défense des requérants d'asile et des sans-papiers.
Le «réseau suisse pour la dé­fense des droits des migrantEs et des réfugiéEs» est né hier à Berne à l’issue des premiers états généraux de la migration et de l’asile. En résistance à la votation du 16 décembre des Chambres fédérales sur la révi­sion de la loi sur l’asile et celle sur les étrangers, quelque deux cents personnes provenant d’une quarantaine d’organisa­tions (ONG, syndicats, partis, Eglises) de Suisse alémanique et de Romandie se sont réunies. Le lancement d’une initiative pour une autre politique migra­toire a été longuement évoqué.
«Nous voulons que notre mou­vement ne soit pas seulement de résistance mais aussi un mouve­ment de propositions et de pro­jets », a relevé Balthasar Glättli, secrétaire général de Solidarité sans frontières, membre du co­mité d’organisation. Migrants, sans-papiers et requérants d’asile étaient également pré­sents. «Je crois que la communi­cation avec le peuple suisse est primordiale. Aujourd’hui il a peur de nous alors qu’il ne nous voit que de loin», a commenté, hors micro, Richard Tshima­nanga- Nkesé, requérant d’asile vivant à Zurich. En marge du lancement des deux référen­dums contre le durcissement de la loi sur l’asile et de la loi sur les étrangers, c’est une réflexion sur les actions offensives à moyen et à long termes qui a été discutée ce week-end.
L’intégration des migrants et des migrantes dans la campagne référendaire, la lutte au niveau politique mais aussi dans la rue, ainsi que la régularisation de tous les sans-papiers ont été quelques-uns des points forts soulevés en conclusion des états généraux.
Des actions concrètes aux idées utopiques, la manifesta­tion a surtout permis aux ac­teurs de la défense des requé­rants d’asile et des sans-papiers de s’unir pour la première fois malgré les clivages linguistiques et le cantonalisme. Un bémol: le Tessin n’a pas été représenté.

Un réseau européen
A peine sorti de l’oeuf, le «réseau suisse pour la défense des droits des migrantEs et des réfugiéEs» se tourne déjà vers une collaboration plus large, en se rapprochant du milieu asso­ciatif européen. «Face à la xéno­phobie en col blanc, nous de­vons tenir un contre-discours ensemble. Un tribunal interna­tional contre la xénophobie et le racisme d’Etat ou encore l’orga­nisation d’états généraux euroa­fricains sont des pistes d’ac­tion », a soulevé le Français Jé­rôme Valluy, enseignant-cher­cheur en sciences politiques.
Lucides, plusieurs militants n’ont pas caché que la lutte sera longue. Et que si la prochaine bataille, celle des référendums, était loin d’être gagnée, le mou­vement de résistance était en marche. Dans ce sens, l’organi­sation de nouveaux états géné­raux a été évoquée

Premiers Etats généraux de la migration et de l'asile

Des Suisses et des migrants ont lancé un mouvement national de résistance contre les deux lois sur l'asile et sur les étrangers votées la semaine dernière par les Chambres fédérales. Ils ont appelé à soutenir activement les référendums contre ces lois.

Durant le week-end, plus de 200 personnes et plus de 40 organisations en provenance de toute la Suisse ont participé à Berne aux premiers Etats généraux de la migration et de l'asile, ont indiqué les organisateurs dimanche.

A l'issue de la deuxième journée, les Etats généraux se sont conclus par la création d'un réseau suisse de solidarité pour la défense des droits des migrants et des réfugiés. Ce réseau doit renforcer l'action de résistance contre les nouvelles lois sur l'asile et sur les étrangers et établir des liens européens.

Lire le communiqué de l'ATS