jeudi 27 août 2009

L'UE en panne de solidarité face aux clandestins

La présidence suédoise de l'Union européenne va tenter de proposer, dès septembre, des avancées dans le dossier empoisonné de l'immigration. Un article de Jean-Jacques Mével dans le Figaro.

La Suède, présidente de l'UE et fière de sa tradition d'accueil, a quatre mois pour réussir là où beaucoup d'autres ont failli : mettre sur les rails une politique européenne crédible face à un afflux de réfugiés qui, via la Méditerranée, ne cesse d'enfler.

Le drame humain, marqué par la récente noyade de plusieurs dizaines de clandestins érythréens au large de l'île italienne de Lampedusa, se heurte de plein fouet à la réalité politique : la crise économique, la montée du chômage et le virage à droite des opinions européennes ne poussent ni à l'ouverture ni à la sérénité du débat sur l'immigration.

L'Europe du Sud sous la pression des flux migratoires

Stockholm et le commissaire français à la Justice, Jacques Barrot, ont pourtant décidé de proposer, dès septembre, une avancée sur deux chapitres clefs de ce dossier empoisonné. D'abord, la réinstallation dans le reste de l'Europe - et au bon vouloir de chaque capitale - d'une partie des irréguliers échoués au sud de l'Italie, en Grèce, en Espagne, à Chypre et à Malte. Jusqu'ici seule la France a entrouvert sa porte.

Pour la présidence suédoise, il faut aussi mettre sur pied une politique d'asile «plus efficace». Le droit européen n'impose que des normes minimales de protection. Stockholm veut s'atteler à une harmonisation de lois nationales. Ce serait le pendant logique de l'espace de libre circulation ouvert par l'Europe de Schengen. L'an dernier, quelque 70 000 clandestins ont traversé la Méditerranée dans l'espoir de forcer la porte de l'UE.

L'Europe du Nord et du Sud

Pour l'heure, l'impasse sordide des camps au Sud et le refus du Nord de se laisser imposer un «partage du fardeau» donnent une piètre image de l'Europe après ses sermons sur Guantanamo. Le Haut-Commissariat aux réfugiés de l'ONU a demandé lundi la fermeture immédiate d'un centre de l'île grecque de Lesbos, où s'entassent hommes, femmes et enfants. Les mêmes conditions prévalent à Pagani, une installation sans eau courante qui n'offre qu'un sanitaire par centaine de détenus. En Italie, à Chypre ou à Malte, d'autres centres d'accueil essuient la dénonciation régulière des ONG. «On ne peut pas continuer à traiter les gens comme ça !», insiste un haut responsable européen.

En première ligne face aux boat people venus d'Afrique et du Moyen-Orient, les pays méditerranéens de l'UE ont beau jeu de dénoncer l'absence de solidarité du reste de l'Europe. «Nous entendons de belles paroles, mais l'Europe ne nous a toujours pas dit que faire quand une vague d'immigrants s'abat sur nos côtes», répète Franco Frattini, chef de la diplomatie italienne et prédécesseur de Jacques Barrot à Bruxelles. Frustré, Rome prend le risque de la réprobation internationale et renvoie les irréguliers de l'autre côté de la Méditerranée, sans autre forme de procès. L'Italie est la première destination d'une bonne moitié des clandestins.

Les textes européens en vigueur entretiennent eux-mêmes l'afflux des irréguliers et la regrettable division des Européens. Pour demander le statut de réfugié, il faut atteindre physiquement l'UE. Faute d'un visa, le plus souvent refusé, reste l'entrée «en douce». Voilà pour l'afflux sur la façade maritime de l'UE. Une fois sur place, le droit d'asile n'est reconnu que par le pays qui a accordé sa protection. Résultat : même régularisés, les immigrants restent parqués au Sud. Pour eux comme pour le droit, l'Europe reste un inextricable labyrinthe.

La tension monte dans la «jungle» de Calais

La tension monte dans le plus gros campement de migrants à Calais, surnommé «la jungle», désormais géré par l'ethnie afghane pachtoune, alors que les possibilités de passage en Angleterre sont drastiquement réduites.

Clandestins. La tension monte dans la «jungle» de Calais. La «jungle» ? Un campement de tôles et de bâches dans un bois de la zone industrielle de Calais. Photo AFP

«Une seule personne passe de l'autre côté par semaine, c'est difficile et la police est un gros problème», déplore Malek, 12ans, dans un anglais très approximatif. Il vient d'une petite ville d'Afghanistan, près de Jalalabad avec son cousin Mohammed, 15ans. Arrivés clandestinement à Calais pour passer en Grande-Bretagne, leurs espoirs ont été douchés quand on leur a dit «qu'il faut aujourd'hui près de six mois de tentatives pour passer la Manche contre à peine un mois, il y a un an».
Destruction annoncée par Eric Besson
Tous deux vivent, depuis un mois, dans «la jungle», un campement de tôles et de bâches, dans un bois de la zone industrielle de Calais. Ils viennent de se faire soigner d'une épidémie de gale qui a touché près de 200 migrants. A l'entrée, près d'une fontaine installée récemment, ils surveillent les allées et venues de ceux qui défilent pour remplir bouteilles et jerricans. Tous craignent la destruction des campements d'immigrants du Calaisis, annoncée par le ministre de l'Immigration et de l'Identité nationale, Eric Besson, d'ici la fin de l'année.
Rêve d'une vie grandiose en Grande-Bretagne
Rencontré lors d'une visite inopinée aux douches du Secours catholique, réquisitionnées il y a deux semaines, le préfet du Pas-de-Calais, Pierre de Bousquet de Florian, explique qu'il veut «mettre fin au problème des migrants à Calais en cassant les filières et en essayant d'ouvrir les yeux à ces garçons qui s'imaginent avoir une vie grandiose en Grande-Bretagne». «On travaille à rendre la frontière étanche et, en même temps, nous avons une politique de traitement administratif par ouverture du droit d'asile, retour volontaire et par des renvois contraints», indique-t-il.
«Racket permanent et cour des miracles»
«La jungle ce sont des camps retranchés ethniques (..), syndiqués par des passeurs qui sont des voyous. Selon lui, «là-bas, c'est un racket permanent, une sorte de cour des miracles». A Calais même, il y a ainsi le camp des Palestiniens et des Égyptiens, le squatt des Érythréens.... Jean-Louis Tiesset, patron d'un café à deux pas de la «jungle» pachtoune, est au diapason du préfet. Selon lui, les migrants «deviennent de plus en plus agressifs» et il voit avant tout «un trafic d'êtres humains». De son côté, Sylvie Copyans, de l'association Salam (Soutenons, aidons, luttons, agissons pour les migrants) confirme le «découragement» des migrants devant les difficultés de passage. «Raser la jungle ne servira absolument à rien, c'est ridicule, ils reviendront. Une fois le camp rasé, que feront-ils, mettre un mirador avec des chiens?», s'emporte-t-elle.

Un article du Télégramme de Brest

Deux requérants d’asile recueillent une fugitive

 

© Lydie Mercier | Muryell et Boubacar. Le couple a été remercié par la cheffe de la police et par l’Hospice général.

Le couple a été remercié par la cheffe de la police pour son geste. Un article de Chloé Dethurens dans la Tribune de Genève.

Deux requérants d’asile, résidant au foyer des Tilleuls à Cointrin, sont venus en aide à une femme disparue dans la nature depuis cinq jours. Malgré leur situation précaire – l’un est débouté et la seconde en attente d’une réponse de Berne – les deux jeunes gens ont pris l’infortunée sous leur aile jusqu’à l’arrivée des secours.

Les faits se sont produits début août. Muryell, gabonaise et bénéficiaire d’un permis N, est assise devant l’aérogare et attend le bus. Elle aperçoit alors une femme, pieds nus et noircis par la poussière, vêtue d’une tenue africaine. Celle-ci entre dans le hall puis en ressort «sans cesser de marmonner», décrit Muryell. Visiblement perdue, cette femme âgée d’une trentaine d’années s’adresse alors à la jeune Africaine. «Elle m’a dit qu’elle avait faim. Ses lèvres étaient blanches. Elle regardait sans cesse de gauche à droite.»

Muryell lui propose alors de l’accompagner jusqu’au foyer pour requérants des Tilleuls près de l’aéroport, où elle réside, afin de lui donner quelque chose à manger. En chemin, la jeune femme perçoit les signes d’un comportement étrange. «Elle disait qu’elle avait vu des gens morts à Genève, qu’il y avait des terroristes, qu’elle voulait émigrer en Afrique.»

Affamée et terrorisée

Sur place, Muryell et son ami guinéen Boubacar offrent vêtements, sandales et nourriture à l’infortunée, puis lui lavent son linge. «Cela faisait plusieurs jours qu’elle n’avait pas pris de douche. Elle était terrorisée et ne tenait pas en place. On n’a trouvé sur elle que sa carte d’identité, une carte bancaire, une carte d’assurance, un maillot de bain et un ticket d’entrée aux Bains des Pâquis.»

N’arrivant pas à la calmer, les deux jeunes gens cherchent sur Internet un lieu d’accueil où emmener leur protégée. Mais vu son état d’anxiété, ils changent d’avis. «Nous n’avons pas le droit d’accueillir des personnes au foyer, nous devions donc agir, raconte Boubacar. Mais nous ne savions pas si elle avait été violée ou peut-être battue… Nous avons donc appelé la police pour voir si elle n’était pas recherchée.»

C’est effectivement le cas. La malheureuse est une patiente de la clinique de Belle-Idée et s’est échappée de l’établissement voilà déjà cinq jours. Dix minutes plus tard, la police arrive au foyer, suivie d’une ambulance. Terrorisée, la fugitive demande à Muryell de l’accompagner à l’hôpital. Celle-ci accepte et fait le trajet en sa compagnie.

Une fois la dame prise en charge, les félicitations ne se font pas attendre, à la très grande surprise des deux requérants. La cheffe de la police Monica Bonfanti et la direction de l’Hospice général adressent même une lettre de remerciements au couple. «Les ambulanciers n’arrêtaient pas de dire merci. Les policiers sont restés pendant trente minutes à discuter avec moi de cet acte qu’ils considéraient comme extraordinaire! Cela nous a fait rire car pour nous, c’est naturel, s’étonne Boubacar. C’est une tradition chez nous de ne pas laisser les gens dans la détresse.»

Une réaction partagée par Muryell: «Au fond de moi, ces réactions me rendent triste car cela montre qu’il n’y a plus d’humanité.» Le responsable du foyer de conclure: «C’est difficile pour eux de rester positif, de faire des projets avec cette peur permanente de recevoir un recommandé de Berne. Quand on voit une personne comme Boubacar, qui est en Suisse depuis huit ans et qui s’implique comme cela, on ne comprend pas la décision qui a été prise le concernant.»