jeudi 4 mars 2010

Le Conseil d'Etat s'obstine contre les apprentis sans-papiers

Le projet lausannois d'engager des apprentis sans-papiers est toujours contraire au droit fédéral actuel. S'appuyant sur un avis de droit, le Conseil d'Etat vaudois a pris formellement position. La ville de Lausanne s'expose à des sanctions si elle passe outre.

De son côté, la Ville de Genève est prête à engager des jeunes sans statut légal, selon la conseillère administrative Sandrine Salerno. Elle offrira quelques places dès la prochaine rentrée. Genève est solidaire de Lausanne qui a eu raison de jeter un pavé dans la mare, déclare Sandrine Salerno dans une interview du "Courrier". Elle offrira quelques unités aux clandestins.

Le Conseil d'Etat genevois n'est pas là pour approuver un certain nombre de démarches illégales comme l'accès à l'apprentissage en entreprise, et donc au sein de la ville de Genève, a souligné Charles Beer, chef du Département de l'instruction publique. Il a néanmoins apporté quelques nuances à cette position.

D'une part, le droit fédéral va probablement changer sous les effets de deux motions contraignantes. D'autre part, le canton privilégie depuis longtemps la voie de l'apprentissage à plein temps dans les centres socio-professionnels. Tous les jeunes y sont admis, a rappelé le conseiller d'Etat.

Dans le canton de Vaud, un avis de droit, rendu par le Service juridique et législatif cantonal, conclut que la Convention relative aux droits de l'enfant n'est pas directement applicable en l'espèce, souligne le gouvernement vaudois. La Ville ne peut donc pas invoquer ce texte pour justifier une entorse au droit fédéral.

Une dépêche de l'ATS

Apprentis sans-papiers : divergences entre ville et canton

La volonté lausannoise d'intégrer des apprentis clandestins dans son administration pourrait faire des émules au sein de la classe politique genevoise. Un article de Katharina Kubicek dans le Courrier.


Proposer aux jeunes sans-papiers des places d'apprentissage dans son administration, c'est la proposition provocatrice formulée la semaine dernière par la Municipalité de Lausanne. Le canton de Genève étudie le projet du Parti démocrate-chrétien d'un «chèque apprentissage» pour les jeunes clandestins scolarisés. Après le vote négatif en commission de l'économie, la motion devrait logiquement être refusée par le Grand Conseil les 18 et 19 mars prochains. Entre l'initiative frondeuse de Lausanne et l'échec annoncé genevois, les réactions des représentants des partis au Conseil municipal de la Ville de Genève sont (quasi) unanimes sur un point: la démarche lausannoise met le doigt sur un manquement évident de la loi suisse dans le domaine du droit à l'éducation des mineurs.

«Assurer la formation professionnelle est un devoir de la société, une nécessité fondamentale qui ne souffre aucune discussion», assène le libéral Jean-Marc Froidevaux. Si l'on souligne que Genève permet aux jeunes clandestins l'accès aux écoles professionnelles – ce qui n'est pas le cas dans le canton de Vaud –, on n'y déplore pas moins le caractère ambivalent d'une loi qui interdit à ces mêmes jeunes la filière des formations duales.

«C'est une discrimination de fait pour les personnes qui ne peuvent pas s'orienter vers les filières théoriques», selon Maria Casares. La conseillère municipale d'A gauche toute! insiste sur le caractère «hypocrite» du traitement que l'on réserve à ces écoliers sans papiers, «dont le nombre et l'identité sont connus aussi bien de la police que du Conseil d'Etat, mais qu'on choisit sciemment d'oublier après le cycle d'orientation». A Gauche toute! déposera une motion pour la plénière du 22 mars revendiquant précisément des places d'apprentissage pour personnes sans statut légal, répétition d'une proposition similaire de la gauche, refusée en 2009.

Audace plébiscitée

En violation directe de la loi fédérale sur les étrangers, le projet lausannois se veut de même une pression qui «brise l'immobilisme des autorités fédérales», selon son initiateur le municipal socialiste Oscar Tosato. L'initiative porte sur le devant de la scène le débat sur l'intégration des jeunes clandestins, à quelques jours des débats aux Chambres fédérales, où plusieurs motions, émanant de la gauche et de la droite, remettent en question la législation suisse au nom du droit supérieur de la Convention des droits de l'enfant.

Cette initiative «musclée» de la ville de Lausanne inspire plus d'un conseiller municipal genevois. Vingt ans après l'action symbolique du conseiller d'Etat PDC qui accompagna publiquement une fillette clandestine dans sa classe, entérinant ainsi l'accès des sans-papiers à l'école, «on attendrait de la Ville de Genève qu'elle mouille sa chemise, elle qui s'est toujours vantée d'affronter la loi et d'être une ville d'accueil», commente Sarah Klopmann (Les Verts). «L'initiative devrait cependant venir directement de l'exécutif», poursuit-elle, «l'option lausannoise de se mettre en porte-à-faux avec la loi est envisageable à Genève à condition qu'un combat politique soit mené en parallèle, ce qui empêcherait par exemple des fonctionnaires zélés d'intervenir auprès du service de la population.»

L'illégalité pour changer la loi?

L'inscription dans l'illégalité de ce projet de formation s'avère pourtant problématique, tant au niveau constitutionnel qu'éducationnel. L'UDC Jacques Hämmerli, dans le sillage du Département vaudois de l'intérieur, de l'UDC-Lausanne et des organisations patronales vaudoises, rappelle que la notion d'Etat de droit doit rester souveraine et que tout changement de loi doit se faire par les voies institutionnelles.

Jean-Marc Froidevaux rappelle de son côté que l'illégalité ne permet pas une formation sereine, tant du côté des apprentis que de celui des patrons: «La cause est juste, mais une administration ne peut pas donner l'exemple de la clandestinité. D'autant plus qu'après l'apprentissage, la question du permis de travail se reposera.» Le libéral salue l'initiative de Lausanne qui ouvre le débat, mais estime que le changement doit intervenir «par le haut» et que la question mérite d'être posée dans le cadre des Conventions internationales.

Une autre approche - transversale - est envisagée par le socialiste Christian Lopez-Quirland: travailler sur une coordination entre différentes villes pour accroître la pression sur les cantons, «à l'instar de ce qu'avait entrepris Martine Brunschwig-Graf en vue de la légalisation des travailleurs sans papiers». C'est à la collectivité publique de trouver des solutions à une réalité sociale et économique aberrante, selon le socialiste, et c'est le rôle d'un exécutif de gauche de se positionner clairement dans ce débat.

Dans l'entourage de Sandrine Salerno, vice-présidente du Conseil administratif, on juge prématuré de faire des commentaires. La magistrate n'en sera pas moins présente mercredi 3 mars au vernissage de l'exposition «Aucun enfant n'est illégal» (lire ci-contre) en compagnie du conseiller d'Etat Charles Beer et du conseiller administratif Patrice Mugny.

Le canton de Genève s’engage à former tous les jeunes

On attendait depuis des lustres les solutions du Conseil d'Etat genevois pour favoriser l'apprentissage des sans-papiers en entreprise (formation duale). Mais il empoigne le problème par un autre bout, en voulant multiplier les places dans les écoles professionnelles. Pas question d''autoriser l''engagement de jeunes clandestins dans des entreprises. Un article de Rachad Armanios dans le Courrier. 
«Le Conseil d'Etat s'engage à offrir une formation pour tous les jeunes, avec ou sans papiers», déclare le chef de l'Instruction publique (DIP), Charles Beer. Le socialiste explique que, dès la rentrée prochaine, le système de l'apprentissage en écoles professionnelles sera renforcé afin de ne laisser personne sur le carreau. En attendant de voir quelle suite sera donnée au succès d'hier des deux motions au National, le magistrat prévient: il ne soutient pas la Ville de Genève qui, après celle de Lausanne, se dit prête à engager des apprentis clandestins, comme l'a annoncé hier la conseillère administrative Sandrine Salerno à l'occasion du vernissage de l'exposition Aucun enfant n'est illégal à la Bibliothèque de la cité. Hier, à cette occasion, Charles Beer a aussi révélé que le gouvernement cantonal réactivera à Berne la demande de régularisation de cinq mille sans-papiers.
Le DIP a piloté un groupe de travail interne à l'administration pour explorer des solutions afin d'offrir des places d'apprentissage aux jeunes sans-papiers qui en sont privés, soit les plus en difficulté, qui n'ont pas les notes pour poursuivre au collège. Si l'apprentissage en entreprise leur est fermé, Genève se distingue en proposant le plus grand nombre de places d'apprentissage à plein temps dans sept écoles professionnelles. Mais les places et le nombre de filières restent insuffisants. Sans ou avec papiers, bien des jeunes se retrouvent sans projet d''avenir. Le gouvernement veut régler le problème sans les distinguer selon le statut.
Les options retenues par le DIP – et avalisées hier matin par le Conseil d'Etat – consistent à multiplier ces places et ces filières. En outre, le «pré-apprentissage» sera amélioré: la «voie de garage» qu'est le Service des classes d'accueil et de réinsertion (SCAI), au sortir de l'école obligatoire, sera remplacé par une année de transition dans les écoles professionnelles. Une année supplémentaire au SCAI pour perfectionner le français sera aussi possible. Enfin, la formation initiale en deux ans sera renforcée. Par ailleurs, Charles Beer a saisi hier la Conférence des directeurs de l'Instruction publique pour qu'elle se détermine sur la façon de garantir le droit à la formation pour tous. Enfin, Genève appuiera les demandes de permis humanitaires pour les élèves à l'école depuis plus de six ans.
Charles Beer a estimé que le Conseil d''Etat apportait des «réponses concrètes». «Même si, demain, la voie de l'apprentissage dual s'ouvre, cela ne signifiera pas que les mineurs sans papiers trouveront une place. A Genève, l'entrée en apprentissage s'effectue en moyenne à 18 ans.»
Le combat pour l'accès à tous à l''apprentissage dual est juste, souligne Charles Beer. Mais, à la Ville qui voudrait engager des sans-papiers, il rétorque: «Le Conseil d''Etat est garant de l''application du système légal.»
Brigitte Schneider Bidaux, du Collectif de soutien aux sans-papiers, salue le renforcement des écoles professionnelles et se veut optimiste: «Je pense que le Conseil d''Etat saisira les occasions pour explorer les voies en faveur de l'accès à l'apprentissage dual. La Ville doit poursuivre dans son rôle d'aiguillon.» Inscrivant ce combat dans celui pour la régularisation des clandestins, elle s'est réjouie de la réactivation de la demande de régularisation de cinq mille clandestins, «en stand-by depuis 2004».

L’ONU s’inquiète du racisme anti-migrants et anti-Roms en Europe

La Haut commissaire de l'ONU pour les droits de l'homme Navi Pillay s'est inquiétée jeudi à Genève de la discrimination dont souffrent en Europe "les migrants et les minorités, telle que celle des Roms", particulièrement en Slovaquie, République Tchèque et en Italie.


"Tandis que l'Union européenne et certains gouvernements européens ont cherché à améliorer la situation des Roms, dans beaucoup d'autres pays, dont la Slovaquie et la République Tchèque, leur condition semble empirer", a déclaré Mme Pillay en présentant son rapport annuel d'activité au Conseil des droits de l'homme de l'ONU.

"En outre, a-t-elle poursuivi, les Roms continuent d'être confrontés à un racisme sans fard et à des agressions racistes menées par des protagonistes non-étatiques".
Mme Pillay a annoncé par ailleurs qu'elle "abordera avec les autorités italiennes le problème de la discrimination et des agressions contre les Roms, ainsi que contre les migrants", lors de sa visite en Italie prévue pour la semaine prochaine.
Une véritable "chasse aux Noirs" avait été menée en janvier dernier à Rosarno (sud de l'Italie) par certains habitants contre les ouvriers agricoles africains, employés pour la plupart illégalement pour ramasser oranges et mandarines. Un millier d'entre eux avaient quitté la ville et l'incident avait révélé les conditions déplorables dans lesquelles vivaient et travaillaient ces migrants.

AFP