mercredi 20 avril 2005

Editorial de Christophe Passer rédacteur de l'Illustré


Sans doute l’une des pires indignités politiques suisses depuis la Seconde Guerre mondiale. C’est ainsi qu’il faut sans hésiter qualifier ce qui s’est passé à la mi-mars, à Berne, dans la salle du Conseil des Etats. Car c’est bien à ce sinistre «J» tamponné dans les passeports que fait penser la manière dont une large majorité des sénateurs a collaboré - on emploie ce mot en le pesant parfaitement - à une ignominieuse façon de durcir la Loi sur l’asile.
Christoph Blocher, ministre, si l’on peut dire, de la Justice, a emmené les conseillers aux Etats, à trop peu d’exceptions près, sur le chemin consternant du déshonneur. Les faits demeurant sans excuses, passons sur les manipulations procédurales qui ont conduit à cela. En adoptant des règles qui moquent la Constitution suisse et considèrent la Déclaration universelle des droits de l’homme comme un gadget tiers-mondiste, la Chambre haute ne mérite plus guère ce nom.
Que l’on encourage l’aide au retour, pourquoi pas. Que l’on soit plus rapide dans les procédures, pas de problème. Que les renvois puissent se faire rapidement, oui. Mais là, il s’agit de limiter, voire de couper les vivres et toute aide d’urgence aux candidats à l’asile frappés de «non-entrée en matière», même après des mois ou des années de procédure. En clair: qu’ils déguerpissent illico ou qu’ils crèvent. Le Tribunal fédéral a, dans un arrêt datant lui aussi de mars, donné tort au ministre, rappelant quelques règles élémentaires, résumées par le juge Thomas Merkli: «Dans ce pays, personne ne doit mourir de faim.» Christoph Blocher a aussitôt ricané, considérant la plus haute et respectée instance juridique du pays avec un sidérant mépris.
Le rai de lumière est cependant venu. Il a nom François Couchepin. L’ex-chancelier de la Confédération est un radical valaisan peu suspect de faire dans le gauchisme ou l’idéologie altermondialiste. C’est important. Ses anciennes fonctions l’ont conduit aussi à une professionnelle maîtrise de la langue de bois. C’est pourtant lui qui parle clair, dans une lettre forte et sage qu’il adresse, avec d’autres signataires, aux conseillers nationaux de notre pays. Il les invite à un sursaut. Il les invite à ne pas oublier l’Etat de droit et, même si le terme est un rien pompeux: la dignité nationale.
Il faut le soutenir. Parce que le sujet n’est pas politique. Il concerne plus noblement une certaine idée de l’humanisme et de la vérité. Il concerne nos enfants, et la façon dont nous pourrons un jour les regarder sans avoir honte de nous. Voilà pourquoi François Couchepin mérite le juste nom de Résistant.

Par Christophe Passer, rédacteur en chef de l'Illustré, paru le 20 avril 2005
Lire aussi l'édito du 5 juillet 2006 ETE CHAUD

L'opinion de Jean Martin dans 24heures



Lien vers le blog de Jean Martin
REQUÉRANTS DÉBOUTÉS

Il faut joindre et non disjoindre, la formule est d'Edgar Morin. Elle dit en peu de mots comment il faudrait, malgré la complexité du dossier, trouver des solutions pour les requérants déboutés vaudois - les 523 qui sont encore environ 300.

Depuis l'été dernier, on a vu de multiples mobilisations, au nom du fait qu'il n'est pas acceptable de renvoyer, par exemple, des familles dont les enfants connaissent mieux la langue et le mode de vie de notre pays que de leur région d'origine. On doit faire preuve de sens commun vis-à-vis de ceux qui depuis des années sont appréciés pour leur travail et leur bon voisinage. Or, comme rien ne vient débloquer la situation, les fronts se raidissent, des accusations excessives enveniment la situation. Les uns invoquent la loi, négligeant que parfois summa jus, summa injuria; à savoir application maximaliste du droit, injustice suprême.

Les autres prennent des positions idéalistes qui ne considèrent guère que la Suisse ne peut pas être tout à tous.

J'ai toujours cherché dans mon activité à promouvoir les moins mauvaises solutions quand il n'y en a pas de vraiment bonnes. A ce stade, le gouvernement vaudois aussi bien que les militants de l'asile campent sur leurs positions. Chaque bord attend que l'autre lâche complètement. Réaliste? Je ne le crois pas. Bien sûr, des deux côtés, il y a des enjeux politiques: se montrer irréductible pour plaire à son audience, ne pas perdre la face. Le risque étant alors que l'intérêt de la plupart des requérants passe au second plan. Il m'est arrivé de penser – hors de ce dossier – que certains étaient pour tout ce qui n'est pas faisable et contre tout ce qui est faisable…

Ce qui devrait compter, c'est le résultat concret. Comment arriver à un règlement pour le plus possible de personnes? Il est illusoire d'espérer arracher - à Berne - une régularisation collective; naïvement peut-être, j'estime que le Conseil d'Etat peut assouplir sa position et faire en sorte que les personnes vulnérables dont on parle souvent soient finalement autorisées à rester. Pour cela il faut de part et d'autre des pas significatifs, pour un déblocage. J'estime - même si cela me vaut des coups de bâton - que les défenseurs des requérants doivent manifester moins d'intransigeance. Ainsi, qu'ils renoncent - ce que plusieurs en privé disent accepter - à la formule «Un renvoi, c'est un renvoi de trop».

Souvent est décrit à juste titre l'état de tension, de dépression, de «no future», des personnes sans statut. Au vu de leur vie antérieure en Suisse et de leurs circonstances, certaines devraient pouvoir rester. Vis-à-vis d'autres, ne convient-il pas d'entamer sans a priori un dialogue ouvert sur les avantages et inconvénients d'accepter les offres d'aide au retour. Ici, je dis ma conviction que le Conseil d'Etat entend s'assurer que ces retours se passent bien et qu'il y mettra les moyens.

Sont envisageables des dispositifs de parrainage. Souvenons-nous des démarches de solidarité avec des villages roumains, dont plusieurs restent actives aujourd'hui. Sans doute les Roumains étaient-ils chez eux et pas déjà ici. Mais ne peut-on promouvoir pour des personnes qui ont séjourné en Suisse des programmes de soutien là où ils seraient rentrés?

On me dira que si le gouvernement vaudois ne répond pas positivement à des gestes d'ouverture, les milieux pro requérants auront fait des concessions pour rien… Objection admise, il y a là une part de pari. D'autres que moi aussi peuvent chercher à apprécier si le pari est stupide ou pas.
Important, un mot encore sur le contexte: je m'associe au cri d'alarme de F.Couchepin, ancien Chancelier de la Confédération, et d'autres quant au fait que des personnalités occupant de hautes fonctions sont prêtes aujourd'hui, sous des allures de vieux Suisses bonhommes, à fouler au pied les valeurs en matière d'asile qui sont l'honneur de la civilisation occidentale. Ces gens sont dangereux, se comportant comme si leurs convictions suffisaient à disqualifier les garanties juridiques internationales. Trouver une solution acceptable, consensuelle, à la situation vaudoise serait un signe fort que la raison et l'humanité peuvent prévaloir.


Opinion parue dans 24 heures du 20 avril 2005

Jean Martin, membre du parti radical, ancien médecin cantonal et constituant, est actuellement député au Grand Conseil
Lire aussi la célèbre motion Martin de l'été 2004
Lire l'opinion de Jean Martin en décembre 2004
Lire aussi la position de Jean Martin en juin 2005
et son opinion en novembre 2005

En janvier 2005, Jean Martin nous redonne un peu d'espoir de consensus

Dublin garantit aussi l'asile

C'est du moins ce qu'espère un comité de gauche qui dans les arguments pour soutenir les accords de Schengen/Dublin estime que la ratification de l'accord de Dublin contraindra la Suisse a cesser se dérive répressive et contraire aux droits de l'homme dans le dossier de l'asile.

Voici un extrait du communiqué de l'ATS:
Quant à l'accord de Dublin, il permet à tous les demandeurs d'asile d'obtenir une procédure dans un pays désigné sans ambiguïté. Il évite aux requérants, appelés «réfugiés en orbite», de se retrouver ballottés d'un Etat à l'autre sans perspective d'une procédure équitable, a signalé Jürg Schertenleib de l'Organisation suisse d'aide aux réfugiés (OSAR). Le durcissement constant du droit d'asile helvétique pourrait prendre fin bientôt grâce à l'accord de Dublin. Même si elle n'est pas tenue de respecter les exigences minimales européennes dans le domaine de la protection des réfugiés, la Suisse subira une pression politique en vue de ne pas se situer en deçà des minima, espèrent la gauche et l'OSAR.
François Nussbaum dans La Liberté et Le Courrier propose ses commentaires avisés:
Extraits en forme d'avertissement:
Si le peuple accepte l'Accord Schengen/Dublin, ce durcissement de la loi se heurtera à la pression de l'UE, estime Jürg Schertenleib (juriste à l'OSAR). A l'inverse, en cas de refus le 5 juin, ce sera la fuite en avant, ajoute-t-il: pour éviter l'afflux de requérants refusés par l'UE, la Suisse durcira encore son droit d'asile, au mépris de la Constitution et de la Convention des droits de l'homme

"Le permis N c'est la dèche"



24heures nous livre dans ses pages sociétés, le portrait d'une adolescente Kényane de 13 ans qui vit à Lausanne avec un statut précaire de permis N. Ils sont 769 enfants dans son cas dans la même ville...
Extraits de son témoignage recueilli par Gabrielle Desarzens:
Arrivée sur sol helvétique il y a trois ans pile, Florence a fui le mouvement Mungiki auquel son père appartient. A lire la presse nationale, l'ombre de Mungiki, véritable armée secrète, planerait sur de nombreux faits divers sanglants qui rythment le quotidien: attaques de policiers, racket de voyageurs dans les transports en commun, meurtres, trafic de drogue et «protection extorquée». Le mouvement constitue l'une des plus puissantes milices qui supervisent le quotidien informel des 143 bidonvilles ceinturant la capitale kényane, rapporte Le Monde diplomatique. Qui plus est, il prône l'excision. «Mon père voulait que l'on soit excisées, ma mère et moi, tu imagines?» confirme l'adolescente.
...
A l'école, on n'en parle pas. Je ne connais personne d'ailleurs dans ma situation. C'est un peu la honte, tu vois. Heureusement, on ne peut pas savoir que tu es requérante d'asile, ce n'est pas écrit sur ton visage. Avec un permis pareil, on n'est pas respecté, c'est la dèche. Et puis, on est toujours stressé. On ne sait jamais ce qui va se passer. Il n'est pas prévu qu'on reste. Mais il n'est pas prévu qu'on parte non plus. On ne sait jamais.
...
Si elle ne sait pas de quoi demain sera fait, elle indique vouloir faire le gymnase, puis des études de droit. Et pouvoir voyager.
Comme les autres filles de son âge, elle aime la musique, prend des options comme la couture, mais elle tient à rester extrêmement discrète quant à son statut. «Ce serait trop horrible que mes copines sachent que moi, Florence, je suis requérante d'asile, martèle-t-elle. Pourtant, les demandeurs d'asi-le sont des gens comme les autres.